La détresse psychologique des travailleurs ne cesse de gagner du terrain. Chez les salariés, les cas de burn-out sévères explosent, dont des cas graves menant à une hospitalisation. Cette fulgurante augmentation marque la fin de la course pour des salariés épuisés par dix-huit mois de crise sanitaire. En cause: le télétravail imposé, l'urgence permanente, le stress chronique, la surcharge de travail et la perte de sens. La santé mentale des travailleurs français semble au plus bas.
Afin de faire le point sur la situation, un sondage OpinionWay a été réalisé pour le cabinet Empreinte Humaine. Entre le 28 septembre et le 7 octobre 2021, 2.016 personnes composant un échantillon représentatif de la population salariée française ont été interrogées. Les résultats sont inquiétants. On note une augmentation de 25% des cas de burn-out par rapport au mois de mai 2021. Et pas moins de deux salariés sur dix sont actuellement en arrêt maladie pour raisons psychologiques.
Parmi ces travailleurs épuisés, on compte 44% de femmes et 33% d'hommes. Les plus concernés ont moins de 39 ans. Et chez un tiers des salariés touchés, le burn-out s'accompagne d'une dépression.
L'explosion du cadre
Pour Christophe Nguyen, dirigeant du cabinet à l'initiative de cette étude, les causes sont multiples: «Pour la plupart, il s'agit d'une accumulation. Cette fatigue est liée à la fois à la pandémie, mais aussi à la dégradation des conditions de travail en télétravail imposé. Le cadre a volé en éclats. Imaginez un peu: un mode de travail nouveau, chez soi, isolé, durant une période de crise qui a finalement duré dix-huit mois. La perte du collectif, la perte de sens, l'éloignement du résultat, le peu de reconnaissance: toutes ces choses sont à l'origine de l'explosion des cas de burn-out que nous traversons actuellement.»
«En télétravail, il est indispensable de créer de la proximité.»
Toujours selon l'étude du cabinet Empreinte Humaine, si huit salariés sur dix souhaitent continuer à télétravailler jusqu'à trois jours par semaine, les télétravailleurs sont malgré tout plus exposés au burn-out: 46% d'entre eux se trouvent en détresse psychologique, contre 40% pour les salariés en présentiel.
Le télétravail est désormais un véritable enjeu pour les entreprises, explique Christophe Nguyen: «Pour éviter une nouvelle vague de burn-out aggravée, il va falloir penser à développer des pratiques saines de management à distance. Les managers sont certes les plus touchés par le burn-out, mais ils sont essentiels pour connaître l'état moral des personnes et maintenir le soutien collectif.»
Plus que jamais, les supérieurs hiérarchiques ont un rôle capital à jouer. «En télétravail, il est indispensable de créer de la proximité, ce qui permet de suivre la charge de travail des collaborateurs, analyse Christophe Nguyen. Inventer des rituels d'équipe, repenser les façons de travailler en intégrant le bien-être psychologique, instaurer des repères pour identifier les signaux faibles et les signaux forts du burn-out... c'est comme cela que les entreprises doivent désormais avancer.»
Le corps qui lâche
Ces nouvelles méthodes de management, Marie aurait bien aimé les connaître. Manageuse au sein d'une plateforme de services en ligne, elle est hospitalisée depuis le mois d'octobre 2021 en raison d'un burn-out sévère. À l'origine, un immense sentiment de solitude:
«Je me suis retrouvée avec mon équipe de quinze personnes, à distance, sans consignes particulières, en pleine période de crise. Nous recevions nos tâches par mail ou par nos logiciels. Notre matériel était le nôtre, défaillant ou pas assez puissant pour être efficace. Pire encore, pas un bonjour, pas un sourire, pas un moment de break dans la journée pour discuter de nos vies. Mes supérieurs étaient toujours indisponibles.»
Marie évoque un sentiment de totale déshumanisation. «Ça m'a fait beaucoup de mal, et mon sentiment de solitude n'en a été que renforcé. La plupart de mes collègues ont rapidement montré des signes de détresse psychologique en raison de l'intense charge de travail, mais on ne les prenait pas au sérieux puisqu'ils étaient chez eux. Pareil pour moi... sauf que mon corps m'a lâchée du jour au lendemain.»
«Aujourd'hui, je ne peux plus rien faire et je suis sous antidépresseurs. Ma vie est un enfer.»
Maxence, jeune diplômé de 26 ans, lui aussi en burn-out depuis deux mois, décrit le début de sa vie professionnelle comme un véritable enfer: «Je regrette amèrement d'être entré dans la vie active en 2020. J'ai postulé à distance, j'ai été intégré à distance, et puis c'est tout. J'ai passé treize mois au sein d'une entreprise dont la plupart des salariés ne connaissent même pas mon existence, mes hobbies ou mon parcours. On m'a donné des tâches ingrates parce qu'elles étaient censées être temporaires, mais elles ont finalement duré dans le temps.»
Pour le jeune homme, poser des limites entre vie personnelle et vie professionnelle est vite devenu impossible. «En plus d'une perte de sens très violente, ce qui m'a achevé, c'est la non-déconnexion. J'avais la sensation de vivre dans mon écran. J'étais enfermé dans ma chambre toute la journée, il m'arrivait de travailler le samedi, le dimanche, ou de répondre à des mails urgents à 23h30. Je ne savais pas où mettre la limite, et à vrai dire, j'avais tellement peur de ne pas retrouver d'emploi que j'ai tenu tant que j'ai pu. Mais aujourd'hui, je ne peux plus rien faire et je suis sous antidépresseurs. Ma vie est un enfer.»
Des entreprises pas prêtes
Du côté des professionnels de santé, même constat. Christèle Albaret, psychosociologue et fondatrice de la clinique E-santé, a lancé l'alerte il y a plusieurs mois déjà:
«Ces derniers mois, nous avons reçu de nombreux travailleurs en burn-out. Il est évident que les entreprises n'avaient pas conscience des risques du télétravail, on ne peut pas leur en vouloir. Elles ont subi ce nouveau système de plein fouet et n'étaient pas préparées. Cependant, il est important de rappeler qu'un burn-out est parfois la porte ouverte à la dépression et à d'autres effets secondaires tels que le stress, l'anxiété, les migraines, les troubles du sommeil... c'est donc à prendre très au sérieux.»
Pour Christèle Albaret, que ce soit à distance ou en présentiel, les signes du burn-out sont les mêmes: «La surcharge de travail, le sentiment d'être dépassé, le déficit de reconnaissance et un stress chronique font les ingrédients principaux d'un burn-out. Ce qui change, c'est qu'il y a une double responsabilité à distance: celle des managers et des collègues, qui se doivent d'être attentifs aux uns et aux autres. Il y a aussi la responsabilité du collaborateur, qui doit pouvoir s'exprimer sur sa charge de travail et ses doutes. À distance, un déficit de communication et de conscience ne pardonne pas et mène plus facilement au burn-out.»
Pour limiter les risques du télétravail, cette spécialiste préconise de changer profondément les choses: «Cette crise oblige à repenser en profondeur le fonctionnement de l'entreprise et je pense que des choses très saines vont en ressortir. Je suis très optimiste à ce sujet. C'est une opportunité de se renouveler et de renouer la confiance accordée à ses équipes. Je pense aussi que désormais, les managers à distance ont besoin de soft skills différentes des managers en présentiel. Être un leader qui donne le cap, chaque jour, est essentiel. Accompagner, écouter, stimuler quotidiennement est leur nouvelle mission. Je pense qu'il sera difficile d'être un bon manager à distance sans un vrai leadership.»
Pour se prémunir du burn-out en télétravail, les consignes sont claires, conclut l'experte: «Avant tout, agir sur les sources du stress liées à l'environnement lui-même. En cas de surcharge de travail ou de mal-être, il faut parler. Il faut également tenter de mettre la bonne distance affective. Ce n'est pas toujours facile quand le lieu de vie se transforme en lieu de travail, mais il le faut, car vos collègues auront plus de mal à repérer vos signaux de détresse. Bien évidemment, faire du sport et alimenter sa vie sociale pour éviter l'isolement est indispensable.»