Des histoires anciennes, des idées fausses récentes
Ah, les contes de fées qui ont bercé nos enfances. Leur délicieusement régressive mièvrerie, leurs happy ends aussi rassurants que réconfortants, la sensation que le monde est immuable, cantonné à des imaginaires féériques où les princes et les princesses vivent en harmonie, face à des dragons facilement neutralisables…
Et bien figurez-vous qu’il n’en est rien et que ces clichés sur les contes de fées datent d’il y a une petite cinquantaine d’années avec le succès fulgurant d’un certain Walt Disney. Dans son récit graphique enlevé «Et à la fin, ils meurent. La sale vérité sur les contes», l’autrice de bande dessinée Lou Lubie tord le cou, avec causticité et humour, aux préjugés sur ces contes pas si enfantins.
Alors, muni.e d’une certaine réserve de courage - certains contes sont véritablement effrayants, voire même carrément trash - aventurez-vous au gré des quelque 250 pages de cet ouvrage de référence, savamment documenté, sur les structures et secrets de ces grands récits qui forgent nos inconscients collectifs et nos imaginaires culturels depuis la nuit des temps.
Mutilations, suicides et pugilats: des contes loin d’être sages
On a la sensation de bien connaitre l’histoire charmante de la petite sirène qui accepte de prendre forme humaine pour séduire son prince entr'aperçu lors d’un naufrage. La version du danois Andersen ne laisse pourtant guère de chance à la belle et mutique infante-poisson, qui, après s’être fait couper la langue, finit par se suicider.
Chez les Sept-Nains des Frères Grimm, Blanche Neige est âgée de seulement sept ans et fait danser sa cruelle marâtre avec des souliers de fer chauffés au rouge jusqu’à la mort. Tandis que dans la Cendrillon de l’italien Basile, au début du XVIIème siècle, la jeune fille décapite ni plus ni moins sa première belle-mère, sans autre motif que celle-ci lui déplait.
Une violence qui n’effraie nullement les enfants, précise l’autrice en s’inspirant des fameux travaux de Bruno Bettelheim et de sa Psychanalyse des contes de fées, mais qui ont, au contraire, fonction de catalyseur pour apprendre à faire face à ses peurs. Lou Lubie se replonge également dans les études sur la structure narrative des contes de fées et rappelle qu’ils sont issus d’une longue tradition orale pluri-millénaire qui servait d’entrée dans la fiction autant pour les adultes que pour les plus jeunes admis aux veillées.
Sexistes, racistes et classistes, les récits de nos enfances?
«Un jour mon prince viendra, un jour on s’aimera» chantonne l’héroïne aseptisée de Walt Disney. Sexistes et hétéronomés les contes de fées? Alors que la question du consentement au baiser appliqué par le prince sur les lèvres inertes de la Belle au Bois Dormant fait polémique sur Twitter, Lou Lubie n’y va pas quatre chemins. Oui, affirme-t-elle, les réécritures des contes occidentaux pour le petit écran entrainent un lot important de préjugés et font état d’une culture blanche, hétérocentrée et sexiste. Même si les studios de production se mettent à s’adapter à leur époque en proposant d’autres récits.
Si l’on revient aux textes, on trouve presque autant de héros que d’héroïnes et des récits - notamment chez les frères Grimm - où les princesses sont motrices de leurs destins. Lou Lubie rappelle également que l’effacement des écrits ou des dires féminins de l’Histoire n’échappe pas au genre du contes de fées puisque les manuscrits des conteuses ont disparu des archives ou des mémoires.
(Re)penser le conte contemporain
Qui a déjà lu une histoire signée Marie-Catherine d’Aulnoy, pourtant à l’origine de l’appellation «conte de fées » ? Et qui se souvient de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve ou de Madame de Beaumont, pionnières des retranscriptions orales de récits populaires et d’ouvrages à destination de l’éducation des jeunes femmes?
C’est en appelant à se plonger dans les sources des contes, à diversifier les auteur.ice.s, à se raconter des histoires mutuellement ou à aller découvrir des récits issus d’autres cultures, que Lou Lubie invite le lecteur à considérer autrement son rapport au conte et à l’imaginaire, à ce qu’il dit d’une époque ou de l’état d’une société. Les séries Netflix qui nous fascinent durant des saisons entières ne sont-elles pas, à leur façon, un prolongement du rituel de la veillée et de l’histoire?
Car (re)penser le conte contemporain, c’est avant tout répondre à un insatiable appétit de récit et d’imaginaire. Et qu’on fredonne de bon cœur les chansons de Disney ou qu’on se délecte de la cruauté distancée de Grimm, c’est plutôt une belle et bonne nouvelle!
Crédit visuels: Editions Delcourt