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Il y a trente ans, Los Angeles se soulevait pour le jeune Rodney King

Temps de lecture : 4 min

L'acquittement des quatre policiers blancs qui s'étaient acharnés sur ce jeune homme noir-américain provoquait de violentes émeutes de six jours dans la Cité des Anges.

Des policiers en tenue anti-émeute font face à des manifestants rassemblés au Parker Center, le quartier général de la police de Los Angeles, le 29 avril 1992, pour protester contre le verdict après l'acquittement de quatre officiers de police accusés d'avoir battu l'automobiliste noir Rodney King en mars 1991. | Mike Nelson / AFP
Des policiers en tenue anti-émeute font face à des manifestants rassemblés au Parker Center, le quartier général de la police de Los Angeles, le 29 avril 1992, pour protester contre le verdict après l'acquittement de quatre officiers de police accusés d'avoir battu l'automobiliste noir Rodney King en mars 1991. | Mike Nelson / AFP

29 avril 1992, après une semaine de délibération, le jury du tribunal de Simi Valley rend son verdict: Stacey Koon, Laurence Powell, Timothy Wind et Théodore Briseno sont acquittés. Les policiers risquaient la prison pour avoir roué de coups Rodney King, un Noir-Américain de 25 ans, après une course poursuite sur plusieurs kilomètres dans les rues de Los Angeles l'année précédente, à la suite d'un excès de vitesse.

La vidéo prise par George Holliday, un habitant de San Fernando Valley ayant immortalisé l'arrestation avec sa caméra depuis son domicile, n'a pas suffi à convaincre les jurés de la culpabilité des agents des forces de l'ordre. Sur les neuf minutes d'enregistrement, on distingue pourtant une séquence d'une minute et vingt secondes durant laquelle deux agents s'acharnent sur le jeune homme et lui infligent une cinquantaine de coups de matraques et plusieurs coups de pieds sous le regard impassible du reste de l'équipe.

Si le jeune homme s'était montré peu coopératif lors de son arrestation, un tel déchaînement de violence n'avait pas lieu d'être. La communauté noire de Los Angeles, estimant que la justice ferait son travail, n'avait pas organisé de manifestations après la diffusion des images en 1991. Mais à l'annonce du verdict un an plus tard, l'attentisme laisse place à la protestation.

Près de 100.000 personnes descendent dans les rues et très rapidement, la Cité des Anges s'embrase, en particulier le quartier de South Central, au sud de Downtown. Les strass et paillettes de Hollywood laissent alors place à d'importantes manifestations, à des incendies, à des pillages de maisons et commerces mais aussi à des lynchages.

Des manifestants mécontents du verdict du procès de Rodney King manifestent devant le siège de l'Ordre fraternel de la police à Washington D.C., le 30 avril 1992. | Paul J. Richards / AFP

Une partie de la ville est mise à feu et à sang durant six jours, entraînant la destruction d'un millier de bâtiments, des dommages matériels estimés à un milliard de dollars, et la mort d'une cinquantaine de personnes. Il faut l'intervention de la garde nationale, le déploiement massif de la police locale et l'instauration d'un couvre-feu pour que le calme revienne. L'Amérique est sous le choc. Un tel mouvement de protestation n'avait pas été observé dans la région depuis les émeutes de Watts, en 1965.

Racisme, crise sociale et tensions raciales: terreau du soulèvement

L'acquittement des policiers mis en cause pour le passage à tabac de Rodney King n'explique qu'en partie l'ampleur de la contestation. Une semaine avant l'embrasement, la justice confirmait en appel la peine de prison avec sursis pour Soon Ja Du, une commerçante coréenne qui avait abattu d'une balle dans la tête Latasha Harlins, une adolescente noire de 15 ans, après une altercation pour une bouteille de jus d'orange, en mars 1991. Pour la communauté noire-américaine, ces deux décisions démontrent le peu d'importance qu'accordent les institutions aux vies des Noirs.

Des policiers de Los Angeles gardent un groupe de pillards présumés qui ont été arrêtés près de Hollywood, le 1er mai 1992, pendant les émeutes de Los Angeles qui ont éclaté le 29 avril 1992. | Hal Garb / AFP

Le racisme qui traverse la police et la justice, les tensions communautaires et les difficultés sociales constituent depuis longtemps, à Los Angeles et ailleurs aux États-Unis, un terreau fertile pour un soulèvement populaire. «C'est malheureux à dire, mais ça devait arriver», résume le chanteur Stevie Wonder peu après la fin des émeutes.

En effet, l'époque n'est pas à la fête. Les industries quittent peu à peu les quartiers populaires pour s'installer en périphérie, les conditions de vie se détériorent avec la hausse du chômage et la disparition progressives des services publics. La violence quotidienne et «l'épidémie de crack» n'arrangent évidemment rien. Les politiques sociales des années Roosevelt et Johnson ont laissé place à l'ultra-libéralisme des années 1980 promu par Ronald Reagan puis son successeur George Bush, et l'arrivée d'une immigration asiatique et hispanique à Los Angeles a accru la concurrence et le racisme entre les communautés.

Les classes populaires et moyennes noires-américaines ont le sentiment d'être délaissées voire déclassées, et une partie de la jeunesse est livrée à elle-même ou aux gangs. Au début des années 1990, toutes les conditions sont réunies pour l'explosion. Les deux procès du mois d'avril 1992 ne sont que l'étincelle qui met le feu aux poudres.

Un officier de police de Los Angeles parle à un homme le 30 avril 1992 devant un centre commercial qui a été pillé lors des émeutes de Los Angeles. | Hal Garb / AFP

Et après?

Dès la diffusion des images de l'arrestation brutale de Rodney King en 1991, le maire de Los Angeles, Thomas Bradley, ordonne la création d'une commission indépendante chargée de formuler des propositions permettant d'améliorer les pratiques policières du LAPD. Elle préconise notamment le community policing, un partenariat approfondi entre police et population qui privilégie la prévention.

Après l'acquittement des policiers, cette nouvelle politique est mise en œuvre avec l'arrivée d'un nouveau chef de la police. L'image de l'institution s'améliore alors considérablement, mais les nouvelles pratiques ne sont pas réellement appliquées sur le terrain par manque de moyens, manque de volonté des policiers, et à cause de tensions hiérarchiques. Elles seront progressivement abandonnées après 1997.

Après près de deux jours d'incendies et de troubles civils, un commerçant regarde les restes d'un centre d'affaires dans le centre de Los Angeles, le 1er mai 1992. | Robert Sullivan / AFP

En 1993, les policiers impliqués dans le passage à tabac de Rodney King sont jugés à nouveau, sous la pression de l'opinion. Stacey Koon et Laurence Powell, qui ont porté les coups sur le jeune homme, sont désignés coupables et condamnés à 30 mois de prison. Timothy Wind et Théodore Briseno sont de nouveau acquittés. Une justice tardive mais nécessaire pour tourner, au moins temporairement, la page.

À l'occasion du vingtième anniversaire des émeutes, Rodney King –qui devait décéder quelques mois plus tard– publie un livre intitulé The Riot Within, dans lequel il assure avoir pardonné aux policiers: «Parce que les États-Unis m'ont pardonné de nombreuses choses et m'ont donné de nombreuses opportunités. Il faut pouvoir avoir une seconde chance et moi je l'ai eue.»

Trente ans après, le soulèvement de 1992 est toujours dans la mémoire des habitants de Los Angeles et des Américains.

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