Dormir d'une seule traite sans interruption nous semble naturel. Pourtant, pendant des milliaires, le temps de sommeil se divisait en deux: une première période le soir et une autre à partir du petit matin.
C'est ce que démontrent les travaux de l'historien Roger Ekirch. Tout débute au début des années 1990, lorsque l'homme tombe sur un témoignage datant de 1699 d'une jeune femme prénommée Jane Rowth. Celle-ci raconte le soir où sa mère a été assassinée dans un village au nord de l'Angleterre. Des hommes seraient venus la chercher juste après leur premier sommeil de la soirée. Ce qui frappe Roger Ekirch dans cette déposition est la mention de «premier sommeil». Elle indique implicitement qu'il existe un second sommeil.
Une pratique répandue
Dans les mois qui suivent, l'historien découvre de nombreuses autres références à ce «sommeil biphasique», et pas seulement en Angleterre. Il apparaît ailleurs en Europe, mais aussi dans d'autres parties du monde comme l'Afrique, l'Asie ou encore l'Amérique du Sud. Roger Ekirch s'aperçoit également que cette organisation du sommeil est loin d'être une particularité du Moyen Âge. La première trace trouvée par l'historien remonte au VIIIe siècle avant J.-C., dans L'Odyssée d'Homère, et les dernières datent du début du XXe siècle. Alors comment s'organisait ce «sommeil biphasique»?
Au XVIIe siècle, l'on dormait une première fois de 21h à 23h. Commençait ensuite le réveil nocturne, qui durait jusqu'à 1h du matin. Durant cette période connue sous le nom de «veille», chacun s'occupait à sa manière. Les paysans pouvaient surveiller leur bétail ou effectuer des tâches ménagères, les chrétiens accomplir certaines prières spécialement dédiées à la veille, et les personnes de nature philosophique réfléchir. Les gens utilisaient surtout ce moment pour socialiser de manière plus décontractée qu'en journée. C'était aussi un temps privilégié pour les maris et les femmes. Après ces quelques heures d'éveil, l'on retournait se coucher jusqu'à l'aube, voire plus tard selon la durée de la veille. C'est ce qu'on appelait le sommeil «matinal».
Cette division du sommeil –très répandue auprès de nombreuses espèces animales– a quasiment disparu chez les humains au début du XIXe siècle avec la révolution industrielle. «L'éclairage artificiel a naturellement permis aux gens de se coucher plus tard», explique Roger Ekirch. Cependant, l'on devait toujours se réveiller à la même heure le matin. L'historien pense alors que pour pouvoir s'adapter à ce nouveau rythme, le sommeil est devenu plus profond. Les gens ont donc cessé de se réveiller naturellement au début de la nuit.