Dans la série y a-t-il des événements susceptibles de faire bouger les lignes entre la droite et le gauche d'une part, et au sein de la gauche d'autre part, il faut considérer deux événements récents: le dossier des retraites et l'énoncé par Martine Aubry de ses propositions; la prestation télévisée de Dominique Strauss-Kahn.
Au départ, il est vrai, le mécanisme de débat sur les retraites, conçu par le gouvernement, était particulièrement piégeur: on concerte, on sollicite des propositions, on invite à les chiffrer puis on prend l'opinion à témoin que le compte n'y est pas. C'est ce qu'a fait le gouvernement, obligeant Martine Aubry à sortir du bois, puis mettant en musique un concert de protestations.
Dans ces conditions, on peut considérer que Martine Aubry, en énonçant sur ce sujet une liste de recettes de poche (pourtant baptisées «durables»), a voulu répondre à côté. A cynique, cynique et demi, en quelque sorte! Vous nous interpellez sur l'âge de la retraite et la durée des cotisations, je vous réponds à côté car c'est à vous, gouvernement et majorité, de porter seuls la responsabilité de mesures impopulaires.
Démagogie
Si nous ne sommes pas dans ce schéma tactique et si nous devons considérer que les propositions de Martine Aubry seront celles du candidat de la gauche sur ce sujet, alors c'est plus inquiétant. Sur le fond, car aucun expert ne pourra soutenir que le plan du PS est à la hauteur du besoin de financement des retraites. D'ailleurs, il est symptomatique de rappeler que, là où le consensus des experts parlait d'une échéance à 2020 et l'autre à 2050, Martine Aubry a préféré fixer un cap à 2025! Sur le fond donc, faire croire qu'il suffira de faire payer les banques et les riches pour financer les retraites, c'est de la démagogie. Doublement, car c'est aussi aux banques et aux riches que l'on va demander de financer tous les autres déficits; en outre, cela laisse de côté la question centrale, qui est celle du régime de répartitions que l'on veut sauvegarder et qui repose sur un mécanisme simple: ce sont les cotisations des actifs d'aujourd'hui qui financent les retraites d'aujourd'hui.
Mais il faut voir aussi, dans la démarche de Martine Aubry, le résultat d'un choix politique. Celui de son alliance à l'intérieur du parti socialiste avec l'aile gauche, qu'incarne son porte parole Benoit Hamont; celui de gages donnés à la gauche de la gauche, qui ne peut qu'inquiéter tous ceux qui, responsables politiques, animateurs de think-tanks et équipes, se préparent à gouverner. Parce que, une fois au gouvernement, il faudra probablement expliquer que la situation est plus grave que prévue, que d'ailleurs on a commandé un audit pour l'évaluer avec précision, que le contexte international pèse de tout son poids; bref qu'il faudra faire autre chose que ce que l'on avait promis. On connaît ce film-là, il se reproduit à peu près à chaque alternance.
Il est difficile d'évaluer l'impact de ce positionnement sur le rapport des forces entre la droite et la gauche. En revanche on voit bien que ce dossier -et cela faisait parti du piège gouvernemental- a aussitôt réanimé la bataille pour la candidature socialiste. Entre la droite et la gauche, on le sait depuis les régionales, le rapport des forces est très favorable à cette dernière. Martine Aubry et son état major ont choisit de rassurer à bon compte. En allant au devant de ce qu'une majorité de l'opinion veut entendre: Martine Aubry se battra donc «de toutes ses forces» pour préserver le dogme de la retraite à 60 ans. Sur ce sujet, elle compte d'ailleurs exclusivement sur la bonne volonté des salariés pour, éventuellement, travailler plus longtemps; et seulement sur cette bonne volonté.
Rejet de Sarkozy
Tout se passe donc comme si on continuait, au PS, de miser sur le rejet de Nicolas Sarkozy. Rejet qui se lit dans les sondages et qui vient en grande partie de la défaillance d'une partie de l'électorat de droite qui voudrait pouvoir changer de champion. Mais il paraît bien imprudent de spéculer sur la permanence de ce rejet sur les deux ans qui viennent. Ne serait-ce que parce que, si l'on regarde les sondages d'intentions de vote en cas d'élection présidentielle, on s'aperçoit que l'écart est faible: dans la zone des 52/48. C'est évidemment à la portée d'une bonne campagne que de remonter un écart aussi faible.
Mais l'enseignement le plus immédiat de cette bataille sur le front des retraites concerne le, ou la, candidate socialiste. Dès lors qu'une partie de l'opinion considère que le PS est tenté de rejouer une partition par trop éloignée des réalités, dès lors donc que se reposerait la question de la crédibilité du PS, tous les regards se tournent vers Dominique Strauss-Kahn. Le fond de commerce du directeur général du FMI est évidemment toujours là et explique sa domination actuelle dans les enquêtes d'opinion, aussi bien chez l'ensemble des Français, que parmi les sympathisants de la gauche. La crise et sa persistance nourrissent une demande de compétences à laquelle DSK peut répondre, ne serait-ce qu'es qualité. Dans son intervention télévisée jeudi 20 mai, il s'est certes gardé de toute intrusion dans le débat national. Mais les seules bribes de réponse qu'il a données sur la question des retraites ont aussitôt provoqué des contre feux et éclairé la difficulté de sa position.
Pragmatisme
DSK a donc, de façon on ne peut plus raisonnable, expliqué que «si l'on arrive à vivre 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans» et que «il va bien falloir, d'une manière ou d'une autre, que ça s'ajuste». Et d'ajouter qu'il lui paraissait difficile «de vivre enfermé à Berlin, Londres ou Paris sans regarder ce qui se passe en Chine, en Inde ou au Brésil». La sentence est venue par la voix de Jean Glavany qui, pourtant, a été, dans un passé pas si lointain, un socialiste de gouvernement et qui connaît bien les arcannes du parti. «DSK cultive son image traditionnelle de centre gauche, bon gestionnaire», a-t-il dit. «Mais il ne prend pas le bon chemin pour être désigné par le parti en 2012»
Là est donc la difficulté de DSK. La crise porte elle-même une leçon ambivalente car elle évolue. Tant que nous étions dans la phase de la nécessité du sauvetage, le positionnement de DSK était parfait et bénéficiait d'une rente de situation. Mais dès lors que l'on est dans la phase des soins, donc de la rigueur, sinon de l'austérité, revient la mauvaise image du FMI, aux yeux d'une partie de la gauche, et c'est donc sur la gauche, au sein du PS et au-delà, que se forgent les attaques contre DSK. Cécile Duflot, pour les écologistes, avait déjà amorcé le mouvement. Le parti communiste embraye aujourd'hui en dénonçant «les propos indécents» de DSK. Et nul doute que d'autres, de Benoit Hamon à Jean-Luc Mélenchon, seront de la partie. A cette difficulté objective -Martine Aubry conforte la gauche de la gauche et s'abrite derrière celle-ci - s'ajoute pour DSK un autre piège, celui de l'accord qu'il a passé avec la première secrétaire et Laurent Fabius. Et qui rend impossible pour lui, sauf à se dédire, un combat frontal. Il ne pourrait donc être candidat que si Martine Aubry le lui demandait. Or, cette dernière, on vient de le voir avec le dossier des retraites, continue d'avancer patiemment ses pions. Sans doute conscient du danger, DSK, tout en entretenant sa présence médiatique, a lancé jeudi soir «qu'on me laisse travailler!». Travailler peut être. Candidater? Martine Aubry, par alliés interposés, n'a certainement pas l'intention de le laisser faire.
Jean-Marie Colombani
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Photo: Martine Aubry à Paris le 28 avril 2010, Benoit Tessier / Reuters