C'est une annonce en grande pompe qui a été suivie par un important battage médiatique. La nouvelle a même fait l'objet d'un sujet au JT de TF1. Une solution efficace aurait été découverte pour diagnostiquer très facilement l'endométriose: un test salivaire développé par la start-up lyonnaise Ziwig. L'Endotest, c'est son nom, permettrait d'extraire de la salive des biomarqueurs, ici des microARN, un type d'ARN non-codant pouvant être transcrit par tous les types cellulaires. Parmi tous les microARN présents dans l'organisme, 109 ont été identifiés par Ziwig comme étant la signature d'une endométriose. Du jamais-vu.
Une révolution contre l'errance médicale
L'endométriose se caractérise par la présence hors de la cavité utérine de tissus similaires à celui de l'endomètre, la muqueuse intérieure de l'utérus qui se désagrège pendant les règles. Comme l'endomètre, ce tissu réagit aux hormones du cycle menstruel. Par conséquent, au moment des règles, ils saignent, peuvent créer de vives douleurs et des adhérences entre les organes de la cavité abdominale, limitant leur mobilité naturelle. L'endométriose peut se révéler très handicapante et provoquer des problèmes de fertilité.
La commercialisation de ce test serait une révolution. Aujourd'hui, seules la chirurgie et l'imagerie médicale permettent de savoir si une femme a une endométriose. Les techniques chirurgicales peuvent être très invasives, et peu de professionnels de santé sont formés à la recherche de la maladie. Le délai de diagnostic est aujourd'hui évalué à sept ans.
Anna Stevenson, elle, a attendu trente ans avant de connaître la cause de ses douleurs. En février 2021, elle a créé le collectif de patientes AAERS, qui œuvre pour le partage de l'information scientifique relative à l'endométriose. La semaine dernière, après l'annonce fracassante du test salivaire, elle a publié sur son compte Instagram un post appelant à la prudence.
Un problème de méthode?
L'étude qui montre que l'Endotest permettrait d'identifier 96% des patientes atteintes d'endométriose, conjointement financée par Ziwig et par le Conseil régional d'Île-de-France, a été publiée en accès libre sur le site MDPI, un éditeur de revue scientifique. Un site «prédateur» pour certains, c'est-à-dire peu attentif à la rigueur scientifique et dont les frais à payer pour publier peuvent atteindre plusieurs milliers de dollars. «Beaucoup de journaux sont affiliés à MDPI [MDPI est un éditeur, une plateforme qui agrège le contenu de plusieurs revues scientifiques, ndlr]. Je ne suis pas si négative sur ce point. En revanche, ça a pu être une solution trouvée par l'équipe de recherche pour publier leur étude très, voire trop rapidement. Le problème se situe plutôt dans la méthode», avance Ludivine Doridot, chercheuse en épigénétique à l'Institut Cochin et maîtresse de conférence à l'Université de Paris.
Plusieurs points méthodologiques ont été soulevés par le collectif AAERS et par des scientifiques. D'abord, le nombre de cas étudiés: 200 femmes, toutes non-fumeuses. Parmi elles, 153 ont une endométriose. «Ce n'est pas énorme, soit, mais ce n'est pas si petit que ça quand même. C'est déjà pas mal pour une première», explique la chercheuse. Chez Ziwig, on insiste sur le fait que l'étude a été réalisée avec un algorithme et des modèles mathématiques très puissants. Gilles Doumer, vice-président de Ziwig, précise: «Il faut lire notre étude avec les yeux de quelqu'un qui connaît l'intelligence artificielle et non pas avec la grille de lecture qu'on a traditionnellement dans les études où on a besoin de 10.000 patientes.»
L'erreur résiderait plutôt dans le manque d'explication au sujet de la stratégie utilisée: l'étude n'est pas validée par une validation externe sur des patientes indépendantes. Or, cette étude complémentaire permettrait d'appuyer, ou non, le premier résultat. «Normalement, un algorithme “apprend” à partir d'un jeu de données partiel. Par exemple, 30 patientes sans endométriose et 100 avec. Puis, le modèle proposé est testé sur le reste des données que l'algorithme ne connaît pas: les 17 autres patientes sans endométriose et les 53 avec endométriose, afin de valider le modèle, pointe Ludivine Doridot. Le risque principal est que le test ne fonctionne pas chez de nouvelles patientes.»
Chez Ziwig, on confirme en partie l'explication, en y ajoutant un «mais». «Ce n'est pas tout à fait vrai avec l'IA: on n'en a pas besoin car on est dans un système apprenant. C'est-à-dire qu'il faut, en plus de vos 153 patientes, des patientes dont vous êtes sûrs qu'elles ont toutes les symptômes de l'endométriose, sans avoir la maladie. On les appelle des patientes discordantes. Vos algorithmes et votre IA vont alors apprendre à reconnaître les patientes qui ont toutes les symptômes cliniques, mais pas d'endométriose. Grâce à cela, l'IA est capable de faire la différence, car elle ne va pas trouver les microARN relatifs à l'endométriose tels qu'on les a vus dans les 150 patientes avant», note Gilles Doumer, avant de préciser qu'une nouvelle étude sur 1.000 patientes est en cours.
Des militantes alarmées
L'étude a depuis été ajoutée sur le site de référence en matière de revue scientifique, PubMed. Mais plusieurs «reviewers», chargés de relire l'étude, ont pointé des lacunes dans le texte. L'un d'entre eux explique que les résultats sont certes «impressionnants», mais que «les conclusions tirées sont trop définitives». Il rappelle, lui aussi, qu'aucune validation n'a été effectuée sur une population externe. En bref: on ne sait pas si ce test est fiable et s'il pourrait devenir une réelle stratégie de dépistage pour l'endométriose, contrairement à ce qui a été exposé dans les médias.
D'après Anna Stevenson du collectif AAERS, les démonstrations de soutien et de promotion auraient dû être plus modérées. Cette fulgurante médiatisation a alarmé plusieurs militantes impliquées dans la lutte contre l'endométriose, comme Marie*: «Certaines femmes m'ont déjà demandé si elles pouvaient reporter, voire annuler leurs opérations qui pourraient permettre de poser un diagnostic.» «Elles auraient tort d'annuler, réagit Gilles Doumer. Il faut faire confiance à la médecine au moment où on en a besoin.» Et d'ajouter: «D'après les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), si on leur fait une chirurgie pour un diagnostic, elles sont hors des clous et leur chirurgien n'a pas lu les recommandations.»
Un test à plusieurs centaines d'euros
Le vice-président de Ziwig précise également être en négociation avec les autorités sanitaires, notamment la HAS, chargée d'évaluer les produits de santé en vue d'un potentiel remboursement. Contactée, la HAS tempère et précise avoir été en contact avec Ziwig, mais ne pas être en «négociation». «Aucun dossier n'a été déposé pour l'instant. Nous n'en sommes qu'à des contacts préliminaires», détaille le service presse. Une fois le dossier déclaré comme éligible, la HAS aura soixante jours pour rendre sa décision.
La 14 février dernier, Daniel Vaiman, chercheur à l'Inserm et responsable de l'équipe Génomique, épigénétique et physiopathologie de la reproduction à l'Institut Cochin, analysait cette nouvelle dans Le Journal des Sciences sur France Culture: «C'est prometteur, mais il y a encore un certain nombre de limites, voire des limites très importantes, notamment le coût.» L'Endotest devrait effectivement coûter plusieurs centaines d'euros. Affaire à suivre.
* Le prénom a été changé.