Société

Laurent Ulrich, un archevêque de Paris «Macron-compatible»

Temps de lecture : 5 min

Sa désignation par le pape François a surpris les observateurs. Comme Emmanuel Macron, avec qui il a plus d'un point commun, l'ancien archevêque de Lille se prépare à cinq années de réformes.

Laurent Ulrich a été nommé archevêque de Paris le 26 avril 2022 par le pape François. | Philippe Huguen / AFP
Laurent Ulrich a été nommé archevêque de Paris le 26 avril 2022 par le pape François. | Philippe Huguen / AFP

Depuis décembre dernier et la démission fracassante de Michel Aupetit, l'archevêché de Paris était vacant. Le monde catholique attendait avec une certaine fébrilité le nom de son successeur. Ce mardi 26 avril, le pape François a nommé Laurent Ulrich pour lui succéder.

Deux jours après le deuxième tour de l'élection présidentielle, Paris a donc un archevêque: Laurent Ulrich, jusqu'alors archevêque de Lille. Homme d'appareil, assez classique, sa nomination n'était pas attendue. Son nom circulait, comme celui de Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, mais son âge (70 ans) rendait cette hypothèse improbable, en premier lieu pour le principal intéressé. En effet, un évêque doit présenter sa démission à l'âge de 75 ans, acceptée ou non par le pape, qui peut alors prolonger le prélat dans ses fonctions.

Synodal dans l'âme

Laurent Ulrich est né en 1951 à Dijon. Titulaire de deux maîtrises en théologie et en philosophie, il s'imagine enseignant, mais entre finalement au séminaire pour devenir prêtre. Ce jeune homme «réservé mais fraternel» est alors stimulé par l'évêque de Dijon (1974-1981), Albert Decourtray, bientôt archevêque de Lyon. Laurent Ulrich obtient rapidement des responsabilités lui permettant d'avoir une vue d'ensemble d'un diocèse: aumônier de lycéens, responsable du diaconat permanent, doyen, vicaire épiscopal puis vicaire général, cette dernière charge menant souvent à l'épiscopat.

C'est chose faite en 2000: Laurent Ulrich est nommé archevêque de Chambéry. En parallèle, il obtient des responsabilités au sein de la Conférence des évêques de France (CEF): président de la Commission financière et du Conseil pour les affaires économiques, sociales et juridiques, mais aussi président du Conseil d'orientation de RCF (Radio Chrétienne francophone). En 2007, il est élu vice-président de la CEF, et en 2008, il devient archevêque de Lille. L'homme est décrit comme pastoral, dynamique sans être fougueux, assez froid malgré un certain charisme.

Laurent Ulrich ne voit pas l'Église comme une citadelle assiégée, mais estime davantage que le catholicisme français doit se réinventer.

Dans le Nord, il a accompagné l'influente et importante Université catholique de Lille, mais il a dû fermer le séminaire en 2019, faute de candidats. Il a surtout convoqué un concile provincial entre 2013 et 2016 avec les diocèses d'Arras et de Cambrai. Cette démarche inédite dans le monde francophone plut au pape François, qui l'invita personnellement lors du second synode sur la famille en 2015.

Cet esprit synodal a sans doute influencé le pape dans le choix de Laurent Ulrich pour Paris, lui qui a justement convoqué un synode sur la synodalité en octobre 2023, sans doute un tournant dans la vie interne de l'Église. Mais d'autres causes semblent aussi avoir pesé.

Paris est un siège politique: son archevêque est l'interlocuteur principal des pouvoirs publics (mairie, présidence de la République, ministères…). Si l'on est sûr que Laurent Ulrich ne bradera pas la doctrine, il se différenciera de ses prédécesseurs, vent debout contre le mariage pour tous, les lois bioéthiques... Moins dogmatique qu'André Vingt-Trois et Michel Aupetit, Laurent Ulrich ne se lancera dans aucune croisade et cherchera sans doute davantage le compromis.

Contre un catholicisme figé

Paris est aussi un siège qui donne le la à l'Église en France. Il semble que François ait voulu rompre avec le système mis en place par le cardinal Jean-Marie Lustiger à partir de 1981, et poursuivi par André Vingt-Trois puis Michel Aupetit. Le cardinal Lustiger estimait qu'il était possible de freiner et dominer la sécularisation à partir d'un petit groupe de chrétiens, ce qui a donné un catholicisme français replié sur lui-même.

Or, Laurent Ulrich ne voit pas l'Église comme une citadelle assiégée, mais estime davantage que le catholicisme français doit se réinventer, notamment en prenant appui sur la synodalité. En cela, il sera un homme du pape en France et incarnera une certaine rupture avec ses prédécesseurs.

Il a aussi rendu hommage aux vingt-sept migrants disparus dans la Manche en novembre dernier, dans la ligne du pape jésuite qui a placé «la question migratoire au cœur de son programme». Notons qu'à Lille, Laurent Ulrich avait accueilli l'ancien vicaire général de Paris chassé par Michel Aupetit, Benoist de Sinety, très engagé lui aussi dans ce domaine. Pourtant, l'accueil des migrants n'est pas du goût de tous les catholiques. L'étude de l'Ifop pour La Croix publiée au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle ne laisse guère de place au doute: 40% des électeurs catholiques ont voté pour un candidat d'extrême droite.

C'est donc un homme d'expérience, un peu trop apparatchik mais gestionnaire, que François vient de nommer sur l'un des sièges les plus prestigieux de l'Église en France.

Par ailleurs, si François n'a pas encore visité la France depuis son élection en 2013, il demeure attentif à la vie politique de notre pays. Depuis 2017, il a affiché une certaine connivence avec Emmanuel Macron, à tel point que les deux hommes se tutoient. Laurent Ulrich sait rencontrer les élus et entamer avec eux une relation cordiale: Martine Aubry, maire PS de Lille, a ainsi rendu hommage à «un homme d'une grande spiritualité, se référant souvent aux encycliques papales sur les questions sociales et environnementales, au contact des fidèles et acteurs de la solidarité». Cela était moins vrai pour son prédécesseur.

Une trajectoire à la Macron

Dernier point, comme nous le notions, le nouvel archevêque de Paris est un disciple du cardinal Decourtray, archevêque de Lyon (1981-1994) qui lutta contre l'extrême droite, défendit les exclus et les immigrés. Ce prélat s'affirmait d'«extrême centre», comme d'ailleurs Laurent UIrich a pu le revendiquer lui-même, et comme le prétend aujourd'hui… le président Macron.

Pour les deux ecclésiastiques, il s'agit d'apparaître comme inclassables. Le cardinal Decourtray défendait ainsi les plus pauvres mais demeurait intransigeant s'agissant de l'IVG. L'archevêque de Paris est fait de ce bois-là et sait allier les contraires, un peu comme Emmanuel Macron. C'est pourquoi il a été choisi car il apparaît comme «Macron-compatible». Sur le papier, il quittera d'ailleurs ses fonctions en 2027, en même temps que l'actuel président de la République.

C'est donc un homme d'expérience, un peu trop apparatchik mais gestionnaire, que François vient de nommer sur l'un des sièges les plus prestigieux de l'Église en France, «un homme méthodique, simple, humain, accessible et très à l'écoute», aux dires d'un de ses diocésains lillois. Du reste, le nouvel élu a assuré dans une vidéo envoyée aux Parisiens qu'il venait avant tout pour les écouter, ce que Michel Aupetit avait beaucoup de mal à faire. La tâche est lourde, tant le diocèse de Paris est déchiré.

Laurent Ulrich va devoir décléricaliser cette Église, impliquer davantage les laïcs en les responsabilisant, pacifier les rapports entre les prêtres. D'une certaine manière, afin d'éviter l'effondrement et même l'implosion de son diocèse comme de l'Église en France, il va devoir imposer une nouvelle méthode de gouvernance –la synodalité–, et parler un autre langage. Une tâche en tout point similaire à celle assignée à Emmanuel Macron.

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