Dix-huit mois après l'élection présidentielle, Donald Trump n'a toujours pas digéré sa défaite et continue de clamer haut et fort en meeting ou en interview l'illégitimité de Joe Biden. Une théorie complotiste partagée par une majorité d'électeurs républicains malgré les incidents du 6 janvier 2021 et la mise en lumière des velléités autoritaires et anti-démocratiques de son administration.
Pour s'attirer les bonnes grâces du milliardaire et de sa base, les élus trumpistes participent pleinement à ce travail de sape en rivalisant d'idées pour faire vivre le mythe du vol. C'est le cas du représentant de Floride Matt Gaetz, proche du milliardaire et membre du comité America First, qui a dévoilé un plan tout à fait légal et totalement fou visant à offrir à son père spirituel la Maison-Blanche sur un plateau.
Installer Donald Trump à la Chambre des représentants
Aux États-Unis, les «midterms» (élections de mi-mandat) ont lieu tous les deux ans. L'ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants est renouvelé, ainsi qu'un tiers des 100 sièges du Sénat. Cette grande messe électorale, dont la prochaine édition se tiendra en novembre prochain, se conclut le plus souvent par un recul du camp politique au pouvoir, entraînant parfois un changement de majorité au Congrès. Et c'est ce sur quoi compte Matt Gaetz pour mettre en œuvre son projet machiavélique.
Pour que ce plan ait une chance d'aboutir, le Parti républicain doit remporter ce scrutin et reprendre, idéalement, les deux chambres du Congrès aux Démocrates pour s'assurer le contrôle total de l'organe législatif fédéral. Un coup tout à fait réalisable alors que Joe Biden et les démocrates sont en difficulté dans les sondages.
La deuxième étape du plan Gaetz consiste à placer l'ancien président à la tête de la Chambre des représentants en le nommant «speaker», poste actuellement occupé par la Démocrate Nancy Pelosi. Le statut d'élu n'étant pas obligatoire pour cette fonction, Donald Trump n'aurait alors aucun effort à fournir hormis attendre le feu vert de la nouvelle majorité conservatrice. Il ne pourrait cependant pas jouir des pouvoirs politiques inhérents à cette mission et devrait se contenter d'un rôle d'administrateur chargé du protocole et du fonctionnement administratif de la Chambre.
Sans aucun doute, ce tour de passe-passe provoquerait une énorme crise politique. Pour éviter cela, le milliardaire pourrait tout simplement se présenter dans un district acquis à sa cause en Floride, son État de résidence, avant la date limite de dépôt des candidatures en juin 2022. Il deviendrait alors un élu comme un autre, pourrait revêtir le costume de «speaker» dans son entièreté et bénéficierait d'un pouvoir de nuisance considérable. Mais Matt Gaetz voit plus loin et plus grand.
Le «speaker», un poste stratégique
Être «speaker» de la Chambre des représentants présente un énorme avantage qui constitue la pierre angulaire du plan du représentant trumpiste de Floride. En vertu du «Presidential Succession Act» adopté par le Congrès en 1947 et signé à l'époque par le président Harry Truman, la personne qui occupe cette fonction est deuxième dans l'ordre de succession présidentielle, derrière la vice-présidente Kamala Harris.
Deux choix s'offriraient alors à Donald Trump et ses disciples: tenter un retour au pouvoir avant 2024 ou patienter jusqu'à la prochaine élection. La première option nécessiterait une très large majorité républicaine au Sénat (au moins 67 sièges sur 100) pour écarter toute opposition et destituer Joe Biden puis Kamala Harris en invoquant des motifs fallacieux. Il deviendrait alors président par intérim jusqu'à la prochaine élection. Une opération qui relève de l'impossible.
Le simple fait qu'une telle idée soit publiquement exprimée démontre l'ampleur du culte de la personnalité dont bénéficie l'ancien président.
La seconde option est plus réaliste et beaucoup plus subtile. En cas de nouvelle défaite lors de l'élection présidentielle 2024, Donald Trump et sa majorité pourraient refuser de convoquer la session de certification du vote du collège électoral, la fameuse procédure interrompue le 6 janvier 2021 par les émeutiers du Capitole. Or il n'existe pas d'autre mécanisme, et cette étape est essentielle, bien que purement formelle.
Que se passerait-il alors? Le mandat du tandem Biden-Harris expirant le 20 janvier 2025 à midi en vertu du XXe amendement de la Constitution, le contrôle de l'exécutif reviendrait alors au président par intérim –le «speaker», selon le «Presidential Succession Act»– aussi longtemps que la Chambre des représentants refuserait de compter les votes électoraux. Et dans le scénario le plus fou, Donald Trump pourrait présider (malgré sa défaite) jusqu'à l'élection présidentielle suivante, en novembre 2028.
Bien que le plan Gaetz, s'il était mis en œuvre, n'aurait qu'une infime chance d'aboutir et déboucherait probablement sur une crise constitutionnelle majeure, il met en lumière certaines failles et fragilités du système politique de la première puissance mondiale. Surtout, le simple fait qu'une telle idée soit publiquement exprimée démontre l'ampleur du culte de la personnalité dont bénéficie l'ancien président dans la sphère conservatrice et la banalisation du complotisme électoral aux États-Unis.
Si pour l'heure ce dernier a publiquement indiqué ne pas être très emballé par ce coup de poker (et d'État), les deux dernières années nous ont démontré à plusieurs reprises que l'inimaginable finit parfois par se produire.
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