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Géolocalisation et réseaux sociaux: le droit à l'oubli [4/5]

Temps de lecture : 3 min

Vos amis savent où vous êtes allé aujourd'hui. Mais cette information ne vous portera-t-elle pas préjudice dans quelques années?

Slate.fr publie une série de cinq articles sur les enjeux des réseaux sociaux de géolocalisation. Ils sont écrits par 4 étudiants de Sciences-Po Paris dans le cadre d’un travail de réflexion. Ils sont un préalable à la rédaction d’un livre blanc commandé par Mobicampus, service d’informations mobile pour les étudiants.

» Du qui suis-je au où suis-je (1/5)

» De l'information à l'exhibition inconsciente (2/5)

» Au bonheur de la pub (3/5)

***

Le 14 avril, le Congrès américain a décidé d'acquérir l'intégralité des messages de Twitter pour les archiver dans sa grande bibliothèque. Biz Stone, l'un de ses fondateurs, a annoncé sur son blog qu'il «est très enthousiasmant que les tweets fassent désormais partie de l'Histoire». Si cette démarche du Congrès reconnaît l'importance des messages échangés sur le réseau social, elle n'est pas sans poser problème. Cela donne l'assurance, qu'à l'échelle d'une vie humaine, les messages seront conservés et consultables. Les personnes qui ont inscrit sur Twitter des éléments privés ou publics devront assumer la responsabilité de leur propos.

Il existe une ambiguïté sur Internet. La communication numérique laisse croire qu'elle est l'espace anodin d'une conversation de salon alors que les mots restent gravés aussi durement que dans la pierre. La langue utilisée, celle d'une oralité pleine de scories, peut tromper. L'archivage a au moins le mérite de lever le voile sur la nature des écrits numériques. Verba volant, scriptura manent.

Le droit à l'oubli s'affirme de plus en plus dans l'espace politique français. La Cnil et la secrétaire d'État au Développement et à la prospective de l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, considèrent que le droit à l'oubli est un droit fondamental qu'il est urgent de mettre en place dans un contexte où il est malmené par les nouvelles technologies. Dès le mois de novembre 2009, la secrétaire d'État a initié une série d'ateliers de réflexion pour nourrir une future action gouvernementale à l'appui de la Cnil.

Gueule de bois numérique

Son président, Axel Türk, prend souvent son exemple personnel pour montrer l'utilité de ce droit. Sartrien à l'adolescence, gaulliste à l'âge de raison, sa carrière politique aurait pu être freinée, à ses débuts, par une publicité faite sur les opinions de sa jeunesse. Les individus évoluent et n'ont pas besoin que leur soient rappelés à chaque instant leurs errements passés. La fête enivrée de la fin des examens ne doit pas promettre des lendemains qui déchantent à cause des photos prises et dispersées aux quatre vents sur une toile devenue arachnéenne. La surveillance qui s'exerce avec les réseaux sociaux n'est pas celle d'un Big Brother orwellien mais celle de Little Brothers. Ce n'est plus un individu unique ou une administration qui assure le contrôle social de l'intimité, ce sont les personnes que nous reconnaissons comme amis sur les réseaux sociaux et qui peuvent avoir accès aux informations qui y sont laissées.

Dans ce contexte, il est plus que jamais nécessaire, urgent, de rétablir le mécanisme propre à la mémoire et atténué par la technologie: l'oubli. Nos actions finissent par être oubliées par nos amis. Si elles ne le sont pas, ceux qui en conservent le souvenir ont, en même temps que nous, changé et les interprètent à l'aune de leur propre expérience. Avec la conservation des données sur les réseaux sociaux, le risque est grand de voir revenir des photographies où ne subsistent plus que l'image retirée de son contexte d'un homme ou d'une femme rendus méconnaissables par le temps.

Les éditeurs de service n'ont pas intérêt à quitter la logique d'archivage qui est la leur: il en va de la pérennité de leur business model. Les city guides qui fonctionnent sur une turbine d'avis consommateurs ne peuvent se permettre de se dépouiller de leurs actifs après une durée donnée. Et pourtant, comment ne pas s'apercevoir des dérives de la géolocalisation quand il est possible sur Dismoioù de voir l'intégralité des recommandations (et donc des déplacements) datées et localisées de n'importe quel utilisateur?

Selon les fonctionnalités sociales du service, l'anonymisation des données est différente. Sur Dismoioù, les données ne sont diffusées que sur les profils des lieux: la fonction de recommandation l'emporte sur la fonction sociale. Dès lors, l'anonymisation des avis après un temps déterminé ne comporte que le risque de voir l'avis perdre en force de persuasion et gagner en suspicion parce qu'il n'est pas émis par un utilisateur identifié.

Cercles d'amis

A l'inverse, sur Foursquare et sur les autres services à forte tendance sociale, la géolocalisation est avant tout destinée à un cercle d'amis: les recommandations de lieux sont un usage mineur. Une anonymisation des données émises pour la communauté pourrait donc être un premier pas.

Au final, la question porte moins sur la durée de publication des données en elle-même que sur la socialisation de leur diffusion. Doit-on craindre pour sa vie privée quand nos amis ont accès à l'intégralité de nos déplacements passés? Une meilleure délimitation de la sphère publique et privée permettrait de mieux répartir les données diffusées, à l'instar de Brightkite, qui permet de passer en un clic du mode privé au mode public. Mais la gestion du mode privé requiert de la part de l'utilisateur une responsabilité: celle de savoir choisir ses amis avec soin.

Isabelle Fillet, Guillaume Griffart, Thibault Mercuzot et Julien Rivet

Photo: Forgotten / sporkist via Flickr License CC by

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