En avril, il y avait des baleines dans les livres. Des poétesses pas mortes, des locataires bizarroïdes, des hikikomori, des considérations sur le genre et les abstentionnistes. Ces ouvrages restent tout à fait recommandables pour l'été –l'avantage avec la plupart des livres, c'est qu'ils n'ont pas de date de péremption– mais d'autres ont déjà pointé le bout de leur nez, rendant les choix toujours plus impossibles. Alors en voici douze, de toutes sortes et de tous horizons, à demander d'urgence à votre libraire.
«Hilaria», l'intime est politique
Son premier ouvrage, La terreur féministe, faisait imploser la phrase de Benoîte Groult, «le féminisme n'a jamais tué personne». Irene y montrait qu'au contraire, certaines avancées de la cause des femmes s'étaient parfois concrétisées dans la violence. Autopublié puis récupéré par les sensationnelles éditions Divergences, ce livre convaincant en diable appelait d'autres écrits. Et c'est avec plaisir et admiration que l'on retrouve l'autrice, dont le nouveau livre nous pousse dans nos retranchements et nous renvoie notre âgisme dans les dents –oui, on peut n'avoir que 23 ans et signer un livre aussi brillant que celui-ci, même si ça n'est clairement pas donné à tout le monde.
Hilaria, l'arrière-arrière-grand-mère d'Irene, avait 42 ans quand elle devint veuve. Elle était la mère de sept enfants. Son histoire est loin, très loin, de se résumer à ces deux caractéristiques qui ont néanmoins leur importance. À travers son histoire, Irene signe un livre d'autant plus impressionnant qu'il mêle grande fresque intimiste –l'histoire de sa famille se lit comme un roman– et réflexions poussées sur certains grands sujets de société.
Dans les librairies, il pleut désormais des essais féministes, et c'est une bonne nouvelle, mais rares sont ceux désormais susceptibles de nous remuer vraiment, de nous faire douter de nos certitudes. Hilaria est clairement de ceux-là. Qu'elle évoque l'incompatibilité entre certains courants féministes ou l'inopérance du système carcéral, Irene frappe juste. On sort forcément changé·e de la lecture de Hilaria, avec en prime l'envie de se pencher de plus près sur l'histoire récente de l'Espagne, ainsi que sur l'idéologie anarchiste.
Hilaria – Récits intimes pour un féminisme révolutionnaire
d'Irene
Éditions Divergences
154 pages
14 euros
Parution: 29 avril 2022
«Un amour», en disgrâce
Le titre du nouveau roman de l'Espagnole Sara Mesa est pleinement justifié par sa lecture, mais il est aussi trompeur que passe-partout. Il serait pourtant rageant que le public français passe à côté d'un livre complexe et rugueux, déjà auréolé de plusieurs récompenses prestigieuses en Espagne. Au départ, il est question de retour à la terre, celui d'une traductrice qui quitte la vie urbaine pour s'installer dans un petit village afin d'y mener une vie moins crispante –et accessoirement pour se concentrer sur son prochain projet.
Mais la quiétude du monde rural est parfois un miroir aux alouettes. Un logement qu'elle imaginait gorgé d'authenticité mais qui n'est que fissures et problèmes, l'adoption d'un chien qui ne lui apportera pas que des moments de bien-être, et des rencontres moins amicales que prévues vont rapidement entamer l'engouement de Natalia. Et que dire de l'étrange marché –menus services contre faveurs sexuelles– qu'elle passe avec Andreas, un jardinier sans envergure.
On navigue quelque part entre Les chiens de paille de Sam Peckinpah, Disgrâce de J.M. Coetzee et La vida nueva, prodigieux film argentin dans lequel joue l'écrivain Alan Pauls. La multiplicité des références s'impose pour un roman aux nombreuses dimensions, qui traite à la fois de l'état d'insécurité permanent dans lequel vit Natalia, seule au milieu d'hommes dont la fiabilité reste à prouver, et de la façon dont la jeune femme va renverser le rapport de domination qui la lie à Andreas. Le tout est d'une complexité pour le moins somptueuse.
de Sara Mesa
Traduction: Delphine Valentin
Grasset
208 pages
19,50 euros
Parution: 4 mai 2022
«Le storyboard de Wim Wenders», la beauté des rencontres
Rares sont les livres sur le cinéma à ne pas sombrer dans la masturbation intellectuelle ou l'autocélébration. Le storyboard de Wim Wenders échappe à ces écueils –et à tant d'autres– en célébrant l'art de la fabrication cinématographique avec précision et modestie. Spécialiste du storyboard, pratique consistant à dessiner chaque plan dont telle ou telle séquence d'un film aura besoin, le Français Stéphane Lemardelé (qui vit au Québec depuis 1995) raconte ici comment il a travaillé avec le cinéaste allemand.
Cette bande dessinée élégante, qui inclut aussi quelques photogrammes de films de Wenders, décrit la rencontre avec le réalisateur et les préparatifs du long-métrage Every Thing Will Be Fine, qui date de 2015 et dans lequel tournèrent notamment James Franco et Charlotte Gainsbourg. Pas le plus connu des films du réalisateur de Paris, Texas, mais peu importe: ce qui compte ici, c'est la façon dont s'agencent les échanges entre des êtres humains qui ont beaucoup à s'apporter mutuellement.
Chaque planche du Storyboard de Wim Wenders relève à la fois de la leçon (pas pompeuse) de cinéma et de l'épopée intimiste. On mesure sa chance de pouvoir partager des moments précieux et inespérés avec des artistes de grand talent, qui aiment passionnément ce qu'ils font, et qui savent parler de leur travail. Un album à ranger aux côtés de Faire un film de Sidney Lumet et Le dernier rêve de Stanley Kubrick d'Axel Cadieux dans cette liste des livres de cinéma à la fois humbles et ambitieux qu'il faut recommander absolument aux apprentis cinéastes.
de Stéphane Lemardelé
La Boîte à Bulles
160 pages
23 euros
Parution: 4 mai 2022
«Monterey», garage story
Le Mauricien Barlen Pyamootoo écrit comme un auteur de polars américain. Et c'est ici un compliment, tant son Monterey nous embarque dans l'existence de Nick, 16 ans au début du livre, destiné à reprendre l'épicerie de son père mais trop attiré par la réparation de voitures pour tenir une boutique toute sa vie. Travaillant la tôle comme personne, Nick est de plus en plus convoité... y compris par des types pas recommandables.
On connaît bien la rengaine du type hésitant entre existence honnête et tentation de l'argent facile. Mais l'écriture de Barlen Pyamootoo est aérienne, élastique, et l'on avance dans ce Monterey (du nom de la ville d'origine du héros) avec un appétit d'ogre. Ne basculant jamais vraiment dans le polar, tenant le roman noir à distance, le livre s'oriente plutôt du côté du récit d'apprentissage sur fond d'Americana.
Cet univers très masculin (les seuls personnages féminins sont la mère de Nick et sa petite amie) ne sort pas grandi de la lecture du livre, puisqu'il apparaît comme une machine à gâcher l'existence. Car si Nick semble disposé à basculer, c'est moins par volonté d'amasser les billets verts –même si l'argent a aussi son importance– que par envie d'appartenir à une bande de mecs capables de faire la loi sur leur territoire, d'exercer des pressions quand il le faut et de casser des gueules.
«D'allumettes et d'écailles», la disparue et la rescapée
C'est d'abord par sa construction que le premier roman de Berta Marsé (dont les nouvelles sont sorties en France sous le titre En échec) parvient à sidérer. Trois parties. Dans la première, une ado nommée Dési est aux premières loges de la disparition de sa camarade Yési, qui finira par réapparaître cinq ans plus tard, l'air de rien. Très vite, il apparaît clairement que l'autrice espagnole, bien qu'elle ait mis en place un postulat de thriller en béton armé, n'est pas juste là pour le suspense.
La deuxième se déroule dans le cadre d'un atelier d'écriture pas ordinaire, des années après les faits. C'est là que Dési va enfin prendre le temps de se retourner sur cette adolescence si particulière, perturbée par l'idée qu'elle aurait pu être la disparue, par le portrait idéal fait de Yési alors qu'elle-même se sent nulle, et par la réapparition soudaine de celle qui est entre temps devenue une icône. La romancière espagnole insiste sur l'importance de l'écriture, décrite comme un moyen d'exhumer des souvenirs importants. Et c'est puissant.
Dans le dernier acte, on replonge dans l'adolescence de Yési et Dési. Une plongée sombre et clairvoyante qui offre des clés de compréhension sans s'enfermer dans les pièges du tout explicatif, liant à jamais les destinées de deux jeunes femmes dont l'une a vécu le pire pendant que l'autre oubliait de vivre. D'allumettes et d'écailles sidère par son style dur, direct, et par sa façon de boucler la boucle de façon assez implacable.
de Berta Marsé
Traduction: Jean-Marie Saint-Lu
Christian Bourgois Éditeur
224 pages
21,90 euros
Parution: 12 mai 2022
«Dans ton cul», rue de la cruauté
On sait généralement deux choses sur Valerie Solanas (1936-1988): en 1967, elle a publié son manifeste, SCUM Manifesto, et en 1968, elle a tenté d'assassiner Andy Warhol. Le reste de son œuvre et de son existence est nettement moins connu, à l'image de l'existence de Dans ton cul (Up your ass en version originale), dont le manuscrit n'a été retrouvé qu'en 1999, onze ans après sa mort. Et qui est à l'origine de son envie de tuer Warhol –c'est une longue histoire.
Jouée pour la première fois sur scène en 2000, cette courte pièce de théâtre est aujourd'hui éditée par 1001 nuits (département des éditions Fayard), qui en 2021 avait réédité SCUM Manifesto, agrémenté d'une préface signée Lauren Bastide. Cette fois-ci, c'est Wendy Delorme (autrice, entre autres, de Viendra le temps du feu) qui préface Dans ton cul (qu'elle a elle-même traduit), insistant sur l'ironie de Solanas et sur le regard qu'elle adopte: «Valerie Solanas écrit du point de vue des putes, des gouines et des enragées.»
L'héroïne de Dans ton cul se nomme Bongi, poétesse lesbienne et travailleuse du sexe, dont la rue est le lieu de travail, qui regarde les filles, exprime sa misandrie et sa misanthropie, ne cachant pas son aversion pour un capitalisme totalement intriqué dans le système patriarcal. À l'image du personnage, la pièce est acerbe, cruelle, d'un réalisme sans fard. C'est longtemps très drôle, comme un théâtre de marionnettes où nous serions Guignol. À la fin, on rit moins. Beaucoup moins. Solanas divise, dérange, mais elle a en tout cas le mérite de ne jamais susciter l'indifférence.
«Berline», au bout du tunnel
Dans le vocabulaire des mineurs de fond, une berline, c'est le nom donné aux petits wagonnets permettant de transporter le minerai grâce au réseau de rails installés dans la mine. Nous sommes à la fin des années 1960, et le héros, un mineur nommé Fernand, se réveille coincé sous une de ces berlines après l'effondrement d'une galerie. Sa mort semblant quasiment inéluctable, notre homme se retourne sur sa vie de labeur, au gré d'un gigantesque flashback qui lui apportera au moins un peu de lumière.
Rares sont les auteurs et autrices à avoir eu le cran de situer un récit dans le secteur minier: il faut dire qu'un certain Germinal, publié en 1885, a depuis longtemps plié le jeu en beauté. Pourtant il y a d'autres vécus à raconter, d'autres histoires à partager –on en profite pour vous suggérer de visiter le fascinant Centre historique minier de Lewarde. Plume alerte et connaisseuse acérée de cet univers, Céline Righi s'y emploie avec brio.
Retraçant l'existence de Fernand, elle crée un fort sentiment de proximité et de promiscuité avec le personnage. On est à ses côtés, au fond de la mine, déjà six pieds sous terre mais pas encore tout à fait mort. Sans condescendance ni misérabilisme, l'écrivaine décrit une existence modeste, dont l'âpreté n'empêche pas la douceur. La belle épopée intime qu'est Berline réchauffe le cœur, même dans ses moments les plus difficiles.
«Fille de fer», trouver sa voie
De mine et de rails, il en est aussi question dans Fille de fer, roman québécois signé par une journaliste voyageuse qui a arpenté le globe pour ses reportages. Son héroïne, Marie, est conductrice de trains miniers. Seule femme dans un monde d'hommes, elle doit régulièrement jouer des coudes pour se faire respecter. Ce soir-là, dans le «nord du Nord» du Québec, la tempête fait rage, et son interminable convoi (plusieurs kilomètres de long) est contraint de s'arrêter en urgence.
Bien que les événements se déroulent à une époque assez proche de nous (dès les premières pages, l'héroïne écoute «Lose yourself» d'Eminem), il y a quelque chose d'intemporel dans le roman d'Isabelle Grégoire. Sans tarder, elle nous extirpe du monde tel qu'on le connaît, puisqu'après une nouvelle tuile, Marie est tirée du pétrin par un étrange ermite, un géant anglophone qui commence d'abord par la mettre profondément mal à l'aise.
À la lisière du polar et du roman d'aventures, le deuxième roman d'Isabelle Grégoire est pourtant loin de chercher le suspense à tout prix. Traversé par des enjeux féministes et environnementaux, le livre fait se télescoper des identités, des langages et des territoires, le tout au sein de l'étrange manoir forestier de l'hôte de Marie, rempli de livres et de curiosités. À l'image de ce lieu, Fille de fer opère comme un étrange et attirant refuge.
«Moïse de Casa», marche et rêve
Élevé avec sa sœur par une mère peinant à joindre les deux bouts, un petit garçon de Casablanca cultive son atypisme avec jubilation. Tandis que le roi Hassan II exhorte tous les hommes du pays à contribuer à la libération du Sahara, notre jeune héros va imaginer une autre marche, censée le mener vers la «montagne de Dieu». Cet apprenti Moïse va rebaptiser les amis qui l'entourent: Simo sera Josué, Isma jouera Aaron, Yasmine fera Séphora. Il y aura même toujours quelqu'un pour jouer... le peuple hébreu.
Nous sommes en 1975, et à cette époque, grandir sans père est considéré comme honteux –et que dire du fait de vivre sans mari. Pour oublier cette honte et le sentiment d'abandon qui l'habite, le personnage principal va déployer des trésors d'imagination et vivre avec sa bande une odyssée qui leur fera prendre des risques, les confrontera à la désillusion et à l'échec, mais qui permettra aux langues et aux cœurs de se dénouer.
Le troisième roman de Driss C. Jaydane est un enchantement: l'auteur adopte avec finesse le regard enfantin de son héros, qui tente de conserver une part de candeur malgré le froid réalisme de sa vie. Dépourvu de la niaiserie qui constitue la limite d'un certain nombre de récits à hauteur d'enfant, Moïse de Casa touche profondément parce qu'il ne prend personne pour un imbécile: ni ses personnages principaux, ni son lectorat.
«La Domestication», matriarcat
Ce roman portugais prend place dans les Yvelines, sous un régime bien différent du nôtre: la Nouvelle République française, conséquence indirecte du Grand Fléau, qui a anéanti la moitié de la population de la planète façon Thanos. Dans ce régime autoritaire, la reproduction s'opère désormais à l'aide d'utérus artificiels (la «fornication» faisant partie du passé puisqu'elle est jugée inutile) et les hommes ont été domestiqués par les femmes.
L'un des objectifs de cette société d'un nouvel ordre est de faire prospérer et perdurer la domination féminine. Les hommes ne sont plus considérés que comme des compagnons à deux pattes, qui doivent assurer la bonne tenue du foyer et fournir des quantités suffisantes de semence afin que la pérennité de l'espèce soit assurée. La politique nataliste voulue par la dirigeante Césarine impose en outre à chaque femme d'avoir au moins deux filles, afin que les femmes continuent à dominer les hommes en nombre.
Le matriarcat décrit par Nuno Gomes Garcia, auteur portugais qui signe ici son troisième livre, est porteur de mille interrogations, tant sur l'inversion des valeurs –portée, en toute cohérence, par une écriture dans laquelle «le féminin l'emporte sur le masculin»– que sur les politiques natalistes et sécuritaires inédites développées par la Nouvelle République. C'est peu de dire que La Domestication perturbe, à la manière des romans les plus convaincants de Margaret Atwood.
de Nuno Gomes Garcia
Traduction: Clara Domingues
iXe
260 pages
17 euros
Parution: 27 mai 2022
«La couvée», poulailler song
Voilà un livre qui fait du bien, parvenant à allier «feel good» et qualité littéraire. On prend du plaisir à chaque page de La Couvée, ce qui n'était pas forcément évident à première vue. Le premier roman de l'Américaine Jackie Polzin raconte tout simplement (mais pas si simplement) la vie plutôt tranquille d'un couple installé dans une petite ville du Minnesota... et de son quatuor de poules.
Gam Gam, Darkness, Gloria et Miss Hennepin County: les quatre gallinacés sont tout autant des personnages principaux que leurs acolytes humains. Sans céder aux pièges de l'anthropomorphisme, l'autrice parvient à rendre passionnante la description de leurs psychologies respectives, et addictive la peinture de leur quotidien. C'est drôle, profond, et parfois inattendu.
La Couvée traite à la fois de parentalité et de retour aux sources, et d'une question absolument essentielle que nous, lecteurs et lectrices, oublions si souvent de nous poser: mais qu'est-ce qu'on veut dans la vie, au fond? Jackie Polzin signe un véritable manifeste pour une vie choisie. Et un ouvrage formidablement antispéciste, de ceux qui ne feront même pas fuir les personnes que le militantisme débecte. Joli tour de force.
de Jackie Polzin
Traduction: Violaine Huisman
Dalva
205 pages
20,50 euros
Parution: 5 mai 2022
«La peau des filles», le cœur sous l'épiderme
À l'image de Coline Pierré en mars, Joanne Richoux signe son premier roman pour adultes après avoir signé une kyrielle de succès destinés aux ados. La peau des filles est le portrait d'un trio de femmes dont l'entrée dans l'âge adulte est loin d'avoir été un long fleuve tranquille. Divorce, anxiété, maladie: rien n'épargne Rose, Louise et Jenna, mais ces trois-là ont la peau dure. Il faut bien ça pour traverser la vie sans abandonner en cours de route. Surtout quand on est une femme.
À la suite de l'annonce d'une mauvaise nouvelle, les héroïnes de La peau des filles ne vont pas vivre l'été auquel elles s'attendaient: passant par le Puy-de-Dôme et poussant jusqu'à la côte basque, elles vont traverser le pays en proie à mille émotions. Faire le point, faire le vide, tenter de vivre aussi. Le tout se fera en musique, au gré des mille chansons écoutées par les personnages (de Black Rebel Motorcycle Club à Moos, auteur de l'inénarrable «Au nom de la rose»).
Cela pourrait ressembler à un roman léger, mais ça ne l'est pas: il y a dans l'écriture de Joanne Richoux un mélange d'inquiétude et de sensualité qui colle bien à notre époque. Les cerveaux sont surchargés et partent dans tous les sens; les angoisses diverses et variées empêchent d'atteindre la sérénité; les corps ont envie d'exister, de rencontrer d'autres peaux –l'écriture est explicite et trouve toujours le ton juste. Combinant l'esprit et la chair, La peau des filles atteint pleinement sa cible.
Tous ces livres sont de potentielles lectures de plage, parce que le concept de «lecture de plage» n'a pas grand sens. C'est juste un concept assez méprisant, qui vise autant les gens que les livres, et qui semble indiquer qu'à la plage, on doit forcément lire des romans populaires et/ou mal écrits, le temps de «débrancher son cerveau» (autre expression un peu pénible).
Or l'été, pour celles et ceux qui ont la chance de pouvoir prendre des congés et partir en vacances, peut aussi être l'occasion de se pencher au contraire sur des lectures potentiellement plus exigeantes, sur lesquelles on a le temps de s'attarder, quitte à alterner avec des ouvrages plus faciles à lire. Toujours garder en mémoire les «droits imprescriptibles du lecteur» (et de la lectrice) chers à Daniel Pennac: parmi eux se trouvent «le droit de ne pas lire», «le droit de lire n'importe quoi» et «le droit de grappiller». C'est fondamental.