Politique

Valérie Pécresse incarne pour la droite un espoir fragile

Temps de lecture : 7 min

Après un départ en flèche dans les sondages d'intentions de vote post-primaire, la candidate LR va affronter la séquence la plus compliquée de sa campagne présidentielle.

Les Républicains autour de la gagnante de leur primaire, Valérie Pécresse, désignée candidate à l'élection présidentielle 2022, le 4 décembre 2021 à Paris. | Anne-Christine Poujoulat / AFP
Les Républicains autour de la gagnante de leur primaire, Valérie Pécresse, désignée candidate à l'élection présidentielle 2022, le 4 décembre 2021 à Paris. | Anne-Christine Poujoulat / AFP

Trois points de plus chez Harris Interactive. Quatre points de plus d'après Ipsos. Sept points de plus pour l'Ifop. Onze points de plus selon Elabe. Qui dit mieux? À peine désignée par un peu plus de 110.000 votants parmi près de 140.000 adhérents inscrits au parti Les Républicains (environ 70.000 adhésions ont été enregistrées entre fin septembre et le 16 novembre), Valérie Pécresse a fait une entrée tonitruante dans les sondages d'intentions de vote à la présidentielle des 10 et 24 avril 2022.

Son changement de statut va désormais la mettre sous la critique nourrie de ses adversaires les plus coriaces qui se situent sur sa droite et non pas sur sa gauche qui, elle-même, est dans les limbes.

Elle avait obtenu 69.326 voix (60,95% des suffrages exprimés) contre 44.412 voix (39,05%) en faveur d'Éric Ciotti à l'occasion d'un congrès du parti de la droite, début décembre –qui était, de fait, une primaire fermée réservée aux personnes encartées et à jour de cotisation. Au terme du premier tour qui, contre toute attente, avait vu Ciotti devancer de peu Pécresse, elle aussi inattendue à cette place, tous les candidats éliminés (Michel Barnier, Xavier Bertrand et Philippe Juvin) s'étaient prononcés en faveur de la seule femme de la compétition.

Le duel de second tour entre l'ancienne ministre, présidente de la région Île-de-France, et le député des Alpes-Maritimes qui aspire à devenir ministre de l'Intérieur dans un gouvernement de droite, avait mis en évidence la ligne de partage qui traverse l'ancienne Union pour un mouvement populaire (UMP), formation qui avait soutenu Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy pendant leurs mandats présidentiels de 2002 à 2012 avant de changer de nom, en 2015, pour devenir Les Républicains (LR). Le clivage se situe entre une droite «libérale-conservatrice» représentée par Pécresse et une droite «nationale-identitaire» conduite par Ciotti au sein de LR.

Une désignation en forme de soulagement

Le premier enseignement de la désignation réussie de la candidate de la droite à la présidentielle, qui trouve son expression la plus visible dans les quatre premières enquêtes post-primaire, est la progression très significative de Pécresse dans les intentions de vote (du moins, à quatre mois du premier tour de la consultation majeure de la Ve République).

Cela signifie qu'une partie non négligeable du peuple de droite accueille cette nomination avec soulagement. Elle met fin à une longue période d'incertitude et de guerre larvée entre ceux qui étaient restés fidèles au parti (Barnier, Ciotti, Juvin) et ceux qui l'avaient quitté –avant de le réintégrer pour les besoins de la cause électorale interne– car ils pensaient (Bertrand en 2017 et Pécresse en 2019) que la refondation ne pouvait se faire que de l'extérieur. Les deux dénonçaient alors la «droitisation» de LR qui, selon eux, risquait d'entraîner un «rétrécissement» électoral.

Une progression au détriment de l'extrême droite

Le deuxième enseignement de ces sondages est que cette progression se fait, principalement ou en totalité, au détriment de l'extrême droite représentée par Marine Le Pen pour le Rassemblement national (RN) et par Éric Zemmour à la tête du nouveau mouvement Reconquête! ainsi qu'à la droite extrême de Nicolas Dupont-Aignan pour Debout la France (DLF).

Il s'agit probablement d'une frange plus radicale de l'électorat de droite qui s'était réfugiée dans le vote extrême pour exprimer sa déception de la navigation à vue de la droite parlementaire depuis bientôt une décennie. On peut y ajouter, peut-être, une fraction d'un électorat flottant dont les penchants politiques sont moins idéologiques et/ou moins assurés.

Le chef de l'État toujours en pole position

Le troisième enseignement de la progression de Pécresse –elle s'accompagne certainement de transferts d'intentions de vote entre d'autres candidats et candidates qui sont par nature moins analysables car moins visibles (faute de données plus fines)– est qu'elle ne provoque pas de recul significatif ou de recul du tout de celui qui fait la course en tête depuis plusieurs mois: Emmanuel Macron. Le président de la République n'est jusqu'ici qu'un prétendant supposé à l'élection présidentielle et à sa réélection en ce qui le concerne, bien que sa participation ne fasse pas beaucoup de doute aux yeux de ses partisans... et des observateurs.

Le chef de l'État, toujours en pole position dans les intentions de vote du premier tour, n'a pas vraiment de raisons de précipiter l'annonce (éventuelle) de sa candidature au vu de la stratégie de tous ses prédécesseurs qui ont brigué un second mandat –avec plus ou moins de succès, selon les personnalités en question.

Ainsi Valéry Giscard d'Estaing, élu en 1974 pour un septennat, a attendu le 2 mars 1981 pour annoncer une nouvelle candidature alors que le premier tour de la présidentielle était programmé cinquante-cinq jours plus tard, le 26 avril. Il fut battu par François Mitterrand qui, sept après, se déclara candidat le 22 mars 1988, soit trente-trois jours avant le premier tour du 24 avril. Et ce fut un succès.

Pour sa part, Jacques Chirac, dont le premier mandat (le dernier septennat de la Ve République) avait commencé en 1995, s'y prit plus de deux mois avant, le 11 février 2002, pour un premier tour fixé le 21 avril –date restée célèbre en raison de l'élimination de Lionel Jospin, Premier ministre (PS) devancé par le candidat d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen. Chirac fut réélu pour le premier quinquennat de la Ve.

Derrière lui, Nicolas Sarkozy, entré à l'Élysée en 2007, annonça lui aussi sa nouvelle candidature dans le même timing, le 15 février 2012 pour un premier tour le 22 avril. Et ce fut un échec. Enfin, François Hollande élu en 2012 annonça qu'il renonçait à briguer un second mandat le 1er décembre 2016. Arrivé en tête au premier tour le 23 avril 2017, Emmanuel Macron fut élu le 7 mai.

Décollage durable ou feu de paille éphémère

Il est donc possible que Pécresse et les autres protagonistes déclarés de la présidentielle de 2022 (ainsi que les électeurs) aient encore à patienter un ou deux mois avant que Macron n'annonce son (éventuelle) candidature. En attendant, il est comme tous ses prédécesseurs immédiats, hormis Hollande, un «presque candidat» dont le statut qui ne dit pas son nom de «président en campagne» est fustigé par tous ses adversaires.

C'est cette période de latence qui va être délicate à gérer pour la championne de la droite parlementaire. Elle va devoir capitaliser sur l'engouement de son camp suscité par sa désignation et mesuré par les instituts de sondage dans les intentions de vote. Et prouver qu'il s'agit d'un décollage durable et solide (si l'on peut dire ça d'un décollage) à l'opposé d'un feu de paille plus ou moins éphémère, comme cela a pu s'observer dans le passé avec d'autres candidatures. Benoît Hamon, candidat du PS en 2017, en est l'exemple le plus récent et le plus emblématique en ce qui concerne la gauche.

Car le point de fragilité de la candidature Pécresse, malgré le battage des influenceurs des réseaux sociaux sur le thème de l'unité de la droite, c'est précisément la désunion endémique qui n'a cessé de traverser la droite avec plus ou moins de force et de visibilité depuis une cinquantaine d'années. Seul Sarkozy était parvenu, en faisant reculer l'extrême droite avant son élection en 2007, à surmonter cette fêlure en s'appropriant (paradoxalement) la formule chiraquienne selon laquelle «un chef, c'est fait pour cheffer».

Le sempiternel face-à-face historique des droites

Mais de Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre gaulliste remercié en 1972 par les pompidoliens à raison de sa vision trop sociale de la «nouvelle société», au duel Juppé-Fillon de la primaire de droite en 2016, en passant par la rupture entre Giscard et Chirac en 1976, l'opposition entre Raymond Barre et à nouveau Chirac à la présidentielle de 1988 et l'affrontement meurtrier entre Édouard Balladur et, pour la troisième fois, Chirac en 1995, deux courants de la droite se sont toujours fait face. Cet état de fait a même été théorisé au début des années 1950 par un père de la science politique moderne, l'historien René Rémond, qui y ajoutait un troisième courant, les légitimistes, représentants de l'extrême droite d'aujourd'hui.

Si Pécresse, comme semblent l'indiquer les quatre premiers sondages mentionnés ici, concrétise son avancée et parvient à détacher durablement la frange de la droite bonapartiste, voire une partie des orléanistes qui avaient fui vers l'extrême droite, elle pourra considérer que sa campagne est sur de bons rails. Mais elle va devoir affronter l'action conjuguée des deux candidats de ladite extrême droite et du plus activiste des deux, Zemmour, qui se veut le continuateur du RPR de Charles Pasqua. Ni l'une (Le Pen) ni l'autre n'envisagent de se faire dépouiller.

L'autre élément qu'il faut prendre en considération est la réaction de la partie modérée de son électorat. Soumise à la pression interne de son concurrent du second tour de la primaire, Ciotti, elle a déjà vu partir des élus et des militants des Alpes-Maritimes dans le sillage de Christian Estrosi, maire de Nice. Celui-ci a rejoint le mouvement lancé par l'ancien Premier ministre, Édouard Philippe, Horizons, une des composantes du conglomérat qui appelle de ses vœux une nouvelle candidature de Macron. Pour la soutenir... et être présent aux législatives.

Le «en même temps», atout ou handicap?

La candidate de la droite va devoir jouer serré. Car elle a successivement siégé dans les gouvernements Fillon (2007-2012) avant de soutenir Alain Juppé contre le même Fillon dès le premier tour de la primaire de droite de 2016 (en faisant une erreur d'analyse car elle pensait que le second tour opposerait Juppé, le chiraquien, à Sarkozy) puis d'être considérée, à tort, comme une potentielle prise de guerre de Macron en 2017 alors qu'elle avait été un soutien déclaré de la Manif pour tous (contre le mariage homosexuel) sous le quinquennat Hollande.

Cette sinusoïde, que d'aucuns baptiseraient ironiquement «en même temps», devra être transformée en atout. Si elle ne devient pas un handicap.

Newsletters

Charles III décommandé et poubelles enflammées: le French way of grève

Charles III décommandé et poubelles enflammées: le French way of grève

Avec l'annulation de la visite du monarque britannique, le conflit social français intéresse –et inquiète– largement au-delà de nos frontières. 

Réforme des retraites: jusqu'où le mouvement de protestation peut-il aller?

Réforme des retraites: jusqu'où le mouvement de protestation peut-il aller?

La journée de mobilisation de jeudi a été très suivie et émaillée de violences.

La grosse erreur politique d'Emmanuel Macron sur la motion de censure

La grosse erreur politique d'Emmanuel Macron sur la motion de censure

[TRIBUNE] Le président a manqué de stratégie. L'adoption de cette motion aurait pu sauver son quinquennat.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio