Culture

Le roman houellebecquien, un nouveau courant littéraire?

Temps de lecture : 5 min

Souvent présenté comme le plus grand romancier français de notre temps, Michel Houellebecq a son propre adjectif sans toutefois faire école.

Michel Houellebecq aux Dialogues sur l'Europe le 25 avril 2019 à Paris. | Lionel Bonaventure / AFP
Michel Houellebecq aux Dialogues sur l'Europe le 25 avril 2019 à Paris. | Lionel Bonaventure / AFP

Début décembre 2021. Sous les dorures de l'amphithéâtre Richelieu de l'Université Paris-Sorbonne, appuyé par les rires d'un public acquis à sa cause, Michel Houellebecq disserte sur son œuvre: «Je suis en désaccord avec l'idée qu'il faut accepter le monde tel qu'il est. [...] Je raconte le monde tel qu'il est mais je ne l'accepte pas.» L'auditoire savoure.

À l'occasion de la séance inaugurale d'un séminaire universitaire revenant sur l'héritage de l'écrivain, Houellebecq est sorti de sa retraite promotionnelle entamée quelques années plus tôt à la sortie de son dernier livre, Sérotonine. Il a accepté d'évoquer publiquement sa conception de la littérature juste avant la publication d'Anéantir, une fiction politique de 736 pages où l'auteur de 65 ans traite de la question de la fin de vie.

Repère d'une époque

Depuis son premier roman L'extension du domaine de la lutte paru en 1994, Michel Houellebecq s'est imposé comme une voix singulière de la littérature française, traduite dans une quarantaine de langues, qui rythme le calendrier de publications et capte l'attention médiatique. On commente, analyse et critique ses romans à la lumière de l'actualité et des formules polémiques qui y figurent. «Je deviens une espèce de repère dans l'imaginaire d'une époque», constate-t-il enfoncé dans son fauteuil ancien. La presse littéraire a d'ailleurs inventé un mot pour faire de Michel Houellebecq une valeur de comparaison: houellebecquien.

«Plus ça va, plus on entend parler du terme houellebecquien, remarque Agathe Novak-Lechevalier, maîtresse de conférences à l'Université de Paris-Nanterre et autrice de Houellebecq, l'art de la consolation. Il est notamment employé par la critique pour décrire le travail d'autres écrivains.» Nombreux sont les primo-romanciers ou les auteurs installés s'essayant à un genre nouveau qui sont immédiatement comparés au prix Goncourt 2010. Lors de la rentrée littéraire de septembre, plusieurs romans comme ceux de Marin de Viry, L'Arche de mésalliance ou celui d'Abel Quentin, Le voyant d'Étampes, ont reçu l'étiquette.

«Je ne sais pas si on peut parler d'un type de roman houellebecquien. Cela renvoie davantage à une vision du monde», tranche la spécialiste lorsqu'il est question d'interroger l'influence de Michel Houellebecq sur la littérature contemporaine. Cette vision désenchantée, l'écrivain la décline au fil de ses romans. Depuis près de trente ans, il pose un regard décapant voire cruel sur la société de consommation.

Retour au réel

Dans l'univers que dessinent les romans de l'auteur des Particules élémentaires s'installent les rayons de supermarché criards, l'autoroute, les tours des bureaux sinistres, les animateurs de télévision comme Julien Lepers ou Jean-Pierre Pernaut et les hommes politiques comme François Hollande ou Éric Zemmour. «Michel Houellebecq a participé à une forme de retour au réel dans la littérature contemporaine», note Caroline Julliot, maîtresse de conférences à Le Mans Université qui dirige l'ouvrage Misère de l'homme sans DieuMichel Houellebecq et la question de la foi avec sa consœur Agathe Novak-Lechevalier.

Influencé par des auteurs de science-fiction comme Maurice Georges Dantec ou Howard Phillips Lovecraft mais surtout par le roman réaliste du XIXe siècle, l'écrivain a toujours eu pour projet de représenter le monde contemporain et d'explorer les mouvements qui le chahutent. «L'ambition de Michel Houellebecq est de trouver les failles de la société et d'appuyer dessus», met en perspective Caroline Julliot.

De la sorte, Michel Houellebecq pousse le réalisme jusqu'à l'exacerbation et le met sous tension. À l'hiver 2015, Michel Houellebecq signe Soumission. L'intrigue débute à l'approche du scrutin présidentiel de 2022. Il y décrit une France où des affrontements identitaires éclatent et l'élection d'un président de la République issu d'un parti politique musulman s'impose comme un recours. Interrogé par un auditeur de l'antenne de France Inter sur la vraisemblance de cette projection le jour de la sortie du livre, le romancier détaillera: «Il faut beaucoup plus de temps, il faut plusieurs dizaines d'années. C'est un effet de concentration et de dramatisation classique.»

Anticipation

Michel Houellebecq est coutumier de l'anticipation proche. C'est peut-être là l'un des traits les plus caractéristiques de son œuvre. «Beaucoup de ses livres se déroulent quelques mois ou quelques années après la publication de ses romans. C'est une manière de parler du monde contemporain sans sombrer dans la chronique journalistique tout en s'éloignant de la science-fiction classique», détaille la spécialiste de l'écrivain, Agathe Novak-Lechevalier.

Émerge un réel flottant où se côtoient des personnages fictifs et des figures publiques. La frontière se brouille. «Il entretient la confusion comme s'il aimait être mal lu. Il donne la sensation d'être toujours sur une ligne de crête entre le réel et la fiction», remarque Caroline Julliot qui avait également questionné la place de la transgression dans l'œuvre de Michel Houellebecq dans Extension du domaine de la norme ou transgression de la transgression.

Cette promiscuité entre êtres de papier et protagonistes existants n'est pas nouvelle en littérature. «Il écrit comme au XIXe siècle, tranche Caroline Julliot. Il a une conception naturelle de la narration.» À l'inverse des tenants du Nouveau Roman, courant qui a agité la deuxième moitié du XXe siècle et visait à refonder la notion de personnage, Michel Houellebecq se coule dans le moule des auteurs classiques. «Pour lui, Balzac est le père de tout romancier», rappelle Agathe Novak-Lechevalier.

Bellanger, Messina et Duteurtre

L'auteur de Plateforme n'éprouve pas le désir d'être à l'origine d'innovations stylistiques. Il y a assez peu de formalités reconnaissables dans l'écriture de Michel Houellebecq. L'une d'entre elles a été largement reprise par Aurélien Bellanger, romancier qui revendique l'influence de Houellebecq sur son écriture: les digressions scientifiques. Lors de ses premiers romans, l'auteur d'Anéantir avait pris l'habitude de citer de longs passages informes de rapports scientifiques ou de s'inspirer de notices d'encyclopédies afin de renforcer l'effet bibliographique de son approche. Un procédé repris par Bellanger dans Le Grand Paris en 2017 et dans La théorie de l'information, en 2012. Ce dispositif avait d'ailleurs valu à Houellebecq, au début de sa carrière, le reproche d'une absence de style.

Si Aurélien Bellanger se réclame du sillon houellebecquien (il est d'ailleurs entré en littérature avec la publication en 2010 d'un essai à la gloire de son maître, Houellebecq, écrivain romantique), il n'est pas le seul. Depuis la publication de son premier titre, Faux départ, Marion Messina partage une correspondance privée avec Michel Houellebecq et a plusieurs fois fait part de sa joie d'être comparée à lui. Des auteurs plus confirmés comme Benoît Duteurtre ou Marin de Viry affichent leur proximité avec le romancier.

Mais tous les écrivains n'exhibent pas la paternité. «Michel Houellebecq vitrifie tellement les rentrées littéraires que les jeunes auteurs rechignent à se définir comme houellebecquiens», pointe Agathe Novak-Lechevalier. Le nom Houellebecq peut écraser. Les nouveaux romanciers en quête d'une identité propre craignent d'être enfermés dans l'ombre du mentor.

Dans le même temps, les sorties médiatiques de Michel Houellebecq peuvent froisser. «Michel Houellebecq ne fait pour l'heure pas école de manière revendiquée», relève Caroline Julliot. Le romancier a des adeptes, mais il n'a pas pour autant fondé de genre. Seul Houellebecq fait vraiment du Houellebecq et l'industrie du livre s'en satisfait.

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