«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par WhatsApp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
C'est l'année de mes 25 ans (j'en ai 24 à l'heure actuelle) et je suis flippée comme jamais.
Je t'explique: j'ai passé une année 2021 de merde. La pire depuis très longtemps, entre redoublement de master, difficultés financières pour payer mes études et difficultés familiales (mon père est un gros con) et isolement. La seule lumière de cette année fut mon copain.
Je l'aime, si tu savais… nous allons fêter notre premier anniversaire d'ici un mois, et j'ai l'impression que je gâche tout ce qu'il y a entre nous.
Depuis le début de notre relation, il a été irréprochable, le gendre idéal. Gentil, romantique, attentionné… bref il est parfait. Le problème vient de moi: mes angoisses, ma peur de l'abandon, mes complexes, ma situation beaucoup plus instable que la sienne (il est pâtissier et gagne un bon salaire, tandis que je peine à joindre les deux bouts à la fin du mois). J'enchaîne les mauvaises nouvelles depuis deux semaines, et je n'arrive pas à garder la tête haute.
Je n'ai qu'une envie, c'est de rester dans mon lit… il est là pour me donner un coup de pied au cul, surtout que nous somme en pleine recherche d'appartement pour nous deux. Le problème c'est que j'ai l'impression que pour lui tout va bien et je culpabilise de devoir lui faire subir ma situation merdique. J'ai peur qu'il se réveille un jour en se disant qu'il ne veut plus de moi et de ma vie chaotique.
Avant lui j'ai toujours été très indépendante, mais depuis que je suis avec lui, la vie fait que j'ai l'impression d'être une handicapée, un poids. Il a beau me dire que non, mes angoisses font que je me dis qu'il serait plus heureux avec une fille plus gentille que moi, plus riche, plus belle… Ainsi j'oscille entre la honte d'être dépendante de lui et la culpabilité de me dire qu'il mérite mieux. Il suffit qu'il me dise un mot pour que je l'interprète mal et que ça parte en crise…
À chaque dispute je m'emporte, et je peux avoir des paroles qui dépassent ma pensée. En fait, j'ai l'impression de le pousser à bout, jusqu'a ce qu'effectivement il me lâche et que je me dise que j'avais raison d'avoir peur.
Je sais qu'il m'aime, rationnellement il me le prouve presque tous les jours, mais jusqu'à quand? Et quand il se sera lassé de moi ? Je vrille à chaque déception, je ne fais que pleurer à cause du stress, et je me cache de plus en plus par crainte qu'il me voie car j'ai honte d'être comme ça. Je ne veux plus me laisser emporter par les émotions, mais d'un autre côté, j'ai l'impression qu'en ce moment la vie ne me fait pas de cadeau.
J'ai besoin d'aide, vraiment, je ne veux pas le perdre. Mais je n'arrive plus à gérer ce trop plein d'émotions en moi.
M.
Chère M.,
J'ai longtemps souffert du même mal que vous: celui de penser qu'on est avantageusement remplaçable par n'importe qui. J'ai passé les cinq premières années de ma relation actuelle à activement chercher une femme plus jeune que moi, plus mince, plus heureuse et épanouie, en meilleure situation financière aussi. Mon compagnon a supporté cette lubie avec abnégation tout en me répétant que ce n'était pas nécessaire.
Ça a pris du temps mais quelque chose a changé en moi. J'ai réalisé, un peu tard certes, que s'il était en couple avec moi c'est parce qu'il l'avait choisi. Et que si je l'aimais c'était aussi pour son intelligence. À chaque fois que je remettais en cause sa capacité à choisir avec qui il avait envie de passer son temps, et même sa vie, j'insultais au passage son intelligence. Il ne m'en a jamais voulu, mais moi je m'en suis voulu.
Oui, après m'en être voulu de l'accaparer alors qu'il aurait pu être en couple avec une femme qui lui conviendrait plus, je m'en suis voulu d'avoir douté de sa capacité à faire des choix par lui-même. Et puis quelque chose a encore changé. Je crois que je me suis rendue compte que je m'en voulais toujours pour quelque chose. Et j'en ai eu marre.
Ça m'a pris une dizaine d'années mais j'estime désormais que si les gens sont dans ma vie, c'est qu'ils sont consentants. Que je laisse suffisamment de portes de sortie pour que ce soit le cas. Et que s'ils décident de rester, c'est parce qu'ils m'aiment. Parce que je mérite d'être aimée. J'écris ces mots sans rougir mais j'ai bien conscience qu'il y a encore une poignée d'années encore, ils m'auraient fait me terrer de honte dans un trou.
Que faire alors? Parce qu'en attendant, il est question de douter de soi et de souffrir, et vous savez, comme moi, que ce n'est pas très confortable. Personnellement, plusieurs éléments ont joué. Le temps a servi de preuve. Vous êtes en couple avec votre amoureux depuis un an. Au bout de cinq, dix, quinze ans, vous entendrez peut-être qu'il a VRAIMENT envie d'être avec vous. De même pour les amitiés.
Et puis il y a le chemin que vous ferez avec vous-même. Je vais être très claire avec vous, si vous n'avez pas envie de le jouer au petit bonheur la chance, je vous conseille la thérapie. Il semble que dans votre histoire, il y ait pour vous des raisons de douter de vous et de douter de votre légitimité à être heureuse. C'est un bagage que malheureusement beaucoup de personnes partagent, et il n'y a aucune fatalité à le traîner plus de temps que nécessaire. Vous pouvez vous en affranchir.
Il y a des moments dans la vie où on cumule les épreuves. Où des soucis de santé s'ajoutent aux financiers, où des personnes qu'on croyait proches nous lâchent. On a l'impression que tout ça arrive par grappe et que ça nous écrase. On a l'impression que le sort s'acharne. C'est là, spécifiquement dans ces moments-là, que ça a du sens d'être en couple ou plus globalement d'être aimée et accompagnée dans la vie. On n'est pas avec les gens juste pour les moments joyeux. On est là aussi pour traverser ensemble la tempête.
Ce que vous pensez être actuellement un geste de pitié ou de désœuvrement de votre compagnon, c'est un geste d'amour désintéressé. Il ne remet pas en cause sa présence pendant la crise parce qu'il est là aussi pour ça. Ça veut aussi dire ça, de vous aimer. C'est vous aimer quand vous n'êtes pas bien, quand vous avez besoin d'aide, quand vous doutez. Pour vous, pour lui, pour l'avenir de votre couple, ce serait aussi une preuve d'amour de votre part de travailler sur vous pour que les choses changent.
Les difficultés familiales, financières, médicales, vous n'y pourrez pas toujours quelque chose. Mais soulager de vos épaules, et des siennes, le poids de votre bagage émotionnel, ça, vous le pouvez. Si vous l'aimez aussi fort, aimez-vous, aussi, comme il vous aime.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: