«Les crimes permettent parfois d'être élus si, en réponse, certains candidats proposent de lourdes peines.» Voilà ce que déplore Marion Vannier, enseignante-chercheuse en criminologie et justice pénale à l'Université de Manchester et autrice de l'essai Normalizing Extreme Imprisonment (non disponible en français). Son constat est partagé par Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, qui s'inquiète du retour des débats sur la peine de mort ou la «perpétuité réelle», comme l'avait déjà proposée Marine Le Pen en 2017, à l'occasion de la campagne présidentielle pour l'élection de 2022.
En France, la peine la plus élevée est la «réclusion à perpétuité perpétuelle». «Au bout de trente ans, le cas du prisonnier doit être réexaminé, au risque de violer la Convention européenne des droits de l'homme», précise Marion Vannier. La réclusion à perpétuité perpétuelle concerne à ce jour 480 à 494 personnes (soit moins de 1% du total des détenus, selon les statistiques d'avril 2020 de l'Administration pénitentiaire concernant les personnes écrouées en France), détaille Dominique Simonnot, qui précise que «beaucoup d'entre elles passeront en effet le reste de leur vie en prison».
Instinctivement, peut-être aurait-on tendance à penser qu'il est nécessaire de protéger la société de personnes dangereuses et que l'emprisonnement à vie est un moindre mal, puisqu'on ne tue personne. Pourtant, en mars 2021, lors du quatorzième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime, Ilze Brands Kehris, sous-secrétaire générale aux droits de l'homme et directrice du bureau de New York du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, a conclu que «les coûts et conséquences [de la perpétuité] pour la dignité et les droits humains sont immenses».
Pas une vengeance
«Intellectuellement, le débat sur la perpétuité perpétuelle ne peut pas avoir lieu tant qu'on ne le déconnectera pas de la peine de mort, rappelle Marion Vannier. Tout le monde a tendance à comparer au pire, mais ce n'est pas pertinent. Il y a quand même des informations qui interrogent: aux États-Unis, dans certains États qui appliquent encore la peine capitale, des détenus condamnés à la perpétuité demandent à être exécutés à la place.»
En 2006, en France, les condamnés à vie du Centre pénitentiaire de Clairvaux avaient réclamé le rétablissement de la peine de mort, se qualifiant «d'emmurés vivants» et dénonçant «l'hypocrisie» d'une société les laissant «crever à petit feu, sans espoir d'aucun lendemain». Pourtant, Robert Badinter avait déclaré en 1981 refuser cette logique de substitution: «La peine de mort est un supplice, et l'on ne remplace pas un supplice par un autre.»
«Comparer la perpétuité à la peine de mort en se disant qu'on ne tue pas, c'est se donner bonne conscience», estime Benoit David, avocat et directeur de l'association Ban Public, qui favorise la communication autour de la détention, ainsi que la réinsertion des anciens détenus. «Il est normal que la justice punisse les faits très graves. Mais la beauté de notre code pénal réside dans l'idée que l'homme évolue. Qu'au bout de vingt ans, il peut devenir meilleur.» Dominique Simonnot confirme: «La prison ne doit pas être une vengeance. Il faut que les condamnés s'emparent de leur peine, montrent qu'ils ont envie de sortir. Sans perspective pour supporter l'incarcération, il n'y a plus aucun espoir.»
À quoi bon travailler sur soi-même, essayer d'être une meilleure personne, demander pardon, si à l'horizon, aucune chance de retrouver une vie normale ne semble permise? «J'ai rencontré un ancien condamné à la perpétuité, qui est sorti au bout de trente ans. Aujourd'hui, il travaille, a des amis, une épouse, il est bienveillant... Oui, il a changé», raconte la Contrôleuse générale. Les récidives ne représentent d'ailleurs que 2,6% des condamnations en matière criminelle, rappelle Benoit David, citant un rapport du ministère de la Justice datant de 2017.
Le devoir de réinsertion de la prison
En plus de la perte d'espoir, se pose la question de la réintégration dans la société, autre rôle central de la prison. En 2009, la Danoise Elisabet Fura-Sandström, juge à la Cour européenne des droits de l'homme, estimait ainsi, dans son «Opinion dissidente de l'arrêt Léger c/France (Requête n°19324/02)», qu'en règle générale, «l'expérience prouve qu'une période d'une dizaine d'années correspond plus ou moins à la durée maximale qu'un être humain peut supporter derrière les barreaux sans que ne diminue progressivement sa capacité à réintégrer la société, à se débrouiller seul et à devenir un citoyen utile». «Ils s'hyper-adaptent à la prison, explique Benoit David. Jusqu'à une forme de déshumanisation: ils sont infantilisés, ne savent plus ouvrir les portes, perdent certains de leurs sens...»
«Après plusieurs dizaines d'années, des personnes sont complètement perdues: ce ne sont plus les mêmes tickets de métro, les mêmes bus, les mêmes rues, plus rien ne ressemble à rien», complète Dominique Simonnot. Sans compter d'autres problèmes comme l'aménorrhée (l'absence de flux menstruel) chez les personnes censées être réglées, ou encore les soucis de digestion ou de condition physique qui peuvent faire suite à un long séjour en prison, comme le montre l'épisode «Reprendre sa liberté» de la série sur les femmes et la violence d'Un podcast à soi (Arte Radio).
«Même la Cour pénale internationale de l'ONU ne prévoit pas une telle sanction pour les génocides ou les crimes contre l'humanité.»
Alors que faire? Supprimer la perpétuité perpétuelle? Peut-être, selon Marion Vannier, qui estime qu'on «n'en a pas besoin»: «D'autres États, comme la plupart des pays d'Amérique latine, les pays scandinaves et l'Ukraine se débrouillent très bien sans! Même la Cour pénale internationale de l'ONU ne prévoit pas une telle sanction pour les génocides ou les crimes contre l'humanité.»
Concernant les très longues incarcérations, l'avis des trois experts est sans appel: la solution se trouve dans l'accompagnement. «La prison est devenue un organe de contrôle des libertés, alors qu'elle doit répondre à un devoir de réinsertion. Sans ça, elle crée des bombes humaines, alerte Benoit David. Aujourd'hui, des peines de plus en plus lourdes sont poussées jusqu'à leur terme, les aménagements sont très difficiles à obtenir. Alors si les détenus sortent sans accompagnement, on peut redouter des récidives ou des suicides...»
Accompagner dès le début
Parmi les organes existants, la ferme de Moyembrie dans l'Aisne, établissement rural de réinsertion pour des détenus en fin d'emprisonnement, leur permet de travailler et d'être accompagnés dans la recherche d'un emploi et d'un logement. Quant à la ferme Emmaüs Baudonne, située dans les Landes, elle est consacrée aux femmes en aménagement de peine.
«Il faut aussi accompagner les détenus pendant leur peine et pas seulement à la sortie.»
Ces établissements sont indispensables, selon Benoit David: «Il ne faut pas oublier que l'environnement de la taule est bruyant, tendu. Vous êtes toujours sur vos gardes... Les gens en sortent épuisés et les exigences de la société face à eux sont déraisonnables.» «Il faut aussi accompagner les détenus pendant leur peine et pas seulement à la sortie, insiste Dominique Simonnot. Ça doit commencer dès le début.»
À travers cette proposition d'accompagnement se dessine en réalité une autre manière d'envisager la société: «Si on avait de bonnes structures et plus de moyens, on observerait une déflation carcérale, assure Benoit David. Aujourd'hui, on ne fait que construire des places de prison. C'est le signe d'une société malade.» «C'est très dur de ne pas lier ce sujet à la politique, souligne Marion Vannier. La manière dont on gère les prisons est le reflet de notre époque. Aujourd'hui, on a tendance à tout mettre sous le tapis.»