Face à la nouvelle pandémie de coronavirus qui frappe leur pays, les dirigeants chinois n'imaginent pas gérer la crise différemment que depuis deux ans. L'objectif, résumé dans la formule «zéro Covid», reste de faire totalement disparaître ce variant Omicron. Pour Pékin, il n'est pas envisageable d'imiter les pays occidentaux et d'organiser la vie de la population en multipliant les précautions et en espérant que le virus finira par s'éteindre.
Quarante-cinq villes, qui représentent 40% du PIB chinois et totalisent près de 350 millions d'habitants, sont actuellement soumises à des degrés divers de confinement. Il semble que le ralentissement de la propagation du virus a, au bout de deux ou trois semaines, permis de remettre en route l'économie de Shenzhen ou de Xi'an. En revanche, le confinement total imposé depuis près d'un mois à Shanghai paralyse son port, ses usines automobiles, ses centres bancaires et ses industries de haute technologie.
De son côté, Pékin voit monter les cas positifs d'Omicron. Le 27 avril, des tests en ont détecté 113 au nord-est de la capitale, dans le quartier de Chaoyang, qui concentre nombre de bureaux et d'administrations. «La situation est sombre», a indiqué le 25 avril Tian Wei, un des dirigeants du Comité municipal du Parti communiste de Pékin, ajoutant que «le risque de transmission continue et cachée est élevé». Ce qui laisse entendre que d'importantes mesures de confinement pourraient être prises à Pékin.
Mais la question se pose certainement de trouver comment organiser une mise en quarantaine de la capitale chinoise. Il ne s'agit pas de donner l'impression que le pouvoir n'a pas su mieux gérer que les pays occidentaux les risques liés aux évolutions du Covid-19.
Contenir la pandémie
Depuis fin 2019, la Chine a cumulé deux caractéristiques à propos du coronavirus. Premièrement, c'est très probablement sur son sol, à Wuhan, que la pandémie a démarré fin 2019, même si Pékin ne veut pas le reconnaître et a empêché toute enquête scientifique internationale de travailler correctement sur le sujet.
Deuxièmement, les précautions intenses très vite déployées par les autorités sanitaires et politiques ont permis d'éviter que la contamination ne se développe dans la population du pays. Depuis 2020, il y a eu des alertes, sans doute provoquées par des variants ramenés de l'étranger par des voyageurs, chinois ou non. Mais à chaque fois, la maladie a été jugulée en quelques semaines, au prix d'un confinement maximum dans les villes où elle était apparue.
Seulement, cette stratégie du «zéro Covid» n'a pas fonctionné face à l'arrivée du variant Omicron en mars 2022. Plus de 13.000 cas ont été recensés en avril. De surcroit, un variant à ce variant semble avoir été détecté dans la province du Jiangsu. Si Omicron apparaît statistiquement moins mortel que le virus des origines, la vague de contamination qu'il provoque n'en demeure pas moins inquiétante.
D'autant que le vaccin chinois, le CoronaVac, ne semble pas bien fonctionner sur ce variant et est loin d'avoir été inoculé à l'ensemble de la population. Ce sont prioritairement les tranches d'âges actives qui l'ont reçu. Ce qui peut avoir été une erreur car tout indique que les personnes âgées sont les premières à être touchées par Omicron. Or, seuls 20% des plus de 80 ans ont reçu trois doses de vaccins.
Villes closes
Dans toutes les villes de Chine où des cas d'Omicron ont été détectés, une même règlementation a été mise en place. Personne n'est autorisé à sortir de son appartement. Dans chaque immeuble, un seul volontaire est désigné pour récupérer et distribuer les aliments commandés par chaque appartement.
Dans ce confinement étroitement surveillé, chacun doit régulièrement quitter son logement pour aller subir des tests de détection dans le centre le plus proche.
Dans certains quartiers de Shanghai, les produits arrivent dans des véhicules de livraison sans pilote. Mais la plupart sont amenés par des livreurs à motocyclette. Le nombre de ces livreurs a été renforcé par de nombreux étudiants dont les universités sont fermées. Ils sont les seuls à pouvoir circuler dans la ville, tout comme les policiers, les ambulanciers et les membres des comités de quartiers. Ces derniers sont chargés de veiller à la discipline dans les immeubles et sont entièrement recouverts d'une combinaison blanche.
Des bénévoles livrent des boîtes de nourriture distribuées par le gouvernement local aux résidents d'un complexe, pendant le confinement, dans le district de Pudong, à Shanghai, le 15 avril 2022. | Liu Jin / AFP
Leur comportement, particulièrement autoritaire, amène certains Chinois à les comparer aux Gardes rouges qui sévissaient pendant la Révolution culturelle il y a plus d'une cinquantaine d'années. Par dérision, en faisant référence à leur combinaison blanche, ils les surnomment même les «Gardes Blancs».
Cependant, dans ce confinement étroitement surveillé, chacun doit régulièrement quitter son logement pour aller subir des tests de détection dans le centre le plus proche. Les malades sont immédiatement envoyés dans des hôpitaux surchargés. Parmi eux, 17 morts ont été officiellement dénombrés depuis début avril et près de 400.000 personnes positives mais asymptomatiques ont été emmenées dans des centres de quarantaine.
Certains se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres de Shanghai. Ce sont souvent de vastes hangars sans confort où les patients sont installés sur des lits placés côte à côte. Le but de cette mise à l'écart est d'arrêter toute circulation du coronavirus. En Chine, il n'est pas question de vivre avec le virus. La seule option retenue est la politique du zéro Covid.
Depuis quelques jours, face à l'ampleur de ce confinement généralisé et des fréquents retards de certaines livraisons de nourriture, des habitants expriment bruyamment leur colère aux fenêtres de nombreux immeubles. Aussi, certaines restrictions viennent d'être assouplies: plusieurs millions de Shanghaïens qui vivent dans des quartiers où aucun cas de coronavirus n'a été signalé depuis quatorze jours sont autorisés à sortir de chez eux, à condition de ne pas trop s'éloigner. Par ailleurs, les autorités tentent de justifier la rigueur des mesures prises.
Des personnes font la queue pour subir un test de dépistage du Covid-19 sur un site de test improvisé à l'extérieur d'immeubles de bureaux à Pékin, le 27 avril 2022. | Jade Gao / AFP
Une lutte prioritaire
Le 25 avril, Liang Wannian, épidémiologiste réputé en Chine, qui dirige une équipe d'experts relevant de la Commission nationale de la santé, a indiqué les raisons de «l'approche dynamique zéro Covid» instaurée par le gouvernement chinois il y a deux ans. Dans une interview à l'agence de presse Xinhua, il indique que «l'essence de l'approche dynamique zéro Covid est la détection précoce et les mesures de réponse rapides pour arrêter la propagation continue du virus dans les communautés, afin de protéger au maximum la santé et la vie des gens».
Liang Wannian explique ensuite que le terme «dynamique» signifie que, bien qu'il ne soit pas possible de garantir qu'aucun individu ne sera infecté à court terme par le nouveau coronavirus, «la Chine est capable d'identifier et de contenir rapidement une épidémie une fois qu'elle est détectée, afin d'empêcher le virus de causer davantage de dommages à la population».
Aux yeux des dirigeants chinois, la lutte contre Omicron est ainsi totalement prioritaire, au point que ses conséquences économiques passent au second plan. Elles pourraient pourtant être considérables. De nombreuses entreprises shanghaïennes sont à l'arrêt, d'autres travaillent au ralenti. Elles ne mettent pas leurs employés au chômage. Ils sont plutôt installés en disponibilité afin de pouvoir réintégrer leur poste après la pandémie.
Mais il y a aussi environ 600 entreprises qui ont été autorisées par le gouvernement chinois à continuer à fonctionner. Par exemple, les supermarchés Carrefour, dont très peu de Chinois savent qu'il s'agit d'une marque française. Comme d'autres grandes surfaces de Shanghai ou d'ailleurs, le personnel répond aux commandes de la population en livrant de la viande, des légumes et des produits de première nécessité. Dans les magasins, des matelas sont installés pour la nuit. Les salariés sont invités à y dormir après leur journée de travail.
Dans les autres entreprises, qui n'ont pas de produits à livrer, s'ajoute l'obligation pour les personnels de vivre 24 heures sur 24 sur le lieu de travail. Ils sont nourris sur place et devraient ainsi éviter d'être contaminés. C'est le cas dans les quatre usines que l'équipementier automobile français Valeo possède près de Shanghai et qui sont autorisées à continuer leur production, ainsi que dans l'usine Tesla, appartenant au groupe américain que dirige Elon Musk et qui fabrique à Shanghai près de 2.000 automobiles par jour.
Un rude contrecoup
Il apparaît cependant que de nombreux fournisseurs ont dû fermer. Ce qui complique considérablement la production chinoise, et pas seulement dans le domaine automobile. Dans le secteur de l'habillement, beaucoup d'usines de teinture et de tissage se trouvent dans la région de Shanghai et les collections pour l'automne 2022 ne devraient pas tarder à être chargées sur des bateaux qui les amèneront en Europe. Tout retard dû à des fermetures de sous-traitants risque d'avoir des répercussions sur la livraison.
Dans les magasins, des matelas sont installés pour la nuit. Les salariés sont invités à y dormir après leur journée de travail.
De plus, le port de Shanghai est encombré de près de 500 cargos qui attendent au large sans pouvoir ni décharger ni charger leurs marchandises. L'immense trafic maritime n'est pas en mesure d'être géré en raison du confinement des dockers, des pilotes et des employés portuaires. Ce qui perturbe une grande partie de la chaîne d'approvisionnement mondial.
Des voitures destinées à l'exportation, au port de Yantai, dans la province chinoise du Shandong, le 13 avril 2022. | STR / AFP
Le ralentissement économique en Chine provoqué par Omicron fait craindre un abaissement plus global de l'économie mondiale. Le 19 avril, la Fonds monétaire international (FMI) a dégradé sa prévision de croissance mondiale pour 2022, la ramenant de 4,4% à 3,6%, en expliquant cette diminution de pourcentage à la fois par la guerre en Ukraine et par la politique zéro Covid de la Chine. L'accumulation de retards de livraisons de produits venant de Chine tire également les prix vers le haut. Tout ceci ne peut que développer l'inflation dans les pays occidentaux où ils doivent finalement arriver.
Certes, le 21 avril à Pékin, le porte-parole du ministère du Commerce, Gao Feng, a tenu à rassurer les entreprises étrangères liées à la Chine en affirmant: «La Chine coordonnera et résoudra activement les difficultés rencontrées par les entreprises étrangères à la suite des épidémies de Covid-19. Elle veillera à ce que les chaînes d'approvisionnement soient stables et fluides pour les importateurs et exportateurs.»
Des propos répondant, entre autres, aux inquiétudes des fonds de placements internationaux qui, depuis mars dernier, ont revendu près de 17 milliards d'investissements qu'ils avaient investi en actions et obligations chinoises. Ce retrait est sans doute d'abord motivé par l'attitude de la Chine qui refuse de condamner la guerre de la Russie en Ukraine et pourrait subir des sanctions si elle aidait militairement cette invasion.
Mais cette fuite des capitaux s'explique aussi par une crainte que le confinement autoritaire de grandes villes chinoise pour cause d'Omicron finisse par provoquer une récession en Chine. Ces mouvements financiers restent cependant relatifs par rapport à la forte interdépendance qui existe entre les économies chinoises, américaines et européennes.
Face aux conséquences de son mode d'éradication du virus Omicron, le gouvernement chinois pourrait-il assouplir sa position? Le président Xi Jinping considère sans doute qu'il serait très périlleux d'annoncer que le pouvoir chinois renonce à la politique du zéro Covid, voire qu'il décide simplement de l'assouplir. Non seulement cela amènerait les dirigeants à perdre la face, mais en plus, il leur faudrait mettre au point une autre stratégie sanitaire.
Le bruit court cependant que plusieurs réunions du Comité permanent, la plus haute instance du Parti communiste chinois, ont récemment eu lieu à Pékin. L'objet en aurait été de ne pas abandonner la ligne de fermeté adoptée il y a deux ans face au coronavirus, mais en même temps, de trouver comment relancer la marche de l'économie chinoise. Tout cela dans un contexte où la guerre en Ukraine entrave une partie du commerce international chinois. Mais comme de coutume, aucune information n'a été donnée sur les conclusions auxquelles les plus hauts dirigeants chinois ont pu parvenir au cours de ces réunions au sommet.