Il va falloir s'y habituer. Aussi longtemps qu'Éric Zemmour figurera dans la course à l'élection présidentielle, aussi nombreux seront ses dérapages, ses déclarations à l'emporte-pièce, ses provocations, tout ce parfum de scandale qui entoure et définit le candidat de l'extrême droite française. Il n'y aura pas d'accalmie; sans cesse, jour après jour, il alimentera la polémique de telle manière à demeurer le centre d'attention, le point de fixation de toute la campagne.
C'est d'ailleurs sa seule carte à jouer. Viendrait-il à s'adoucir, à s'arrondir qu'il disparaîtrait aussitôt de la cartographie électorale. Pour exister aux yeux de l'opinion, il lui faudra être dans la surenchère permanente, à la recherche d'une énième provocation qui mettra le feu aux poudres. Et plus il ira loin dans le scandale, dans l'opprobre, et plus il apparaîtra aux yeux de nombreux Français comme celui qui ose là où tous les autres se contentent de rabâcher les mêmes lieux communs, les mêmes banalités.
Plus la campagne ira en s'avançant, et plus ses outrances franchiront les canons du politiquement correct. À chacune de ses transgressions, il forcera tous les autres candidats à s'opposer à lui si bien que très vite il apparaîtra comme la figure centrale de la course à l'Élysée, son personnage principal, le seul qui au fond suscite l'intérêt. Du matin au soir, on bouffera du Zemmour jusqu'à la nausée, et cette saturation de l'espace médiatique aura comme effet possible de le faire monter peu à peu dans les intentions de vote au point d'apparaître comme un candidat crédible à la fonction suprême.
C'est le propre du bouffon qui existe par et pour le scandale. Une fois lancé, plus rien ne l'arrête. Ainsi ira-t-il de surenchères en surenchères, d'excès en excès, dans un exercice de démagogie qui ne connaîtra pas de limites. Il séduira par ses outrances, il dira tout haut ce que certains pensent tout bas, et on lui sera gré d'avoir eu le courage d'aborder des sujets que d'ordinaire, par convenance ou franche désapprobation, on passe sous le boisseau du silence.
Hier, c'était un doigt d'honneur, l'autre jour des violences lors de son meeting de Villepinte, demain ce sera une déclaration à l'emporte-pièce que nous tous, gens de cœur et de raison, trouverons écoeurante. Lui feindra l'étonnement. Se présentera comme une victime de la bien-pensance généralisée et derrière son dos, en sourdine, on entendra le ricanement de ses admirateurs, la revanche des identitaires de tout bord qui auront trouvé chez lui le porte-parole de leurs pensées les plus extrêmes.
Plus on répondra à ses invectives, et plus on obtiendra le contraire de l'effet recherché. Plus nous serons nombreux à afficher notre dégoût du personnage et plus ce dernier jouira de se voir ainsi honni et avec lui ses partisans les plus farouches. L'ivresse de la détestation, d'être unanimement rejeté, a quelque chose d'aphrodisiaque. Elle vous plonge dans un état proche de la béatitude quand on en vient à se comparer aux grands martyrs des siècles passés, à tous ces éprouvés qui furent des héros de leur temps avant que la postérité ne les plonge dans les catacombes de l'histoire.
On sous-estime toujours combien l'appétence au mal est fascinante et irrésistible pour nombre de nos contemporains. On le voit à chaque bégaiement de l'histoire. Avec le recul, on reste ébahi devant le niveau d'adhésion rencontré par tel ou tel tyran et pourtant, quand l'un d'entre eux vit parmi nous, on ne peut se faire à l'idée que ses idées rencontrent un quelconque écho tant elles nous semblent défier le sens commun. Et quand on se réveille, il est généralement trop tard. Le tyran est en place, l'ordre partout, la violence omniprésente et la résistance presque impossible.
C'est ce qui rend ce genre de candidats si difficile à combattre –on l'a vu avec Trump. On pense faire œuvre utile en dénonçant l'abjection de leurs propos, et, ce faisant, par l'unanimité de notre désapprobation, on contribue à ce que leur popularité se renforce. Pour autant, face à de telles ignominies, on ne peut rester silencieux de peur d'apparaître comme complice de leurs outrances. Il nous faut donc protester sans s'étonner pour autant que nos réprobations ne soient pas partagées par tous –un exercice hautement compliqué.
De Zemmour, il ne faudrait rien dire.
Mais nous ne pouvons pas.
Reste à combattre ses idées –et quelles idées!– avec l'opiniâtreté du moraliste et l'âpreté du philosophe qui tout en désespérant de la nature humaine continue d'œuvrer à son émancipation.
Tout un programme.
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