J'ai toujours rougi facilement. Quand j'étais petite, tout le monde trouvait ça mignon. Avoir les joues écarlates en déballant ses cadeaux d'anniversaire devant les copines aux visages barbouillés de crème glacée? Trop mimi. Devenir rouge comme une tomate pendant son discours de bat-mitzvah? Choupinet. Piquer un fard sur scène parce qu'on a épelé un «E» en trop lors du concours d'orthographe de fin de primaire? A-d-o-r-a-b-l-e.
Mais, moi, je n'ai jamais aimé être quelqu'un qui rougit. Ça a toujours été quelque chose que je redoutais. Ça commençait toujours de la même manière: d'abord des picotements sous la peau, puis une sensation de chaleur, et enfin cette couleur terrible qui part de mon cou, remonte vers mes joues et enfin mon cuir chevelu: rouge, rouge, ROUGE.
Mes rougissements n'ont jamais été graves au point de nécessiter une intervention médicale, mais ils ont régulièrement été pour moi source de gêne –surtout quand des adultes certes bienveillants, mais qui se mêlaient trop de mes affaires à mon goût, me faisaient des remarques. J'étais trop jeune à l'époque pour comprendre ce qui déclenchait mes rougissements, et même si, en grandissant, ils devinrent moins fréquents, mon anxiété les concernant ne faisait que s'accroître.
À chaque fois qu'un professeur m'a demandé de répondre à une question en classe, qu'un ami m'a dit qu'il me trouvait jolie et même la fois où je me suis ouvert le genou dans les escaliers de Fort Greene Park, forçant deux autres joggers à s'arrêter pour m'aider, j'ai supplié mon visage de coopérer, mais à mon grand regret, la chaleur m'est montée aux joues à chaque fois. «Pourquoi, pourquoi, pourquoi», demandais-je à ce crétin de visage brûlant, «pourquoi tu me fais ça?» Puis je rougissais encore plus.
Une érection détournée?
Il va sans dire qu'il est plus difficile de répondre à cette question –pourquoi nous rougissons– que de comprendre comment nous rougissons. La première est une question de psychologie, tandis que la deuxième n'est qu'une simple affaire de physiologie. Physiologiquement parlant, le rougissement a lieu lorsque les glandes surrénales sont stimulées et libèrent de l'adrénaline, ce qui a pour effet de dilater les vaisseaux sanguins du visage et du cou.
Même pour quelqu'un dépourvu, comme moi, de bagage scientifique, c'est assez simple à comprendre. Mais lorsqu'il s'agit de comprendre les causes de cette montée d'adrénaline… les choses se compliquent un peu plus.
À en croire les théories de cet obsédé de Freud sur la psychanalyse, le rougissement serait une érection détournée, l'aveu rougissant de nos désirs sexuels réprimés. Dans les tableaux de la Renaissance, c'est un véritable déshonneur, comme quand Adam et Ève croquent le fruit de l'arbre de la connaissance et prennent conscience de leur propre nudité.
Dans la pièce la plus mélodramatique de Shakespeare, le rougissement apparaît sur les joues imaginaires de pèlerins afin de signaler le désir interdit entre Roméo et Juliette. De même, dans les romans de Jane Austen, le rougissement des héroïnes révèle leurs penchants romantiques inavoués, lorsque les mots font défaut.
Est-ce que cela est provoqué par un sentiment de vulnérabilité, parce que nous avons l'impression d'être vus tels que nous sommes?
Bien entendu, il y a un thème commun à tout cela: la honte. Comme le veut la célèbre citation de Mark Twain, «l'homme est le seul animal qui rougisse. Le seul animal qui rougisse et le seul qui ait de bonnes raisons de le faire.» Cette spécificité aux êtes humains est vraie; même nos cousins chimpanzés (qui, comme nous, crient, pleurent et rient) ne rougissent pas.
Charles Darwin, lorsqu'il n'était pas occupé à chasser les pinsons aux Galápagos, était lui aussi fasciné par ce phénomène: dans sa longue étude intitulée L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux, il s'étonne de constater que, au plus tôt, les enfants ne commencent à rougir que vers 3 ans.
Les caractéristiques physiques sont en place dès la naissance, mais ce n'est que plus tard qu'apparaît la capacité émotionnelle de rougir. Plus que la poésie, la musique ou les impôts, Darwin considérait le rougissement, et le sentiment complexe de honte qu'il implique, comme «la plus spéciale et la plus humaine de toutes les expressions».
Pourtant, lorsque je rougis, je ne le ressens pas comme une expression de honte. Ou, du moins, pas toujours (renverser des verres de vin à quasiment toutes les soirées où je suis allée, tomber en faisant la pose du corbeau lors d'un cours de yoga à 27 dollars, acheter une boîte de tampons et de la crème fouettée allégée, seule, à 2h du matin… oui, bon, certes, c'était des rougissements de honte).
Mais on peut aussi piquer un fard lorsque quelqu'un nous fait des compliments, ce qui devrait nous remplir de fierté plutôt que de honte. S'agit-il d'un sentiment d'insécurité, parce que nous ne trouvons pas dignes de ces louanges? Que nous ne pensons pas être la grande comique, le beau visage ou la pâtissière extraordinaire que les autres prétendent? Ou bien est-ce que cela est provoqué par un sentiment de vulnérabilité, parce que nous avons l'impression d'être vus tels que nous sommes et donc d'être exposés, comme si nous étions nus?
L'origine de la honte
Mais c'est justement là que réside tout le principe du rougissement: il révèle en fin de compte ce que nous ressentons par rapport à nos propres actes et à ceux qui en sont témoins. J'ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à la question: chaque fois que mes joues prenaient feu, je réfléchissais à ce que cela voulait dire. À défaut de pouvoir arrêter mes rougissements, j'espérais au moins pouvoir les comprendre.
Rougir, c'est porter sur soi la preuve physique que ce que pensent les autres nous importe.
Dernièrement, j'ai piqué un fard alors que je m'occupais du mariage de mes deux amis d'université les plus proches. Lorsque, à la fin de mon discours, le marié a embrassé la mariée, j'ai compris que c'était un rougissement d'inquiétude: l'écriture est mon métier… et si jamais les gens trouvaient que je n'avais pas abordé le concept du mariage de manière assez fraîche et originale? Lorsque, au moment du vin d'honneur, les autres convives m'ont félicitée pour mon discours, j'ai de nouveau rougi. Les compliments faisaient plaisir à entendre, mais une partie de moi ne pouvait se résoudre à croire que j'avais été à la hauteur.
Pour moi, le rougissement est devenu une sorte de test, notamment lors d'un premier rendez-vous amoureux. S'il me dit qu'il me trouve jolie et que le compliment me fait rougir, je sais que cela veut dire que le garçon me plaît. Mais si mon visage reste impassible? C'est que c'est voué à l'échec. J'ai fini par comprendre que les mots seuls ne sont pas à l'origine de la honte et du rougissement –c'est le fait de vouloir les croire… ou de m'inquiéter parce que je n'en ai rien à faire.
Dans ce sens, bien qu'il soit désagréable d'exposer nos pensées intérieures à un public hostile (ou qui s'en fiche), nos visages ont aussi le pouvoir de nous montrer à nous-mêmes des choses que nous ignorions jusqu'alors. Rougir, c'est porter sur soi la preuve physique que ce que pensent les autres nous importe. Et que ce que nous pensons de nous-mêmes nous importe. C'est expérience horrifiante, une lettre écarlate dermatologique qui révèle nos pensées intimes. Mais c'est aussi une expérience éclairante, une leçon sur cette manière, cette manie qu'a notre corps de divulguer nos vérités sans se soucier du public.
Alors que je terminais la rédaction de cet article, j'en ai parlé à quelqu'un que j'aime autant que j'admire. Il m'a dit qu'il était impatient de le lire et, bien sûr, mon visage est devenu rouge écarlate. (Je sais, je sais: piquer un fard au sujet d'un article sur les rougissements… quel cliché!) Je ne peux contrôler ce que mon visage dit de moi, mais il n'est parfois pas mauvais de se voir rappeler notre vulnérabilité. Ça ne m'a pas dérangé de lui montrer, de me montrer à moi-même et, maintenant, de vous montrer à vous ce que mon visage refuse de cacher, à savoir ce qui est peut-être la vulnérabilité ultime: que tout cela compte pour moi. Beaucoup.