Nouveau rituel sanitaire: «dédier» une journée à une ou plusieurs maladies. Le 31 mai est ainsi «la journée mondiale sans tabac», initiative visant à alerter une nouvelle fois l'opinion publique sur de multiples affections liées à sa consommation. Or le paradoxe veut qu'en France cette journée soit organisée dans un contexte de reprise générale de cette consommation et ce en dépit des mesures d'interdiction de fumer dans les lieux publics prises en 2007 puis étendues 2008. Le bilan 2009 que vient de publier l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) est à cet égard particulièrement édifiant.
Ce bilan met en lumière deux phénomènes à la fois essentiels et apparemment complémentaires. Le premier est que les ventes des cigarettes sont largement reparties à la hausse (+2,6%) en 2009. Le second est que dans le même temps les ventes en pharmacie des traitements de substitution nicotinique pour aider au sevrage se sont effondrées: 350.000 personnes traitées de moins entre 2008 et 2009, soit une baisse de 21,5%. Comme toujours soucieux de contester -ou de biaiser- toutes les informations sanitaires négatives directement associées à leur activité professionnelle, les industriels du tabac affirment que les chiffres concernant l'augmentation de la consommation ne sont qu'un mirage: ils ne seraient en réalité que la conséquence d'une... diminution des achats transfrontaliers de cigarettes.
Hausse des prix, réduction de la consommation
Le phénomène de la reprise de la consommation semble être directement associé à la récente politique des prix adoptée par le gouvernement; politique largement dénoncée par les membres du corps médical militant ouvertement contre la consommation de tabac. Pour rester dans l'histoire récente, addiction ou pas, l'existence d'une relation de causalité entre une hausse importante des prix de vente et la réduction de la consommation est amplement démontrée. Ainsi, l'augmentation de 37% intervenue en octobre 2003 et janvier 2004 avait été suivie d'une baisse de 27% des ventes de tabac; une baisse compensée il est vrai (mais pour une proportion inférieure à la moitié) par des «achats frontaliers». A l'inverse, les augmentations intervenues depuis 2007 (à la fois faibles et très inégales selon les marques) n'ont pas eu d'effet sur les ventes.
C'est dans ce cadre que le bilan 2009 de l'OFDT dresse une nouvelle et inquiétante cartographie nationale de la consommation de tabac et de ses conséquences ultérieures. Ce tableau de bord donne depuis 2004 une vue synthétique de l'évolution des principaux indicateurs liés au tabagisme, à la prise en charge des fumeurs et aux actions de prévention et d'information. Et le bilan de la sixième édition de cet exercice n'est pas le plus réjouissant pour les responsables français de la santé publique.
Extrait:
Les ventes de tabac ont globalement augmenté en 2009: le total de 64.664 tonnes vendues en France métropolitaine en 2009 correspond à une hausse de 2% par rapport à 2008. Cette évolution s'explique par l'augmentation des ventes de cigarettes (+2,6%). Les ventes de tabac à rouler ont au contraire régressé (-1,9%). Cette baisse a cependant un impact limité au niveau global, le tabac à rouler ne représentant qu'environ 11% du total des ventes en 2009. Il est à noter que cette part est pour la première fois en diminution depuis 2004. Les augmentations de prix de janvier et de novembre 2009, qui ont renchéri le prix moyen du tabac à rouler de près de 60 centimes, ont interrompu la hausse quasi continue des ventes de cette catégorie de produit. La croissance des ventes de cigarettes est survenue dès le printemps 2009. L'augmentation du prix du paquet de 30 centimes en moyenne (+5,7 %) intervenue en novembre 2009 n'a pu jouer que sur les deux derniers mois de l'année et ne paraît pas encore avoir eu d'influence sur les ventes.
Les spécialistes de l'OFDT notent une nouvelle fois que l'évolution des ventes de cigarettes semble fortement liée à celle des prix. Lorsqu'ils n'augmentent pas ou peu, les ventes semblent rapidement repartir à la hausse. Ainsi, la stabilisation des prix entre 2004 et 2006 s'était traduite par une augmentation conséquente des ventes en 2006. La tendance au repli des ventes entre 2006 et 2008 a ensuite été concomitante à la reprise d'un mouvement de hausse des prix ainsi, il est vrai, qu'aux mesures d'interdiction de fumer dans les lieux collectifs entrées en vigueur le 2 février 2007 (dans les entreprises, administrations, établissements scolaires, établissements de santé), puis le 1er janvier 2008 (dans les «lieux de convivialité»: cafés, hôtels, restaurants, discothèques, casinos)
Puis la politique de quasi stabilité des prix entre 2008 et 2009 s'est accompagnée d'un retournement de tendance. Cette réaction apparaît cependant particulièrement rapide et forte en 2009.
Selon les industriels du tabac, plusieurs éléments expliqueraient l'augmentation des ventes de cigarettes dans l'Hexagone à partir de la diminution de celles effectuées dans les pays limitrophes. Il faudrait ainsi selon eux tenir compte de la stabilité des prix en France et de leur augmentation en Espagne et en Belgique: en juillet 2008, le prix moyen d'un paquet de 20 cigarettes était de 5,30€ en France, de 2,40€ en Espagne et de 4,16€ en Belgique. Un an plus tard, ce prix moyen était toujours de 5,30€ en France, mais de 3,45€ en Espagne et de 4,60 € en Belgique; soit des écarts diminuant en Espagne de 36% et en Belgique de 38% entre 2008 et 2009.
Les mêmes industriels invoquent aussi la crise économique (qui découragerait les déplacements transfrontaliers) ainsi que les opérations ciblées menées par les services des douanes.
Extrait:
L'augmentation des ventes serait ainsi la conséquence du report de ces achats vers le circuit de distribution français et non d'une hausse de la consommation. Cette explication, qui conforte la position des industriels du tabac en faveur d'une modération des augmentations de prix, demande à être vérifiée. Un effet de report des achats est vraisemblable mais une tendance simultanée à la hausse de la consommation ne peut être exclue. Des analyses sont en cours pour comparer l'évolution des ventes entre les départements frontaliers et les départements les plus éloignés des frontières.
Affaire à suivre, donc. Dans l'attente, on observe un effondrement général des ventes de traitement pour l'aide au sevrage tabagique.
Jean-Yves Nau
Photo: Cigarette / SuperFantastic via Flickr License CC by
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