La Pâque orthodoxe aura lieu ce dimanche 24 avril, alors que partout en Europe et dans le monde, des croyants se divisent autour d'un sujet: la guerre en Ukraine. L'orthodoxie est une branche du christianisme –la troisième plus importante– qui regroupe plus de 280 millions de baptisés dans le monde. En Russie, 70 à 80% des habitants se déclarent orthodoxes; en Ukraine également, c'est la religion majoritaire (65%). Le New York Times s'est intéressé aux tensions grandissantes au sein de cette communauté religieuse présente dans les deux camps du conflit.
Dans le nord de l'Italie, une petite paroisse affiliée à l'Église orthodoxe russe et rassemblant en majorité des fidèles d'origine ukrainienne a récemment décidé de s'opposer au patriarche Kirill, qui soutient l'invasion russe. Ce dernier considère cette guerre comme un devoir sacré pour protéger la Russie des «fléaux occidentaux» tels que les prides.
En échange de ce soutien idéologique, le patriarche perçoit de l'argent de la part du régime de Vladimir Poutine. L'archiprêtre Volodymyr Melnichuk de l'église de l'Élévation-de-la-Croix (à Udine en Italie) commente ainsi la situation: «Le patriarche de Moscou est uniquement intéressé par le soutien de l'idéologie de l'État. Il a trahi son troupeau ukrainien.» Le 31 mars, il lui a écrit une lettre pour couper les liens avec lui.
Ailleurs dans le monde, la communauté orthodoxe se divise également au sujet de la guerre en Ukraine: aux États-Unis, certains fidèles changent de paroisse, et en France, des étudiants ont réclamé à leur évêque une rupture avec le patriarcat russe. La position est intenable pour de nombreux orthodoxes ukrainiens, comme l'explique Andreas Loudaros, rédacteur en chef d'Orthodoxia.info, site basé à Athènes: «Comment pouvez-vous accepter de prier pour un patriarche qui bénit les soldats qui tentent de tuer vos fils?»
La guerre rouvre des brèches existantes
Les quinze branches de l'Église orthodoxe jouissent d'une certaine autonomie –contrairement à l'Église romaine, dont l'autorité unique est incarnée par le pape. Au sein de l'Église orientale, il existe depuis des siècles un désaccord entre le patriarche de Moscou et le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier. La guerre n'a fait qu'accélérer de manière inédite l'ostracisation du premier.
En 2019, Bartholomée Ier avait déjà rompu les liens avec Kirill, après avoir accordé l'indépendance (dite «autocéphalie») à une église ukrainienne subordonnée à Moscou depuis 1686. Selon Sergei Chapnin, un religieux russe, sur quarante-cinq diocèses d'Ukraine (soit environ 20.000 paroisses), environ vingt-deux ont cessé de mentionner le patriarche Kirill pendant les prières.
Le patriarche de Moscou a catalysé une grande partie de la colère des fidèles ukrainiens. Et pour cause: il a, à plusieurs reprises, affirmé que la Russie combattait l'antéchrist, tout en évitant soigneusement de commenter les nombreux documents prouvant le massacre de civils ukrainiens qui, pour beaucoup, sont ses fidèles.
La plupart des églises nationales n'ont pas condamné le patriarche. L'une des explications possibles, avancée notamment par le professeur d'études chrétiennes orientales et œcuméniques Christophe d'Aloisio, est que de nombreuses églises dans le monde (en Pologne, en Bulgarie, en Serbie ou encore aux États-Unis) sont directement financées par Moscou. «Lorsque vous recevez de l'argent, il n'est pas facile d'être critique», explique-t-il.
En Russie, environ 300 prêtres ont tout de même signé une pétition contre la guerre. Ces dernières années, de nombreux convertis ont cependant renfloué les rangs des églises orthodoxes russes, attirés par le fait que le président Poutine se présente comme un rempart contre l'Occident. Selon de nombreux témoignages, un clivage dans l'Église est inévitable, mais sa forme et son intensité dépendront du tournant que prendra la guerre.