Il y a un an, le 6 janvier 2021, une foule d'un millier d'individus déferlait sur le Capitole, le siège du Congrès américain à Washington, alors que députés et sénateurs étaient en train de certifier les résultats de la présidentielle de novembre 2020 qui avait signé la défaite de Donald Trump.
Galvanisés par un vaincu persuadé d'avoir été «volé» de son second mandat à la Maison-Blanche par une «élection truquée», les émeutiers, pour certains armés d'explosifs, passèrent les lieux à sac, et les images de ce qu'on ne tarda pas à qualifier de tentative de coup d'État firent instantanément le tour du monde. L'assaut a fait cinq morts, dont une militante trumpiste abattue par un policier alors qu'elle essayait, avec un groupe d'insurgés, de défoncer une porte menant à des parlementaires en train d'être évacués in extremis.
Comme lors de la manifestation «Unite the Right» à Charlottesville en août 2017, qui avait vu un terroriste suprémaciste foncer sur la foule avec sa voiture, tuer une militante antiraciste et faire une vingtaine de blessés, le rôle de catalyseur de violence des réseaux sociaux «alternatifs» prisés par l'extrême droite, comme Gab et Parler, est souvent mis en avant pour justifier toujours plus de censure des propos haineux et plus généralement fanatiques dans le monde numérique.
Or, si de telles mesures peuvent tomber à première vue sous le sens, une étude sortie mi-décembre en prouve une nouvelle fois tout le caractère contre-productif: censurer les extrémistes ne les assagit pas. Au contraire, cela les incite à créer des communautés toujours plus soudées et moralement homogènes qui, parce qu'elles ne rencontrent aucune contradiction ni aucun contrôle social d'aucune sorte, s'enkystent et filent tout droit vers le pire.
L'unisson fait la violence
Publié dans la revue Social Psychological and Personality Science et mené par des chercheurs en psychologie, informatique et neurosciences de l'Université de Californie du Sud, dirigés par le psychologue social Mohammad Atari, ce travail se fonde notamment sur l'analyse de dizaines de millions de messages postés sur le réseau Gab –tristement célèbre, entre autres, pour avoir abrité le profil de Robert Bowers avant qu'il n'ouvre le feu en 2018 dans une synagogue de Pittsburgh et commette le plus grand massacre de juifs de toute l'histoire des États-Unis.
L'article d'Atari et de ses collègues passe également au crible plus de 900.000 messages d'un forum d'incels, cette idéologie d'exclus du marché sexuel unis dans leur misogynie et à laquelle on doit là encore plusieurs attaques meurtrières depuis le milieu des années 2010. Représentant un échantillon de 34.165 internautes, cette seconde analyse confirme les effets délétères de la «convergence morale» qui s'exprime dans les «chambres d'écho» où s'amassent les exclus des plateformes dominantes, et où biais tribaux et mentalité d'assiégé se retrouvent en roue libre.
L'étude conclut que plus les opinions sont à l'unisson dans un groupe, plus ses membres sont prompts à la violence contre tous ceux qu'ils estiment être des «étrangers». Pourquoi? Comme le détaille la seconde partie du papier, plus expérimentale, parce qu'une perception d'homogénéité morale a tendance à déclencher chez les humains un sentiment viscéral d'unité avec leur groupe. Ce qui, ensuite, peut les amener à tout risquer pour lui, y compris à se radicaliser dans leurs propos, leurs comportements et à s'en prendre violemment à leurs «adversaires» afin de renforcer, protéger et préserver leur «communauté».