Culture

Orelsan relance-t-il la hype du CD?

Temps de lecture : 5 min

On l'a souvent donné pour mort mais non: le précieux compact disc existe et se vend encore. 

Orelsan, sur scène, à l'occasion des Victoires de la musique, le 8 février 2019, à Boulogne-Billancourt. | Thomas Samson / AFP
Orelsan, sur scène, à l'occasion des Victoires de la musique, le 8 février 2019, à Boulogne-Billancourt. | Thomas Samson / AFP

Les chiffres du dernier album d'Orelsan sont délirants: 15.000 personnes l'ont précommandé en une matinée. Il s'en est vendu presque 95.000 exemplaires en trois jours depuis sa sortie. Il faut dire qu'il a fait saliver avec un concept ingénieux: proposer quinze versions différentes de son CD, dont une édition ultra limitée signée de sa main. Aujourd'hui, celle-ci se revend parfois à plusieurs milliers d'euros. Alors, peut-on dire qu'il a relancé une certaine hype du CD ou est-ce un questionnement de parisiano-cycliste que de le penser en ces termes? Sûrement. Car, en réalité, ce format est loin d'être mort.

«Le CD se vend toujours plus que les vinyles dans la grande majorité des pays», souligne Sophian Fanen, journaliste et auteur de Boulevard du stream – Du mp3 à Deezer, la musique libérée. Surtout, les plateformes de streaming ne l'ont pas tué… même si on l'a cru pendant longtemps. «Quand le format mp3, le peer-to-peer et les torrents ont chamboulé l'économie de la musique avant le streaming, c'est le CD qui a tout pris dans la tronche, se rappelle Sophian Fanen. C'est là que les ventes ont commencé à baisser parce qu'on était dans un changement d'usage et d'habitude.» Donc oui, à l'époque, c'est lui qu'on a vu chuter et qu'on a donné pour mort. D'autant qu'en plus, il en était devenu un objet beaucoup trop jetable. Qui se souvient du CD gratuit dans son menu Big Mac? Des compilations de tubes infâmes musicalement qui n'avaient comme qualité que d'être entêtants? Alors les Casseurs Flowters (duo entre Orelsan et Gringe) eux-mêmes s'en sont moqués: «Ton album de fils de pute, j'lance une bombe atomique dessus / J'le télécharge illégalement et j'fais sauter mon disque dur.» Ça a le mérite d'être clair (et sarcastique, on s'entend).


Sauf qu'Orelsan, à 39 ans, a grandi dans les années 1990. Ce petit bout de plastique qu'est le CD représentait 98% de l'économie de la musique à cette époque. Pareil pour Ed Sheeran, 30 ans, dont le dernier album Divide est resté vingt semaines numéro un des ventes en Angleterre. Adele –33 ans!–, a vendu plus de 20 millions d'exemplaires de son album 25. Tous ont construit les bases de leurs premiers émois musicaux avec le format CD. C'est ce qui explique que ce format n'a jamais vraiment disparu, selon Sophian Fanen: «On a une génération d'artistes qui ont grandi avec les CD de leurs parents, pas avec leurs vinyles. Dans le cas d'Orelsan, on voit aussi que l'esthétique de ses éditions limitées sont très nostalgiques.»

Oui, très 1990's vibes.

C'est avec la même énergie et nostalgie que le YouTubeur Squeezie s'est lancé un challenge pour l'une de ses dernières vidéos: créer un tube ambiance années 2000 en seulement trois jours face à une autre équipe… puis vendre ces sons en format CD deux titres, au profit du Secours populaire. À l'ancienne.

«Les singles sortaient dans une petite pochette cartonnée, moi j'avais celui de Lorie!», s'amuse-t-il dans sa vidéo. Sa stratégie à lui aussi est bien rodée: mettre en vente certains exemplaires à 4,90 euros dans les magasins LIDL –même si ça fait plus de dix ans que l'enseigne ne vend plus de CDs dans ses magasins. Résultat, sa chanson «Trei Degete» –inspirée du tube cheapos d'O-zone, «Dragosta Din Tei»– s'est vendue à 60.000 exemplaires en seulement une semaine. Très belle perf', surtout pour un artiste qui s'adresse à une génération qui a principalement grandi avec le streaming et qui n'a plus vraiment de lecteur CD.

Mais si penser que le CD est mort est peut-être un postulat de parisiano-cycliste, c'est parce qu'il existe aujourd'hui différents profils de personnes qui en achètent: ceux qui ont gardé leurs habitudes des années 1990 et 2000, donc, mais aussi ceux qui prennent la voiture. Même si, comme souligné dans une enquête du Parisien, beaucoup de nouveaux modèles de voitures ont été conçus sans lecteur CD, et plutôt avec un tableau de bord tactile pour aller sur Spotify et Deezer –clairement moins encombrant que votre classeur à pochettes transparentes où vous rangiez vos disques. En réalité, la part la plus durable de personnes qui achètent des CDs, ce sont celles qui ont un attachement au physique: «Avoir quelque chose dans les mains, un objet qui a été réfléchi, c'est très satisfaisant, admet Sophian Fanen. C'est marrant de voir Orelsan avec son concept. On le voit à l'usine avec ses potes, ils sont comme des fous devant les CDs. On se souvient souvent du moment et de l'endroit où on a acheté son disque, contrairement au streaming. C'est précieux.»

Le vinyle, un truc de riches

Surtout, le streaming et le vinyle ont leurs limites. Déjà, le son d'un CD serait bien meilleur que celui du streaming ou du vinyle. En 2014, des professionnels du son du magazine The Guardian avaient fait le test en écoutant des morceaux en mp3, CD ou en masters de studio. L'un d'entre eux a constaté qu'il avait «eu du mal à faire la différence entre le CD et le master du studio». Un autre que la piste CD «était la meilleure écoute».

Mais bon, avouons-le: pour plein de gens, la différence ne se remarque pas vraiment. Pire, ils s'en fichent royalement si le son est moins bien, tant qu'ils peuvent l'écouter avec leur téléphone partout dans la rue. Quitte à se moquer de ce qu'a voulu transmettre l'artiste? C'est ce qu'a déploré Adele. La chanteuse regrette que la lecture des disques sur Spotify –dont 30, son dernier album– soit réglée par défaut en mode aléatoire. Autrement dit, que les auditeurs n'écoutent pas son album comme elle a voulu le construire et le présenter. Ni une ni deux, la plateforme a modifié son algorithme. Désormais, un album sera lu dans l'ordre par défaut.

Et pourquoi le CD plutôt que le vinyle? Parce que le vinyle, c'est un truc de riches. Le dernier album d'Orelsan coûte une quinzaine d'euros en CD. Il faudrait mettre dix euros de plus pour l'avoir sur platine. Et aujourd'hui, il est de plus en plus difficile et coûteux à presser. La Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants s'en est d'ailleurs émue dans un communiqué publié il y a quelques jours. L'origine de la crise est une pénurie des matières premières dont le polymère, indispensable à la fabrication du vinyle. Résultat, les délais de fabrication sont allongés et on constate une hausse des prix.

Et ce n'est pas Adele ou d'autres giga stars qui vont arranger le schmilblick: la chanteuse aurait commandé 500.000 pressages en vinyles de son dernier album, selon Variety, monopolisant alors les usines de production. De fait, n'est-il pas mieux de revenir à notre bon vieux compact disc des familles? «C'est loin d'être un mauvais format», conclut Sophian Fanen. Il a surtout été malmené par l'histoire mais ne mourra sûrement jamais. Et ça, Orelsan l'a bien compris.

Newsletters

«Los Reyes del mundo», fantastique et réaliste

«Los Reyes del mundo», fantastique et réaliste

Le film de Laura Mora accompagne avec vigueur et inventivité le voyage de jeunes gens lancés dans une quête vitale qui leur fait traverser leur pays, la Colombie marquée par la violence et la misère.

Les reels d'Instagram, un sous-TikTok de l'enfer

Les reels d'Instagram, un sous-TikTok de l'enfer

Le pire mode de voyage dans le temps –et surtout le plus con.

«Sept hivers à Téhéran», les saisons de l'injustice

«Sept hivers à Téhéran», les saisons de l'injustice

Grâce au montage d'éléments très variés, le documentaire de Steffi Niederzoll devient récit à suspens doublé d'un bouleversant réquisitoire contre un État répressif et misogyne.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio