Quand les journalistes les embêtent sur leurs mauvais résultats en début de saison, les entraineurs du monde entier répondent à peu près la même chose. C'est devenu une sorte de coutume pour eux de rappeler que «la saison ne se joue pas maintenant mais en avril ou en mai». Ils pourront désormais prendre appui sur la finale de la Ligue des Champions 2010, qui se joue ce soir, pour étayer leur propos.
La finale des losers
Car personne ne pariait sur l'Inter de Milan ou le Bayern de Munich en septembre dernier. Les spécialistes parlaient de plusieurs équipes dont le F.C Barcelone bien sûr, le Real Madrid, car la finale se dispute chez lui à Santiago Bernabeu, Manchester United ou Chelsea, qui avaient survolé leurs poules. On allait avoir un affrontement MU-Barça en finale. Un match de rêve pour les amateurs de football où le beau jeu, le glamour et les passes impossibles seraient de mises. Une revanche de la finale de l'année dernière entre les deux formations les plus spectaculaires du monde.
Finalement, c'est un Inter-Bayern, c'est-à-dire tout le contraire. Une vengeance des «ouvriers du football», un triomphe de ces joueurs qui vivent dans l'ombre des stars, une ode au tacle et au pressing; la grande révolution des loosers. Car, pour la première fois dans l'histoire moderne de la C1 (abréviation pour la Ligue des Champions), deux clubs ayant finis deuxièmes de leur groupe disputeront la finale. Sur les 17 éditions disputées depuis la création des poules préliminaires, seuls trois «second couteaux» (Borussia Dortmund en 1997, MU en 1999 et Liverpool en 2005) ont remporté le titre.
Il faut dire que les débuts des deux équipes en C1 cette année n'ont pas été glorieux. L'Inter s'est largement incliné face au Barça au Camp Nou fin novembre, perdant ainsi la première place du groupe. La situation du Bayern était encore pire. Après avoir perdu ses deux confrontations face aux Girondins de Bordeaux, l'équipe de Louis Van Gaal a joué sa qualification à Turin face à la Juventus. Une victoire 1-4, le 8 décembre, qui a marqué un tournant dans la saison des bavarois.
Ennemis intimes
Car jusque là, le travail de l'entraineur, Louis Van Gaal, avait été très critiqué et son poste était en danger à chaque match. Il revenait de loin. Après un turbulent passage au F.C Barcelone, le coach néerlandais avait fini à l'AZ Alkmaar, un modeste club des Pays-Bas, avec lequel il avait même réussi à devenir champion en 2009. Pourtant, pas grand monde ne croyait en son retour au plus haut niveau et on n'avait de ses nouvelles qu'à travers ses surprenantes déclarations comme quand il a déclaré sa volonté d'entrainer le Real Madrid. Mais, contre toute attente, le Bayern lui ouvre ses portes à l'été 2009 et, après un début de saison difficile (les tensions que l'on connait avec Ribéry), il a finalement réussi le doublé en Allemagne.
Un parcours étrangement similaire à celui de José Mourinho, second et apprenti de Van Gaal lors de son passage à Barcelone et qui a, lui aussi, réussi le doublé cette année en Italie. Les deux entraineurs se connaissent par cœur et leurs trajectoires sont étroitement liées à la Ligue des Champions. Après l'avoir remportée avec le F.C Porto, Mourinho est recruté par Roman Abramovitch avec une seule mission en tête: faire de Chelsea le meilleur club d'Europe. L'équipe anglaise remporte deux championnats et deux Coupes de la Ligue mais chute toujours tout près du but en Europe. Une raison suffisante pour Abramovitch de licencier «The Special One» qui se retrouve en 2008 à la tête de l'Inter, trois fois champion d'Italie, et qui ne rêve que d'une chose, remporter la C1. Deux ans après, le pari est presque tenu et l'Inter va affronter le Bayern trente-huit ans après sa dernière finale. Le milliardaire russe est surement en train de se mordre les doigts, d'autant que l'équipe de Mourinho a éliminé les Blues en huitième de finale. Tout comme les dirigeants du Barça qui, malgré ses deux championnats et sa coupe du Roi, avaient limogé Van Gaal à cause de ses échecs en C1.
L'ironie du foot
Mais les curiosités ne s'arrêtent pas là et, connaissant les deux entraineurs, le spectacle sera présent aussi bien sur la pelouse que derrière la ligne de touche. La finale de ce soir sera pleine de petites histoires qui pimentent le monde du football. Comme celle qui dit que Mourinho pourrait être le prochain entraineur du Real Madrid et qu'il jouera chez lui ce soir au stade Bernabeu. On sait que c'est lui le grand responsable de l'échec du Barça dans sa tentative d'arriver à cette finale rêvée de Madrid. Et, vu sa réaction à la fin du match au Camp Nou, il semble clair que Mourinho n'a pas un grand souvenir de son passage comme «traducteur» (comme aiment à l'appeler les fans énervés) chez les blaugranas.
Mais l'ombre du Real et du Barça planera bien plus loin dans cet affrontement. En ce qui concerne les entraineurs, comme on l'a vu. Mais aussi pour l'effectif du Bayern. Ainsi, tout le monde se rappelle qu'un des arguments principaux qu'avançait Frank Ribéry pour ne pas prolonger avec le Bayern était le manque de compétitivité de l'équipe. Maintenant que les bavarois sont en finale de la Ligue des Champions (à Madrid), il semble bien que Ribéry puisse revenir sur sa décision d'émigrer vers le soleil espagnol, même s'il est suspendu pour le match de ce soir.
La revanche des bannis
Mais le jeu des ressentiments et des vengeances ne s'arrête pas là. Car, à y regarder de plus près, le Bayern et l'Inter vivent des restes ou des déchets des grands clubs européens (et surtout espagnols). Un beau retour de bâton face à la supposée toute-puissance du Barça et du Real. Les médias espagnols ne se sont d'ailleurs pas privés d'en rire en rappelant que Robben et Sneijder, les deux stars du Bayern et de l'Inter, étaient des pestiférés de la Casa Blanca. Comme l'a dit Arsène Wenger, toujours près à casser les madrilènes, «il faudra peut-être attendre à la sortie du Berbabeu voir quels joueurs ils laissent filer cet été».
Que dire également d'Eto'o, méchamment éjecté du Barça la saison dernière, Motta, vendu il y a quelques années à Gênes, ou van Bommel que l'on disait trop vieux, trop fatigué et trop...hollandais pour les blaugranas. Sans oublier Walter Samuel, la risée du public madrilène lors de son année au Real, ou l'énorme Cambiasso, qui a montré sa qualité de milieu défensif face à Messi en demi-finale. Connaissant la faiblesse des merengues à ce poste depuis le départ de Makelele, difficile de comprendre la vente de l'Argentin à l'Inter. Tout cela risque de provoquer une petite psychose chez les madrilènes et les barcelonais au niveau des sorties cet été. On douterait presque du bien-fondé de revendre Gago, c'est dire.
L'autre beauté du foot
Antipathique, déplaisante, mesquine...Nombreux sont ceux qui qualifient ainsi la finale de ce soir. Il faut dire que le Bayern et l'Inter ne sont pas les clubs les plus appréciés dans leur pays ni en Europe. Le sale caractère de leurs entraineurs et leur style ne jouent pas en leur faveur. Que l'on n'aime pas Mourinho, que l'on soit contre l'hégémonie écrasante du Bayern en Allemagne, que l'on pense que l'Inter ne fait que défendre, que l'on n'aime pas la comédie de Lucio (ce n'est peut-être pas un hasard s'il a joué dans les deux clubs), que l'on croit que les allemands ont volé le match contre la Fiorentina ou ont eu de la chance face à Manchester, les raisons ne manquent pas de bouder cet affrontement.
Mais les raisons pour qu'on assiste à un excellent spectacle sont au moins aussi nombreuses. L'intensité, la beauté tactique ou la nouveauté (c'est la première finale entre les deux) peuvent y contribuer. Mais surtout, c'est simplement une finale de C1. Au même titre qu'un Barça-Manchester United. Et, pour un fan de foot, c'est toujours largement suffisant.
Aurélien Le Genissel
Photo: Le stade Santiago Bernabeu à la veille de la finale de la Ligue des Champions, REUTERS/Paul Hanna