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Du qui suis-je au où suis-je [1/5]

Temps de lecture : 6 min

Les réseaux sociaux de géolocalisation existent depuis 2006. Mais ils connaissent un boom avec les smartphones.

Slate.fr publie une série de cinq articles sur les enjeux des réseaux sociaux de géolocalisation. Ils sont écrits par 4 étudiants de Sciences-Po Paris dans le cadre d’un travail de réflexion. Ils sont un préalable à la rédaction d’un livre blanc commandé par Mobicampus, service d’informations mobile pour les étudiants.

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Les réseaux sociaux de géolocalisation existent depuis 2006. Portés par le succès des smartphones qui prennent une part sans cesse croissante depuis 2007 dans un marché stable (de 700.000 unités vendues à 3,6 millions en 2009 sur un marché annuel de 23 millions d'unités, selon les estimations du cabinet d'études marketing Gfk), leur contenu s'est profondément modifié depuis. L'exemple de Loopt fait figure d'archétype: initialement circonscrit à une tâche de géolocalisation identique à Google Maps, le service a progressivement englobé toutes les dimensions des évolutions récentes des réseaux sociaux de géolocalisation en déclinant l'application en plusieurs sous-applications: LooptMella Media pour le versant city guide, LooptGame pour la socialisation ludique, et LooptMix pour la rencontre amoureuse géolocalisée.

Trois fonctions, pour trois groupes de réseaux sociaux. Pour résumer, l'utilisateur lambda se connecte sur ces applications mobiles pour interagir avec sa communauté, appréhender autrement l'espace dans lequel il vit en recommandant et en se faisant recommander des lieux, et de façon minoritaire pour obtenir ou retrouver une information. A chaque usage son application, même si les frontières sont floues: dans un marché dominé outrageusement par Foursquare, les éditeurs de ces applications mobiles jouent la carte de la polyvalence, entre réseau social, jeu et city guide.

Les réseaux socialisés

Tous les réseaux suivent peu ou prou le modèle impulsé par Facebook: une médiatisation de soi via un profil détaillé et des contenus diversifiés (statuts, photos, liens) et une socialisation active avec les membres de son entourage via des commentaires. Mais tous ne reprennent pas ce modèle au cœur de leur application.

Plyce, le dernier lancé sur le marché, veut concurrencer directement Foursquare en privilégiant le social sur le ludique: le rebranding du service, passé d'OpenPlayce, jugé trop ludique, à Plyce, suffit à s'en convaincre. Le service mobile français lancé par les business angels Marc Simoncini (Meetic) et Xavier Niel (Free) propose ainsi d'interagir fortement avec son réseau d'amis, comme un «Facebook de la géolocalisation».

Plyce décline le modèle en prenant exemple sur ses prédécesseurs américains: les vétérans Loopt et Gowalla, le discret Aka-Aki et bien entendu l'omniprésent Foursquare.

Les city-guides

Les city-guides jouent pleinement la carte de la géolocalisation. Chaque utilisateur est invité à marquer des lieux qui valent le détour, sur lesquels chacun peut déposer ses commentaires et ses retours d'expérience. Pour le citadin en goguette ou le touriste étranger, les avis utilisateurs constituent une plus-value alors certaine. La géolocalisation dans Brightkite a pour objectif une socialisation d'entourage: il s'agit moins de dire à tout son réseau où l'on se trouve que d'interagir avec les membres de son réseau proches de soi à un moment donné. Sur Dismoioù, la sociabilité est circonscrite à des lieux: à la manière de Google Maps et de Cityvox, les utilisateurs peuvent commenter certains lieux et y déposer des photos personnelles prises lors d'une soirée ou d'une visite. La sociabilité se déploie alors sur les «walls» des lieux, par absence de profil personnel interactif.

Les réseaux spécialisés

Les réseaux spécialisés sont parmi les plus «inoffensifs». Conçus comme des réseaux sociaux d'opportunité, ils n'engagent pas l'utilisateur dans une relation constante. Sur le site de rencontres géolocalisées Yuback, la géolocalisation sert à retrouver une personne croisée: une manière post-mortem de réjouir Baudelaire, en quelque sorte... Sur Loopt Games, chaque utilisateur peut organiser des jeux dans l'espace (chasse au trésor, chasse à l'homme, etc.) avec ses amis. Dans l'un comme dans l'autre, il n'y a pas véritablement d'usage cursif et continu du service qui rendrait l'utilisateur vulnérable quant à la protection de ses données utilisateurs.

Quels risques pour les données personnelles?

Ces réseaux sociaux d'un nouveau genre posent la question de la gestion des données personnelles. Elle se situe à un double niveau: vertical entre les utilisateurs et les éditeurs des services, et horizontal entre les utilisateurs. S'agissant de la collecte, de l'utilisation et de la cession des données personnelles, les politiques de sécurité de ces différents services mobiles ne diffèrent pas véritablement l'une de l'autre en raison d'un encadrement strict par la législation.

En revanche, la visibilité des données personnelles d'utilisateur à utilisateur est une question plus sensible. En effet, la plupart de ces services mobiles ayant vocation à être des city guides fondés sur les recommandations utilisateurs, la pérennité même de leur modèle se marie mal avec une politique de cloisonnement strict. Pour entrer dans une logique d'utilisation massive du partage et de recommandation de lieux, ces services mobiles ont en effet besoin d'avis générés par les utilisateurs pour que le système de bouche-à-oreille numérique puisse fonctionner.

Certains éditeurs de service mobile ont pris les devants. Sur Plyce et Dismoioù, un filtre s'opère entre ses amis et les autres utilisateurs. Pour le commun des mortels, un utilisateur n'apparaît que sous son prénom et l'initiale de son nom (Nicolas S. Bill G., Dominique de V., Margaret T., etc) ou sous un pseudonyme (exemple: iphone1984). Pour le cercle des intimes, c'est l'ensemble des données qui apparaît. Brightkite propose en natif de switcher très facilement du mode public au mode privé: en mode privé, les données de géolocalisation ne sont partagées qu'avec ses amis.

Reste que, malgré un cryptage basique, un individu demeure identifiable avec ses initiales ou sa photo, s'il a choisi d'en afficher une. La possibilité offerte par la majorité de ces réseaux de services mobiles de choisir les informations qui composent son profil (y compris une photo) permet d'opérer un contrôle individuel de ses données, diffusées alors sous sa responsabilité.

Mais qu'en est-il de «Facebook Connect», véritable passeport numérique qui permet l'inscription en un clic sur un service et de pré-remplir son profil? Plyce propose l'option en natif sur l'application iPhone. La stratégie de dissémination sur l'intégralité du web orchestrée par Facebook pourrait consteller ces services de données personnelles. L'outil, dont la mission première est d'éviter à un utilisateur de multiplier les comptes utilisateurs et les mots de passe sur différents sites en se connectant avec son profil Facebook, a l'inconvénient de mettre à disposition de ces réseaux sociaux des données personnelles pas toujours désirées.

Et le droit à l'oubli?

L'archivage des données est une question cruciale pour le volet city guide de ces réseaux sociaux. Sur Dismoioù, l'intégralité des visites d'un profil (qu'il soit ami ou non) est visible, remontant parfois à près d'un an. Pour les éditeurs de service, l'équation est complexe: protéger les données ou diminuer la base de données des avis utilisateurs. Pour les lieux à fort trafic, la régénération naturelle des avis utilisateurs peut permettre de supprimer les avis vieux de plusieurs mois; pour les autres, qui constituent la majorité, la protection des données conduit à un anonymat progressif. L'anonymisation des avis utilisateurs passé un temps donné ne pourrait de surcroît fonctionner qu'à la marge: qui se fierait à un avis anonyme?

Les inconnues Twitter et Facebook

Les réseaux sociaux de géolocalisation sont pour le moment conçus par des start-ups qui créent leurs actifs utilisateurs à partir de zéro. On peut légitimement s'interroger sur le futur de la géolocalisation quand les géants Twitter, et surtout Facebook, enclencheront le processus.

Depuis le mois d'août dernier, Twitter externalise la géolocalisation. Ses fondateurs ont consenti à ouvrir aux développeurs une API (interface de programmation) recueillant la géolocalisation des tweets; mais, pour le moment, il ne semble pas que Twitter veuille aller plus loin. Du côté du géant Facebook, la conférence annuelle F8 a clarifié les intentions. Pas un mot toutefois sur la géolocalisation lors de cette conférence, le service n'étant pas disponible; mais, selon le site AdAge, Facebook se lancerait dans la géolocalisation en mai avec McDonald's.

Le pas en avant fait par Facebook soulève une interrogation majeure: quels risques font courir Facebook et Twitter pour la protection des données personnelles? Sur le service de microblogging, l'usage n'est pas vraiment en vigueur, car Twitter ne fonctionne pas comme un espace de médiatisation de soi. A l'inverse, Facebook, dont les utilisateurs s'épanchent très largement sur leur vie privée dans leur profil personnel, pourrait valoir quelques sueurs froides à certains. Le géant des réseaux sociaux, déjà épinglé pour sa politique de confidentialité changeante, parfois obscure, trompant de nombreux utilisateurs peu vigilants ou pas assez informés sur le degré de confidentialité qu'ils ont paramétré, a modifié il y a quelques mois sa politique de confidentialité: désormais, la géolocalisation est considérée comme n'importe quel contenu publié.

Pas à pas, Facebook étend son emprise sur le web. La géolocalisation marque une étape: celle de la traçabilité physique des utilisateurs.

Isabelle Fillet, Guillaume Griffart, Thibault Mercuzot et Julien Rivet

Photo: Foursquare / teamstickergiant via Flickr License CC by

Prochain article: De l'information à l'exhibition inconsciente

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