Dix ans après l'accession de François Hollande à l'Élysée, le PS a réussi le tour de force d'être sous la barre des 2% et de se positionner loin derrière Jean Lassalle. Si le score de Benoit Hamon avait pu surprendre quelques-uns, la déroute d'Anne Hidalgo en 2022 n'a plus grand-chose d'une surprise.
Un an auparavant, les élections régionales avaient pourtant nourri l'espoir des socialistes que leur parti était encore vivant. Avec cinq régions remportées à dix mois de la présidentielle, le PS bombait le torse. «Les élections locales ont donné l'illusion que c'était un parti de premier plan, explique Rémi Lefebvre, politologue auteur de Faut-il désespérer de la gauche. Mais il y a eu une prime au sortant et une abstention élevée, donc c'était un trompe-l'œil.»
Un constat partagé par une membre du bureau national des socialistes qui préfère garder l'anonymat: «On a gagné des régions, et donc d'après Olivier Faure, le socialisme municipal fonctionnait bien. Mais c'était le fruit du travail effectué sur le terrain et pas par le parti. Si le parti avait fait le travail, ça aurait dû se voir à la présidentielle!»
Un responsable nommé François Hollande?
Mais comment se sont-ils mis dans cette galère? Majorité à l'Assemblée nationale, au Sénat, au sein des régions… Le mandat de François Hollande commence par une domination écrasante. Un vote d'adhésion ou un vote de sanction? «Le Parti socialiste a tout raflé par anti-sarkozysime, analyse encore Rémi Lefebvre. Il y a eu une domination artificielle dans un schéma où, quand un parti arrivait au pouvoir, il obtenait tout.»
Les socialistes se sont divisés entre différents courants, sans trop réussir à imposer leurs idées et leur sémantique.
Quatre ans et demi plus tard, le président sortant, en incapacité de se représenter, jette l'éponge. Beaucoup de socialistes sont déçus. Après avoir initialement promis de faire de la finance son ennemi, l'ancien député corrézien flexibilise le code du travail et offre un avantage fiscal massif pour les entreprises. «Anne Hidalgo a aussi payé le prix du quinquennat catastrophique de François Hollande, pense le politologue. Mais elle n'a pas pu s'en écarter, elle l'a associé à ses meetings!»
François Hollande, seul responsable? «En France, on n'a pas réussi à repenser la gauche depuis la chute du mur de Berlin, répond Maude Clavequin, une dizaine d'années de militantes PS au compteur. Dans certains pays, la gauche a su renouveler son discours par rapport à l'économie de marché. Nous, on a tergiversé.» Elle trouve un peu facile de remettre l'intégralité de la faute sur l'ancien président. La chute de la maison socialiste viendrait de plus loin et surtout d'un manque de clarification idéologique.
Sans ligne claire et avec peu d'espace politique, des socialistes se sont davantage retrouvés ailleurs. Une partie des militants et des cadres est allée voir ailleurs, sur sa droite ou sur sa gauche. Comme certains de ses anciens camarades, Maude Clavequin a opté pour une alliance avec le courant macroniste, avec l'espoir tout de même de le tirer davantage vers la gauche. «Pour marcher, il faut une jambe droite et une jambe gauche», résume-t-elle. Dans l'espoir de rééquilibrer le quinquennat, elle a d'ailleurs rejoint Fédération Progressiste, le nouveau parti de l'ancien socialiste François Rebsamen.
«On ne servait à rien»
Maude Clavequin est l'une de ces milliers de déçus pour qui le PS a longtemps compté. Elle a siégé au bureau national, lieu où la ligne politique est définie. «Nous n'avons pas réussi à mettre en place des structures qui permettent de proposer un réel projet, estime-t-elle avec amertume. Le plus gros problème, ça a été un manque de travail sur cette dernière décennie.»
«On nous jure que tout va bien, mais avec moins de 5%, on risque la faillite financière. Et si c'est pour reconstruire avec les mêmes qui nous ont coulés… stop!»
Un ancien conseiller en économie du parti a eu le sentiment d'avoir été peu utile lors du dernier quinquennat socialiste. «On ne servait à rien, on ne nous demandait rien, résume-t-il. Ce dont je me souviens, c'était l'absence de travail organisé, de construction idéologique.» Selon lui, toutes les décisions et la construction idéologique étaient prises en Conseil des ministres quand François Hollande était au pouvoir. Conséquence: l'exécutif applique une politique sociale-démocrate pour laquelle le «Président normal» n'avait pas été élu, et Manuel Valls est nommé Premier ministre, alors qu'il n'avait récolté qu'un peu plus de 5% des voix à la primaire 2011.
La machine socialiste s'est rouillée, et une cadre croit savoir pourquoi: «Je pense que les éléphants du parti ont manqué, car ils savent mener une campagne. Ils ont été mis de côté par une bande de jeunes pas armés pour pouvoir mener bataille à la présidentielle.» Elle regrette qu'Anne Hidalgo n'ait pas le profil idoine qu'elle imaginait: elle n'a jamais été ni députée, ni ministre. Et en plus, elle aurait été «tuée» par cette «bande de jeunes». Amère, cette cadre résume la situation d'une comparaison: «À la tête du parti, ce sont des gens qui ont mangé sans préparer les plats, ni mettre le couvert, et ils ne savent pas le faire de toute façon!»
Tandis que l'extrême droite démocratisait son lexique idéologique, au point que la candidate LR se soit réappropriée, le temps d'un meeting au Zénith de Paris, le «grand remplacement», les socialistes se sont divisés entre différents courants. Sans trop réussir à imposer leurs idées et leur sémantique. «On a confisqué le débat aux militants, donc il n'y a pas de débat d'idées regrette Maude Clavequin. Le parti a passé son temps à trouver d'autres personnes pour porter ses idées. Aux Européennes, on a choisi Raphaël Glucksmann. Puis Olivier Faure a essayé de convaincre tout le monde qu'il fallait faire un rapprochement avec EELV.»
Et demain?
«Quel espace politique existe-t-il pour le centre-gauche aujourd'hui? La gauche du mouvement ne croit plus au PS, et son aile droite a rejoint Emmanuel Macron.» À l'heure de jouer les Madame Irma, Rémi Lefebvre n'est pas bien positif. Avec un score de moins de 2%, l'avenir du mouvement fondé en 1969 pourrait s'écrire en pointillé… mais ce n'est pas si sûr. «Les partis politiques ça peut agoniser pendant longtemps, rappelle-t-il. On a déjà vu par le passé que les partis peuvent persévérer dans leurs êtres.» Même en étant l'ombre de ce qu'ils ont été par le passé, le Parti communiste et le Parti radical sont toujours debout. Le politologue ne sait pas si le PS prendra la même voie, mais il s'essaie tout de même à une prédiction: l'éviction probable d'Olivier Faure.
Membre de longue date du PS, la cadre du bureau national souhaitant rester incognito confie avoir voté Hidalgo par fidélité. Et pourtant, le vote Fabien Roussel l'a tentée. Quoi qu'il en soit, pour elle, l'affaire est entendue: «Je pense que ce parti est mort. J'aimerais beaucoup voir les comptes, parce qu'on n'arrive pas à les avoir. On nous jure que tout va bien, mais avec moins de 5%, on risque la faillite financière! Et de toute façon, si c'est pour reconstruire avec les mêmes qui nous ont coulés… stop!»