Peut-être avez-vous déjà croisé sur internet l'image de la Vierge Marie tenant dans ses bras un missile antichar? Ce symbole de la résistance ukrainienne est devenu viral depuis les premiers jours de la guerre contre la Russie: surnommée «Sainte Javelin» (du nom de l'arme FGM-148 Javelin), cette figure est désormais aussi une source de revenus. Le New York Times s'est intéressé à la manière dont les mèmes, ces images numériques simples et virales, participent à financer une partie de la résistance en Ukraine.
En février, le journaliste canadien Christian Borys cherchait un moyen d'aider les Ukrainiens qui anticipaient la guerre à venir, quand il eut l'idée d'imprimer sur des stickers le fameux mème de la «Sainte Javelin». En moins d'une demi-heure, un site internet était créé, dans l'espoir initial d'envoyer l'argent des bénéfices à des associations d'aide aux orphelins. Cette nuit-là, 88 dollars canadiens de recettes (soit 65 euros) ont été récoltés.
Fin février, alors que la menace s'était transformée en véritable invasion à grande échelle, Christian Borys vendait quotidiennement pour 170.000 dollars canadiens (environ 125.000 euros) de marchandise. À ce jour, le site a récolté 1,5 million de dollars canadiens (1,1 million d'euros) pour l'association Help Us Help, qui soutient plusieurs services et finance des équipements de protection pour les journalistes couvrant le conflit.
Look it’s @saintjavelin in the @nytimes https://t.co/bokjd4e6G6
— Christian Borys (@ItsBorys) April 19, 2022
«Je pense que les gens cherchaient un symbole pour apporter leur soutien, parce qu'ils voyaient toute l'injustice de la situation», explique Christian Borys. Ce nouveau commerce généré par les t-shirts, tasses, barres de chocolat et autres produits dérivés inspirés de mèmes génère des revenus importants, aux États-Unis notamment –pays dont la majeure partie de la population ignore habituellement les pays d'Europe de l'Est.
Le financement de la guerre à l'ère du web 2.0
«C'est un phénomène sans précédent», estime Peter Dickinson, rédacteur en chef du service UkraineAlert du think tank américain Atlantic Council. En 2014, lors de l'annexion de la Crimée, l'invasion russe avait bien moins attiré l'attention de l'Ouest. «La Russie a réussi, par le passé, à empêcher la transmission de toute information sur l'Ukraine. C'était comme un État vierge», ajoute-t-il.
Taras Maselko, lui, est directeur de marketing pour la société de vêtements Aviatsiya Halychyny, qui commercialise notamment des t-shirts affichant «Combattez comme des Ukrainiens». Il explique: «Quand vous portez un t-shirt ou voyez passer un mème sur internet, cela vous rappelle la réalité qui se déroule en Ukraine.» Cette semaine, le service postal ukrainien a créé un timbre représentant un soldat ukrainien faisant un doigt d'honneur devant le croiseur russe Moskva. La société prévoit de créer un site pour vendre des tasses et d'autres marchandises avec ce visuel.
Christian Borys, qui avait lancé son site de manière bénévole, travaille désormais à temps plein avec quatre autres personnes pour répondre à la demande. D'autres saints ont été conceptualisés, comme «Saint Carl Gustaf», qui porte un masque à gaz, ou «Sainte Olha», «la reine guerrière de Kiev» tenant un bazooka. Le créateur explique: «Les gens nous demandent d'en créer de nouveaux. On reçoit des messages d'Espagne, de personnes qui veulent un saint pour leur pays.»