Quel est le point commun entre manger une tomate mozzarella et recevoir sa dernière paire de chaussures achetée en ligne deux semaines plus tôt? Les chauffeurs routiers. Sans eux, pas de tomate importée d'Espagne et de mozzarella venue d'Italie dans l'assiette, ni de nouveaux sneakers fabriqués en Chine aux pieds. Et, depuis le début de la crise sanitaire, les difficultés d'acheminement des marchandises vont croissant.
Selon une estimation de l'American Trucking Associations, le secteur observe une pénurie de 80.000 chauffeurs routiers. Cette carence en main-d'œuvre n'est pas propre aux États-Unis. L'Union internationale des transports routiers a mené une enquête auprès de 800 entreprises de transport dans plus de 20 pays démontrant qu'environ 20% des postes n'ont pas été pourvus sur les continents européen et asiatique au cours de l'année 2021.
Le problème n'est pas nouveau. Depuis des années, les analystes et les groupes industriels alertent partout dans le monde. Les perturbations de la chaîne d'approvisionnement dues à la pandémie n'ont fait qu'exacerber le problème. Alors, comment expliquer cette pénurie de chauffeurs routiers?
Des conditions de travail difficiles
Pour Michael Belzer, expert de l'industrie du camionnage à l'Université de Wayne State, il s'agirait plutôt «d'un problème de recrutement et de rétention». Aux États-Unis, «il y a en fait des millions de chauffeurs routiers –des personnes qui ont un permis de conduire commercial– qui ne conduisent pas de camions et n'utilisent pas ces permis de conduire», explique-t-il. Ces chauffeurs formés choisissent donc sciemment de ne pas exercer ce métier. Pourquoi?
C'est tout le fonctionnement du métier de chauffeur routier qui est en cause. Outre-Atlantique, le salaire des conducteurs baisse depuis des années alors que les conditions de travail demeurent les mêmes. Les routiers sont uniquement rémunérés pour le trajet effectué. Les temps d'attente interminables de chargement et de déchargement restent, eux, impayés. Selon des chiffres de 2018, les camionneurs attendaient en moyenne 2,5 heures dans les entrepôts. Avec la pandémie, ces périodes sont devenues encore plus imprévisibles.
Les chauffeurs sont aussi peu encadrés. Ils doivent gérer seuls tout ce qui peut survenir au cours du trajet –une crevaison, un accident, un embouteillage. Résultat des courses: ils sont épuisés. Avec la pandémie et la peur de tomber malade, nombreux sont ceux qui, proches de l'âge de la retraite, ont décidé de quitter le métier.
Alors, pour pallier cette perte de conducteurs, les entreprises européennes et américaines recrutent une main-d'œuvre immigrée. Mais cette solution ne fait que participer à ce que Michael Belzer appelle une «course vers le bas». Les problèmes structurels restent toujours irrésolus.