Pendant que tous les yeux se tournaient vers la guerre en Ukraine, la Corée du Nord n'a pas chômé. Les spécialistes de l'armement de Kim Jong-un ont testé le lancement de 31 missiles balistiques cette année, contre 25 sur toute l'année 2019 –ce qui était le record jusqu'ici. Rien que le 5 juin, ils ont tiré huit missiles de courte portée, avec succès, en l'espace de trente-cinq minutes seulement. Ils semblent également se préparer à faire exploser une bombe nucléaire, violant ainsi un moratoire de quatre ans sur les essais nucléaires.
Dans le même temps, la Corée du Nord se débat dans les affres d'une crise causée par le Covid, sans vaccins ni masques obligatoires pour s'en prémunir. Sa politique de fermeture des frontières durant les deux années écoulées, mise en place pour empêcher une épidémie, a déclenché une pénurie alimentaire.
Et au cours d'une réunion du parti tenue du 8 au 10 juin, Kim a remanié son équipe de sécurité nationale. Ce qui laisse entendre... Eh bien, ce n'est pas trop clair. Mais il est possible que cela soit le signe d'un appétit de négociations nouveau et d'une éventuelle appétence pour une aide internationale, même si certains des éléments de langage explosifs du dictateur suggéraient qu'il en était tout autrement.
Une longue liste de missiles à tester
Certains voient les décisions du dirigeant nord-coréen –la flambée des tests de missiles, la possible reprise des essais nucléaires, une éventuelle tactique de demande d'aide– comme une réaction aux activités américaines ou comme un moyen spectaculaire d'attirer l'attention. Mais le plus probable, c'est que ce mélange de gestes agressifs et d'appels à l'aide, mâtinés d'une menace implicite d'augmenter l'agressivité de plusieurs crans si on ne lui donne pas un coup de main, soit tout simplement du Kim en train de faire du Kim.
En janvier 2021, lors du huitième congrès du Parti du travail de Corée, Kim a présenté une politique de dégraissage –la fin de ses essais de réforme, le retour de la mainmise de la politique sur l'économie et la réaffirmation de la puissance pour faire face à la puissance. Ce programme comportait une liste de systèmes d'armements revêtant apparemment une importance cruciale et comprenant notamment des armes nucléaires.
Depuis, ses experts en armement n'ont eu de cesse de dérouler cette liste et d'y cocher un projet après l'autre. Cela a commencé avant l'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine. Si l'annonce publique de cette initiative a coïncidé avec la défaite de Donald Trump, qui voyait Kim à travers des lunettes d'un rose absurde, un rapport des Nations unies de 2020 concluait que Kim avait poursuivi au même rythme ses activités dans le domaine des missiles que pendant le mandat de Trump. Selon Daniel Sneider, spécialiste des études est-asiatiques à l'université de Stanford, «il n'y a pas eu de changement».
Un signe de «paranoïa sincère»?
Il se peut que d'un certain côté, la guerre en Ukraine ait affecté les actions de Kim Jong-un. L'hostilité croissante entre les États-Unis et la Russie, ainsi que la continuité de ses bonnes relations avec la Chine lui ont donné davantage de latitude. En mai, la Russie et la Chine ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui aurait infligé de nouvelles sanctions à la Corée du Nord, à la suite d'un récent test de missiles.
Les deux principaux alliés de Kim ont longtemps eu des positions ambivalentes face à ses comportements agressifs, mais les tests de missiles ne les dérangent pas s'ils accentuent l'insécurité des États-Unis et de leurs alliés dans la région. Changeront-ils d'attitude si la Corée du Nord reprend les essais nucléaires? Selon Daniel Sneider, en fonction de la réponse, nous saurons «si la Russie et la Chine sont encore des puissances nucléaires responsables».
Rien de tout cela ne change grand-chose à la capacité de la Corée du Nord à attaquer les États-Unis. Le pays a testé six missiles balistiques intercontinentaux cette année –ce qui n'est pas suffisant pour que les missiles soient fiables selon les critères américains, mais si l'objectif de Kim est simplement de décourager les États-Unis d'envahir la Corée du Nord, c'est probablement assez.
Cependant, il a testé beaucoup plus de missiles à courte portée (susceptibles de frapper la Corée du Sud, le Japon et les bases militaires américaines dans la région), et les nouveaux modèles, qui utilisent des combustibles solides, sont plus précis et plus fiables. Jeffrey Lewis, le directeur du programme Asie de l'Est du Centre d'études James Martin sur la non-prolifération, trouve le rythme de développement et le niveau de sophistication de ces nouvelles armes «un peu alarmants», car ils suggèrent que Kim puisse ne pas les considérer uniquement comme des moyens de dissuasion, mais aussi comme des armes qu'il pourrait être susceptible d'utiliser un jour.
Pour Joshua Pollack, un collègue de Jeffrey Lewis, l'accélération du programme pourrait également être un signe de «paranoïa sincère» visant à «montrer que la Corée du Nord n'est pas faible, alors “ne venez pas nous chercher des noises”».
La crainte d'un mauvais calcul
Dans un cas comme dans l'autre, la possibilité d'un mauvais calcul est inquiétante. Presque immédiatement après que la Corée du Nord a testé en un temps record huit missiles balistiques de courte portée au début du mois, les États-Unis et la Corée du Sud ont répondu en lançant huit missiles balistiques de courte portée encore plus rapidement –en l'espace de dix minutes–, ce qu'un diplomate américain en poste à Séoul a qualifié de «réponse rapide et puissante». Si certains ont laissé la Corée du Nord sortir de leur tête, ceux qui sont chargés de surveiller les menaces la regardent de près et sont prompts à réagir.
Dans ce sens, l'escalade agressive de la Corée du Nord pourrait être un mauvais calcul de sa part. C'est en partie en réaction à cela que le parti conservateur de Corée du Sud a été remis au pouvoir en mars dernier. Si le président précédent, Moon Jae-in, cherchait la détente avec le Nord quasiment à n'importe quel prix, Yoon Suk-yeol, le nouveau président, ne voit aucun intérêt à remettre des négociations sur le tapis –et il a très envie de renforcer l'alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis.
Les alliés européens et asiatiques
des États-Unis se rencontreront pour
la première fois lors d'une réunion sur la sécurité au sommet de l'OTAN,
prévu du 28 au 30 juin.
La veille du jour où la Corée du Nord a réalisé huit tests de missiles, les États-Unis et la Corée du Sud ont organisé le premier exercice naval commun depuis que Trump les avait annulés en 2018. Il s'est tenu près d'Okinawa, au Japon, assez loin de la Corée du Nord –ces tests étaient par ailleurs organisés longtemps en amont, ils ne pouvaient donc pas être considérés comme une réponse aux actions nord-coréennes. Pourtant, Kim et ses conseillers, qui ont fait de leur mieux pour couper les liens entre Washington et Séoul lorsque Trump et Moon étaient au pouvoir, en ont pris acte.
«Pour la première fois, peut-être de toute l'histoire, la Corée du Sud envisage la politique de la région sous un angle international», affirme Daniel Sneider. Ses dirigeants –mais aussi ceux du Japon, également troublés par les changements géopolitiques– assisteront au sommet de l'OTAN, prévu du 28 au 30 juin. Ce doit être la première fois que les alliés européens et asiatiques des États-Unis se rencontreront lors d'une réunion sur la sécurité. La tolérance, voire les encouragements, des frasques de Kim par la Russie et la Chine ont peut-être également été un mauvais calcul.
Négociations impossibles
Quoi qu'il en soit, on peut relever au moins un signe curieusement encourageant: lors d'une réunion du parti à la mi-juin, Kim a remanié son équipe de sécurité nationale et a nommé Choe Son-hui ministre des Affaires étrangères. Cette dernière est considérée comme une spécialiste des États-Unis, elle a déjà pris part aux négociations avec le pays et d'autres nations occidentales. Cela pourrait donc indiquer que Kim est intéressé par une reprise des négociations.
Ceci dit, Kim a également affirmé, lors du congrès du parti de janvier 2021, que la Corée du Nord aurait besoin d'armes nucléaires «tant qu'il y aurait de l'impérialisme sur cette planète» et qu'il considérait les États-Unis comme «le plus grand ennemi» du «développement de [la] révolution».
Un porte-parole du département d'État américain a déclaré, en mai, à la veille du déplacement du président américain Joe Biden en Asie, que ce dernier restait «ouvert au dialogue» avec la Corée du Nord «sans conditions préalables», tant que les négociations étaient sérieuses. Les représentants américains ont toutefois également établi que l'objectif de pourparlers sérieux devait être «un désarmement complet, vérifiable et irréversible».
Joe Biden ne l'avait pas vu venir
Mais si Biden est toujours de cet avis et que Kim pense toujours qu'il aura besoin d'armes nucléaires tant que l'impérialisme (c'est-à-dire les États-Unis) existera sur la planète, alors toute idée de négociations semble plutôt futile. Peut-être l'un ou l'autre camp peut-il évoluer, mais on ne sait pas trop ce qui serait susceptible de les y pousser –surtout tant que Washington restera empêtré dans une néoguerre froide, à la fois avec la Russie et avec la Chine.
Lorsque Joe Biden a pris ses fonctions en janvier 2021, il pensait qu'il pouvait laisser derrière lui les anciennes chamailleries du Moyen-Orient, restaurer les liens entre l'Amérique et une Europe en paix et se concentrer –dans la mesure où les relations internationales le nécessitaient– sur la nouvelle alliance «indo-pacifique» avec le Japon, l'Australie et l'Inde. Ce qu'il n'avait pas anticipé, c'était la plus grande guerre en Europe depuis 1945, le retour au Moyen Âge de l'Afghanistan, les nouvelles mesures de l'Iran visant à enrichir de l'uranium à un niveau militaire, et maintenant le retour de la Corée du Nord à ce qui ressemble fort à une croisade nucléaire.
Certes, les présidents américains peuvent tenter d'établir un programme à suivre pendant leur mandat. Mais le reste du monde (et le monde d'aujourd'hui semble particulièrement indiscipliné) a toujours son mot à dire.