Il y a quelques mois, nous nous interrogions: «Quand pourra-t-on dire que la pandémie de Covid-19 est terminée?» Nous assistions alors à une remarquable décrue et croisions les doigts pour que les chiffres ne remontent pas. Nous estimions alors qu'au-delà des indicateurs épidémiques, la pandémie serait terminée… quand les médias n'en parleraient plus et que le grand public ne s'en soucierait plus.
Aujourd'hui, sans doute parce qu'une actualité en chasse une autre et que les unes de la presse sont légitimement occupées par la guerre en Ukraine et, en France, par l'élection présidentielle, le Covid-19 est passé en arrière-plan. On nous rapporte aussi que dans les écoles, on ne teste plus. On lit sur Twitter qu'Omicron «n'est plus un problème de santé publique», comprenons par là: «Ce n'est plus un problème parce que les unités de réanimation ne sont plus saturées et que les médecins hospitaliers se sentent moins concernés.»
Depuis un petit moment, nous réfléchissons tous les deux sur le risque de nous «accrocher» trop personnellement à la pandémie, car nous nous savons bien à risque de devenir victimes d'une forme de syndrome de Stockholm. En effet, depuis plus de deux ans, nous vivons et dormons Covid et nous devons nous méfier d'une forme d'attachement à notre geôlier la pandémie, qui nous pousserait à ne pas lâcher le morceau quand bien même il serait derrière nous. Nous l'entendons, même si nous nous souvenons nous être formulés ce même dilemme à la fin de chaque vague ou presque.
Nul ne sait si les futurs variants seront plus ou moins virulents, ni plus ou moins contagieux.
La première question qu'il nous faut nous poser est de savoir si on peut raisonnablement espérer aujourd'hui que la pandémie serait enfin derrière nous? La réponse des deux otages qui ont vécu depuis plus de deux ans avec leur geôlier, le Covid, ne vous surprendra donc pas: nous ne pensons pas raisonnable de dire que la pandémie est finie! Et nous ne sommes pas les seuls otages enfermés dans la cellule de la pandémie. En effet, le comité d'urgence de l'OMS a réaffirmé récemment que le Covid-19 restait une «urgence de santé publique de portée internationale», c'est le jargon du Règlement sanitaire international pour signifier que la menace pandémique continue toujours.
Des chiffres sous-évalués
Regardons les indicateurs épidémiques de près. Si nous assistons à une décrue rapportée dans tous les pays d'Europe, la circulation du virus y reste encore très forte, notamment en France où la chute de l'incidence est d'ailleurs assez lente. Le taux d'incidence, après avoir connu un pic autour de 1.300 début avril, reste encore à près de 1.000 durant cette seconde quinzaine d'avril, frôlant encore les 100.000 personnes enregistrées comme positives chaque jour et plus de 100 à en mourir quotidiennement.
Vous comprendrez que nous ne pouvons pas dire que ce n'est rien et que ce ne serait plus un problème de santé publique. Il ne viendrait à l'idée de personne d'affirmer que l'infarctus du myocarde, première cause de mortalité en France avant la pandémie et qui tue 90 personnes par jour, ne serait pas un problème de santé publique. Donc, la question des pertes évitables de vies humaines, de l'isolement des personnes contaminées, celle des absences au travail ou à l'école, ou encore des séquelles à moyen et long termes sont autant de problèmes qui relèvent bel et bien de la santé publique!
Tout cela sans compter que le nombre de cas est très largement sous-évalué.
En effet, puisqu'il n'est plus nécessaire de se faire tester, puisque les autotests sont largement répandus et utilisés, nombreux sont celles et ceux, infectés par le SARS-CoV-2, qui passent sous les radars de la veille sanitaire officielle. Ils ne transitent plus par la case pharmacie ni celle du laboratoire pour se faire dépister et ne rentrent donc pas dans les décomptes journaliers.
Il n'est pas supportable d'avoir autant de marge d'erreur.
En outre, alors que les cas de re-contaminations sont fréquents avec Omicron BA.1 et Omicron BA.2, il apparaît qu'une infection n'est comptabilisée par la veille sanitaire que si la personne positive n'a pas déjà été positive dans les soixante jours précédents (délai de conservation des données sur SI-DEP, la plateforme sécurisée où sont systématiquement enregistrés les résultats des laboratoires de tests Covid-19).
Enfin, le recours aux autotests et aux tests antigéniques, dont la fiabilité a très largement décru, avec Omicron suggère également que de nombreux cas ne sont pas dépistés.
Tout porte donc à croire –à défaut de le voir– que le virus circule toujours très largement au sein d'une population qui n'est plus naïve et qui a acquis, grâce aux vaccins et aux éventuelles infections répétées, un certain niveau d'immunité à médiation cellulaire lui permettant pour la plupart et pour le moment, d'éviter les formes les plus sévères.
Mutations inévitables
Alors, puisque le virus circule massivement un peu partout sur la surface de la Terre, il n'y a aucune raison de penser qu'il ne va pas muter à nouveau. D'ailleurs, de nombreux nouveaux variants attendent déjà au portillon des compétitions internationales en vue d'une qualification que l'on sait prochaine. Nul ne sait cependant si les futurs variants sélectionnés seront plus ou moins virulents, ni plus ou moins contagieux. Nul ne sait non plus s'ils échapperont ou non à l'immunité acquise ou vaccinale, humorale ou cellulaire. Car s'il y a bien un mythe auquel nombre de personnes veulent croire, c'est qu'un virus évoluerait toujours vers des variants moins virulents et plus faciles à dompter!
Mais, nous demandent nos contradicteurs, tels des visiteurs apportant pitance à leurs prisonniers, n'est-ce pas là encore un discours catastrophiste de plus sur le Covid? Regardez donc les derniers mois, Omicron n'est-il pas devenu beaucoup plus gentil? N'a-t-il pas été notre chance à tous in fine? Eh bien non, répondons-nous prisonniers de nos certitudes, c'est bel et bien le vaccin et non Omicron qui a changé la donne.
Pourquoi accepte-t-on qu'il y ait encore plus de cent décès par jour alors qu'on dispose désormais de traitements efficaces?
Il suffit de noter les ravages qu'Omicron a causé à Hong Kong, territoire extrêmement développé de Chine où la moitié des personnes de plus de 60 ans étaient vaccinées lorsque Omicron est arrivé. L'hécatombe y a été effroyable, avec un taux de létalité de 5% chez les plus de 60 ans, contre 0,1% en Corée du Sud ou en Europe de l'Ouest, où les personnes âgées sont beaucoup mieux immunisées. Comment pouvons-nous imaginer que les autorités chinoises confineraient à l'obsession les habitants de nombreuses métropoles, dont Shanghai de 26 millions d'habitants, si Omicron était devenu ce brave variant conduisant la population à un banal rhume de quelques jours?
C'est bien parce que sa population est insuffisamment immunisée, par des vaccins possiblement moins efficaces, que le gouvernement chinois redoute un scénario à la hongkongaise. À l'échelle de la Chine continentale, ce serait une tragédie autrement plus importante qu'il fait tout pour tenter d'éviter.
Autre élément et non des moindres: le Covid long, sur lequel il demeure des zones d'ombre. Les premiers cas de symptômes persistants ont été décrits avec Omicron et on ne sait pas exactement quel est le rôle protecteur des vaccins. Certaines séries évoquent des taux de 30% de Covid longs, ce qui paraît énorme. Même si on estime que 10 à 15% des personnes ayant contracté le Covid développeront une forme longue, avec les niveaux élevés d'infections ces derniers mois, cela deviendrait un véritable problème de santé publique et nous ne pouvons pas nous permettre de porter des œillères pour faire plaisir aux rassuristes!
Certes, même si les travaux s'accumulent sur ce sujet, on ne sait pas encore tout sur le Covid long, mais au lieu de mettre la poussière sous le tapis, nous pensons qu'il serait plus judicieux de tout faire pour se prémunir d'une dose infectante virale trop importante dans nos environnements clos et mal ventilés, afin de réduire les risques de formes sévères et tardives.
Pourquoi des mesures individuelles et collectives aussi peu liberticides que le port du masque et l'aération des lieux clos ne deviennent-elles pas une priorité?
Aujourd'hui, et c'est heureux, à part en Chine qui se débat comme nous l'avons dit avec une souche visiblement aussi virulente que les précédente dans une population à risque et mal vaccinée, personne ne recommande de prendre les mesures fortes que nous avons connues en début de pandémie. Personne n'a proposé en Europe de confiner, même au plus fort de la vague Omicron-BA.1, en janvier dernier.
Nous avons acquis une immunité élevée de la population, notamment celle à haut risque de formes graves. Nous faisons l'expérience d'un variant du coronavirus qui continue à répondre correctement aux vaccins dont on dispose, au moins en termes de formes graves. Et nous avons un système hospitalier qui ne s'engorge pas, même s'il semble sortir groggy de cette crise sanitaire. Tout cela permet de ne pas avoir à instaurer de couvre-feux, de fermetures de magasins ni de proposer de nouveaux confinements, et c'est à mettre à l'actif de la gestion de cette pandémie.
Mais n'a-t-on donc retenu aucune des leçons de ce passé récent pour ne pas mobiliser les savoirs et les compétences afin de limiter la circulation du virus par d'autres interventions –vous vous rappelez le modèle emmental, n'est-ce pas? Pourquoi des mesures individuelles et collectives aussi peu liberticides que le port du masque et l'aération des lieux clos ne deviennent-elles pas une priorité? Pourquoi accepte-t-on qu'il y ait encore plus de cent décès par jour alors qu'on dispose désormais de traitements efficaces qui devraient pouvoir réduire très substantiellement la mortalité par Covid?
La France et l'Europe donnent-elles priorité à la recherche sur les anticorps monoclonaux et des antiviraux, afin qu'ils puissent contrer les nouveaux variants et être administrés aux personnes les plus à risque de formes graves et peu protégées par les vaccins, que ce soit en prophylaxie ou en traitement de l'infection? Ou bien continuerons-nous à nous reposer pour l'essentiel sur la recherche et le développement nord-américains? On les salue, on est bien contents d'en disposer, mais où sont les tests, les vaccins et les traitements du Covid-19 issus des laboratoires et des groupes pharmaceutiques français et même européens?
Vu depuis nos cellules de réflexion sur la pandémie, il nous semble que nous ne sommes plus très nombreux à promouvoir l'isolement des personnes positives tout en assurant des aides à celles qui seraient financièrement impactées. Puisque même pour aller voter, le gouvernement français n'a pas jugé nécessaire de faire porter le masque aux personnes qui se savaient positives.
Nous sommes peut-être prisonniers d'une pandémie qui semble s'éterniser, mais nous pensons que nous ne devrions rien lâcher sur les tests, ni sur le suivi de la pandémie: nous avons tellement besoin d'indicateurs fiables pour observer son évolution, détecter précocement les nouveaux variants et leur installation sur le territoire, et maîtriser le nombre de contaminations. Le suivi épidémiologique aujourd'hui est uniquement hospitalo-centré, car on est entrés en plein brouillard sur la circulation du virus dans la communauté. Nous demandons que des tests soient réalisés sur des échantillons représentatifs de la population, ou au moins sur les eaux usées et de manière rigoureuse.
Un pays comme la France mériterait de disposer d'une veille sanitaire fiable car il n'est pas supportable d'avoir autant de marge d'erreur, de ne pas savoir lorsqu'elle rapporte 100.000 cas dans la journée, si en fait ce n'était pas un million de contaminations qui seraient survenues dans le pays ce même jour.
Nous avons réussi à dompter la bête grâce aux vaccins et aux comportements de la population ces derniers mois, mais c'est d'une paix armée dont il s'agit, car de nouveaux variants sont tapis à notre porte et semblent attendre leur tour pour attaquer à nouveau. Sera-ce à la faveur d'une baisse d'immunité ou d'une augmentation de leur propre virulence? Nous risquons de le savoir trop tard car nous ne sommes pas près de signer l'armistice, et déjà les sentinelles descendent de leurs créneaux, et les vigiles de leurs postes d'observation. La guerre est finie, nous assènent-ils en cœur.