Parents & enfants / Société

Oui, vous pouvez dire que votre chien est votre bébé (merci la science)

Temps de lecture : 6 min

Les sciences cognitives ont mis en évidence de très nombreuses similitudes entre les canidés et les enfants humains.

Peut-être que notre confusion langagière n'était pas que fantaisiste, mais révélait quelque chose de plus profond. | Lydia Torrey via Unsplash
Peut-être que notre confusion langagière n'était pas que fantaisiste, mais révélait quelque chose de plus profond. | Lydia Torrey via Unsplash

À la naissance de notre fille, nous avons commencé à utiliser indifféremment le mot «bébé» pour parler de notre enfant ou de notre chien.

Avec mon mari, nous avions tous les deux grandi avec des chiens et nous étions les heureux propriétaires de Scout, un toutou noir de 15 kilos au poitrail blanc. Ou bien devrais-je dire «les parents» car il nous arrivait de dire «Le bébé a faim», en parlant de notre fille ou encore «Il faut sortir bébé», en référence au chien. Et il n'était pas non plus rare de nous entendre parler du «tout-petit» pour désigner Scout. Bien sûr, en présence de tiers, cela pouvait créer une certaine confusion, car il nous fallait alors préciser s'il s'agissait du bébé humain ou celui à quatre pattes.

Et j'ai pu par inadvertance appeler le cabinet du pédiatre au lieu du vétérinaire –et vice versa. Je blaguais sur le fait qu'on envisageait la santé de notre fille comme celle de notre chien. Bébé était-il assez dynamique? Avait-il le nez froid? Un tempérament joyeux? Super, alors tout allait bien. En fin de compte, je pense que nous espérions tous les deux inculquer l'amour des chiens à notre fille.

Mais au fur et à mesure que notre bébé –l'homo sapiens– grandissait et prenait conscience du monde, j'allais remarquer de surprenantes similitudes entre elle et notre bébé à fourrure. Les deux pouvaient se montrer très perfides s'ils avaient un problème à résoudre –c'était le chien qui grimpait sur une chaise pour accéder plus efficacement à la poubelle ou l'enfant qui trouvait un moyen d'échapper à son parc.

Pas si bizarre

Peut-être que notre confusion langagière n'était pas que fantaisiste, mais révélait quelque chose de plus profond. Après tout, je ne suis pas la seule à désigner mon animal de compagnie comme mon «enfant à poils» ou à affubler mon enfant d'oreilles animales. En réalité, des recherches récentes laissent entendre que sur un plan cognitif, les chiens et les enfants ont beaucoup en commun.

Déjà, ni les chiens ni les bébés ne peuvent parler (du moins, des phrases complètes). Mais vous pouvez leur expliquer des choses et leur en demander d'autres, comme le souligne Daphna Buchsbaum, directrice du Computational Cognitive Development Lab et du Canine Cognition Lab au sein de l'université Brown. Les chiens manifestent également de l'attachement envers leurs maîtres, comme les bébés avec leurs parents, explique-t-elle. Et les deux attendent un engagement social de la part de celui ou celle qui s'occupe d'eux, de la même manière qu'ils réagissent au contact visuel.

Les chiens n'ont pas leur pareil pour juger les gens. Buchsbaum a cosigné une étude publiée en février explorant la manière dont les chiens sont capables de faire la différence entre les humains qui leur donnent des informations précises et ceux qui les trompent. Dans l'étude, une personne (un «informateur») devait désigner une tasse pouvant renfermer une friandise. Le mauvais désignait une tasse sans friandise, tandis que le bon indiquait la vraie cachette. Est-ce que les chiens étaient capables d'apprendre quel informateur allait systématiquement leur indiquer l'emplacement d'une friandise?

Selon l'étude, «les chiens sont dans ce cas prompts à suivre l'individu le plus fiable», de la même manière que, précise Buchsbaum, les enfants possèdent eux aussi «une aptitude sophistiquée pour comprendre qui est à même de mériter leur confiance et d'être suivi».

Selon la spécialiste, les chiens ont également une compréhension de base des spécificités des objets –leur permanence et leur solidité– ce qui signifie qu'ils savent que les objets ne peuvent pas passer les uns à travers les autres, par exemple. Du côté des enfants, «en fonction des mesures utilisées, même les très jeunes enfants (voire les nouveau-nés) ont certaines attentes quant au comportement des objets, mais elles continuent de se développer pendant la petite enfance et au-delà», ajoute Buchsbaum. Entre 12 et 18 mois, grosso modo, les enfants «passent beaucoup de temps à expérimenter et à apprendre les propriétés des objets (voyez comme ils adorent lancer des trucs!)».

Des modes d'acquisition semblables

Les canidés n'ont pas de pouce opposable, mais leur mode d'apprentissage est similaire à celui des jeunes humains. Brian Hare, professeur de neurosciences cognitives à l'université Duke, m'écrit que les chiens sont capables d'apprendre des mots par une sorte de cartographie rapide, tout comme les enfants. «Ainsi, plutôt que de se voir enseigner chaque mot, ces chiens apprennent par un processus d'exclusion», précise-t-il. Par exemple, imaginons qu'il y a une balle rouge et une petite voiture sur une table, et que votre enfant connaît le mot «balle» mais pas «voiture». Si vous lui demandez de prendre la voiture, il saisira l'objet qui n'est pas une balle.

«Les chiens sont comme Peter Pan. Ils vieillissent, mais ils ne grandissent jamais.»
Evan MacLean, directeur de l'Arizona Canine Cognition Center

Certains chiens font même preuve d'une extraordinaire capacité de compréhension langagière. Si on en croit NPR, Chaser, un border collie, était célèbre pour reconnaître plus de 1.000 mots, soit à peu le vocabulaire moyen d'un enfant de 3 ans. Des chercheurs de l'université de Californie-San Diego étudient des chiens apparemment capables de communiquer des concepts en appuyant sur des boutons déclenchant ce genre d'annonce: «Encore, gratouilles, tout de suite». Bien entendu, avertit Buchsbaum, les chiens ne possèdent pas l'intégralité de nos compétences linguistiques, comme la compréhension de la grammaire.

Mais tout n'est pas affaire de cognition. S'il y en a qui tournent de l'œil en entendant leurs congénères parler de leurs chiens comme de leurs «enfants», l'amour que nous portons à nos compagnons à quatre pattes est à bien des égards comparable à celui que nous ressentons pour notre progéniture. Selon Evan MacLean, directeur de l'Arizona Canine Cognition Center, la domestication pourrait avoir sélectionné les «traits juvéniles des loups».

Les louveteaux ont tendance à avoir des yeux relativement grands, un museau court, des oreilles tombantes –des attributs familiers que l'on retrouve chez de nombreuses races de chiens jeunes et adultes– et que perdent les loups adultes. Ces traits les font paraître éternellement immatures. «Les chiens sont comme Peter Pan», résume MacLean. «Ils vieillissent, mais ils ne grandissent jamais», et ils jouent en quelque sorte «un tour à notre cerveau» pour nous les faire voir comme des bébés dont il faut s'occuper.

Selon une étude publiée en 2014 dans PLOS One, dans laquelle des chercheurs du Massachusetts General Hospital avaient fait passer des scanners cérébraux à des femmes regardant des photos de leurs enfants et de leurs chiens, des réactions émotionnelles et cérébrales similaires se déclenchent dans les deux cas.

L'ocytocine en action

Si vous êtes un parent (de tout type!), vous avez peut-être ressenti l'euphorie que procure la contemplation de ces grands yeux et de ce petit corps tout doux. «Les parents et leurs nouveaux bébés disposent d'un mécanisme physiologique, la boucle d'ocytocine, qui les aide à tisser des liens lorsque les bébés ne sont pas très verbaux et demandent énormément de travail», déclare Hare. «Des chercheurs ont découvert que les chiens peuvent eux aussi s'insérer dans cette boucle, ce qui fait que lorsqu'un chien fixe son maître, et vice-versa, l'ocytocine génère un mécanisme de rétroaction positive similaire à celui que les parents ont avec leurs nourrissons.»

En tant qu'humains, nous avons tendance à sous-estimer combien les chiens n'ont pas la même vision du monde que nous.

Les similitudes inhérentes entre chiens et enfants pourraient même ouvrir de nouvelles voies de recherche. Buschbaum prévoit d'étudier «l'attention conjointe» chez les chiens. On considère qu'il s'agit d'un élément important du développement des tout-petits, lorsqu'un enfant veut faire participer un tiers autour d'un objet comme un jouet. Pour tout propriétaire de chien, ce comportement a de quoi sembler très familier: vous jouez à la balle et votre animal la renvoie à une autre personne pour la faire rentrer dans la danse. En définitive, ce sont des études qui nous aident à mieux comprendre le fonctionnement de la cognition et de l'intelligence en général.

Mais bien sûr, il ne faut pas oublier qu'il existe des différences essentielles entre les chiens et les humains. Buchsbaum souligne qu'en tant qu'humains, nous avons tendance à sous-estimer combien les chiens n'ont pas la même vision du monde que nous. Nous l'appréhendons principalement par la vue, à l'instar de nos parents primates, tandis que les chiens se fient davantage à l'odorat.

Un jour, je l'espère, ma fille apprendra à utiliser entre 20.000 à 35.000 mots, à rédiger des dissertations, à prendre soin d'elle-même et à se faire à manger. Mais notre chien dépendra toujours de nous pour le restant de sa vie. En ce sens, il est encore plus infantile qu'un nourrisson –il restera toujours notre bébé.

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