Au cours des seules années 1990, Nicolas Cage a tourné sous la direction de David Lynch (Sailor & Lula), John Woo (Volte/face), Brian De Palma (Snake Eyes), John Dahl (Red Rock West), Michael Bay (Rock), Barbet Schroeder (Kiss of Death) ou encore Martin Scorsese (À tombeau ouvert).
Il a également été le héros de La Cité des anges et Les Ailes de l'enfer, immenses succès au box-office américain (199 millions de dollars au box-office américain pour l'un, 224 millions pour l'autre), et a remporté l'Oscar du meilleur acteur pour sa prestation dans Leaving Las Vegas de Mike Figgis. Un bilan absolument éblouissant qui en faisait l'un des acteurs les plus courus et les plus fascinants du paysage hollywoodien.
Rien qu'en 2019, Nicolas Cage a tourné dans Color Out of Space, Running with the Devil, Kill Chain, Primal, Grand Isle: Piège Mortel et Jiu Jitsu. Vous n'avez jamais entendu parler de chacun de ces films? C'est tout à fait normal. Les productions en question ne sont pas sorties dans les salles françaises, pas plus qu'elles n'ont eu le privilège d'être présentées en grande pompe par Netflix ou ses concurrents. En un quart de siècle, Cage a totalement changé de statut, courant les cachets tout en sombrant dans l'oubli.
Des dettes et des failles
Cette chute dans le précipice, l'acteur ne la doit vraisemblablement qu'à lui-même. Bien qu'ayant gagné plus de 150 millions de dollars au cours de sa carrière, Nicolas Cage a tout flambé. La liste non exhaustive de ses acquisitions est impressionnante: «Les yachts, les châteaux, l'un en Allemagne, l'autre en Grande-Bretagne [...] les îles, dont une aux Bahamas, les voitures, dont la Lamborghini qui appartenait autrefois au shah d'Iran, les motos, les avions privés, les comic books, les trains électriques, les crânes humains, les reptiles», énumérait Samuel Blumenfeld dans M, le magazine du Monde, en 2014.
Mais Cage n'est pas seulement un très gros dépensier: il a également omis de déclarer ses revenus au fisc américain, qui lui a réclamé pas moins de 14 millions de dollars en 2009. Depuis que cette légère étourderie a été mise en lumière, il n'a cessé de dévaler la pente. Bien que les cachets reçus sur ses films des débuts 2010 aient été pour le moins honorables (on parle de 12 millions de dollars touchés pour L'Apprenti Sorcier et de 7,5 millions pour Ghost Rider 2), le train de vie désastreux de l'acteur ne lui a pas permis de payer sa dette aussi vite qu'espéré.
Il n'a alors fallu que quelques mois et quelques films pour que tout le monde comprenne ce qui était en train de se produire: en un éclair, Nicolas Cage s'est transformé en spécialiste des direct-to-video. Cette expression, qui n'a plus grand sens en 2021, date d'une époque à laquelle tous les bons films sortaient au cinéma et où seule une partie des plus mauvais échouait directement dans les bacs des vidéo-clubs.
De nos jours, qu'un film soit directement présenté sur petit écran n'est absolument pas mauvais signe: il peut avoir été acheté par une plateforme souhaitant le faire sien, ou être considéré par ses distributeurs comme plus adapté à une cinéphilie de canapé. Concernant ceux dans lesquels joue Nicolas Cage depuis 2011, la situation est bien différente: à de rares exceptions près, ils sont tous si catastrophiques qu'ils méritent à peine de finir directement à la page 5 de votre catalogue VOD.
Beaucoup de films pour rien
De ses années 2010, on ne sauvera guère que deux films. D'abord Mandy, récit d'une vendetta sous acide mis en images par Panos Cosmatos, fils du réalisateur de Rambo 2. Ensuite Mom and Dad, film signé Brian Taylor (Hyper tension) dans lequel Selma Blair et lui incarnent un couple de parents pris d'une frénésie meurtrière qui le pousse à vouloir éliminer ses enfants. Deux étrangetés qui sortent du lot, coincées parmi des ribambelles de séries Z sans saveur et de polars sans âme.
De façon pas si étonnante, certains observateurs n'ont jamais trouvé Nicolas Cage aussi intéressant que depuis qu'il s'est fourvoyé. L'acteur est devenu le personnage central de plusieurs mèmes très populaires, il a même eu droit à son propre album à colorier, et, plus sérieusement, le journaliste Lelo Jimmy Batista s'apprête à sortir un livre à son sujet chez Capricci. Peu à peu, Cage est devenu culte, un peu à la manière d'un Jean-Claude Van Damme dont plus personne ne voit les films, mais qui continue à exister dans le cœur d'un certain nombre de spectateurs et spectatrices, avec une sincérité mâtinée de second degré.
Quelque chose semble néanmoins se produire pour Nick Cage. Quelque chose qui nous laisse espérer un véritable retour aux affaires. Pas certain que cela passe par The Unbearable Weight of Massive Talent, le film dont il incarne le premier rôle, celui d'un certain Nicolas Cage, acteur déchu et endetté qui accepte 1 million de dollars pour assister à l'anniversaire d'un fan, avant de se retrouver enrôlé par la CIA. Nul dote qu'on reparlera de ce film très méta lorsqu'il sortira dans les salles américaines en avril 2022.
Un nouvel espoir
Non, l'espoir vient surtout des dernières collaborations dans lesquelles l'acteur s'est engagé, qui montrent qu'il n'a perdu ni son sens du spectacle ni son intensité dramatique. Dans Prisoners of the Ghostland, présenté en septembre dans le cadre du dernier Étrange Festival, on a eu la joie de le voir évoluer devant la caméra d'un cinéaste renommé à défaut d'être célèbre, le Japonais Sono Sion. Un metteur en scène prolifique, aussi génial que foutraque, dont certaines des plus grandes œuvres (Guilty of Romance, Love Exposure) ont été présentées dans les sélections cannoises et berlinoises.
Aventure inénarrable qui mêle morts-vivants, samouraïs, cow-boys et geishas, Prisoners of the Ghostland ne ressemble pas franchement à un billet de retour vers Hollywood, mais le film vaut bien mieux que son (impossible) résumé. On y voit tout de même Nicolas Cage arborer un costume de cuir intégral, dont certaines parties (bras, mais aussi entrejambe) peuvent exploser à tout moment s'il ne respecte pas son contrat (sauver la nièce d'un dangereux parrain sans la toucher ni éprouver de désir pour elle). Mais il serait dommage de réduire le film à sa séquence d'explosion testiculaire (pardon pour ce tout petit spoiler), tant il déploie un univers graphique cohérent et une dramaturgie quatre étoiles.
S'il continue à frayer avec des réalisateurs de la trempe de Sono Sion, Nicolas Cage a de beaux jours devant lui, et finira par remonter sur le ring hollywoodien. Signe des temps: avec Pig, dans nos salles depuis le 27 octobre 2021, c'est la première fois depuis 2014 (et la sortie du très beau Joe de David Gordon Green) qu'un film dont Cage tient le premier rôle atteint les grands écrans français. Dans ce drame, il incarne un ancien chef cuisinier contraint de sortir de sa vie d'ermite lorsque son cochon truffier lui est dérobé.
Pig n'est pas un film parfait, loin de là, mais il pose un regard intéressant sur le monde de la cuisine et sur celles et ceux qui le font. Et puis Cage y confirme sa capacité à émouvoir d'un seul regard, au gré d'une prestation qui nous fait rêver de ce jour où l'acteur, une trentaine d'années après sa première statuette, remportera un nouvel Oscar et signera un discours à la Annie Girardot pour expliquer sa peur d'avoir été oublié et son amour, infini et éperdu, du vrai et bon cinéma.