«L'assimilation, ça n'existe pas! Ce qui existe, c'est la créolisation. Et on passe par des étapes: il y a d'abord l'intégration de ceux qui arrivent. Si elle est réussie, la créolisation va se faire plus vite.»
«Créolisation», le terme a été martelé par Jean-Luc Mélenchon tout au long du débat qui l'opposait à Éric Zemmour sur le plateau de BFMTV. Et c'est assez nouveau. Développé par le poète Édouard Glissant, ce concept était peu présent dans la bouche du candidat de La France insoumise à la dernière élection présidentielle. Mais alors que la nouvelle campagne promet d'être centrée plus que jamais sur les questions identitaires, le député semble avoir trouvé la parade.
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Jean-Luc Mélenchon fait de la créolisation un des grands axes idéologiques de sa candidature. Pourquoi cette mise en avant soudaine? Le leader de gauche a affirmé à l'Insoumission, le média de La France insoumise, avoir redécouvert le concept d'Édouard Glissant grâce au député européen Younous Omarjee. Quand on lui demande si c'est bien lui qui a remis Édouard Glissant dans les mains du tribun, l'élu LFI confirme: «Quand vous avez une responsabilité politique, il faut faire des efforts pour comprendre les mouvements non perceptibles. On doit essayer de saisir les grandes tendances et, pour nous en tout cas, trouver des solutions pacifiques face à ces transformations.»
D'origine réunionnaise, Younous Omarjee estime que le monde créole, qu'il connaît bien, est même l'exemple à brandir comme idéal face au discours de la droite sur l'assimilation. «Je viens d'un monde créole et je suis la preuve vivante de ce à quoi ressemble ce monde», avance-t-il. Un monde dans lequel les échanges culturels sont si importants que, comme le disait Jean-Luc Mélenchon durant son débat avec Éric Zemmour, le couscous serait l'un des plats préférés des Français.
Un processus perpétuel
Comment résumer le concept développé par Édouard Glissant? «La créolisation, c'est la rencontre des altérités qui produit des situations nouvelles, répond Younous Omarjee. C'est pourquoi il ne faut pas s'en inquiéter! C'est une lecture très optimiste, et c'est pour ça qu'elle est intéressante.»
Françoise Simasotchi-Bronès, professeure des universités en littératures francophones à l'université Paris 8 et co-autrice du livre Archipels Glissant, sourit quand on lui pose la question. «Je donne un cours de quarante heures sur la créolisation, donc ce n'est pas évident de la résumer en quelques minutes.» Elle tente tout de même: «C'est l'idée que des humanités différentes qui se trouvent réunies dans un endroit du monde participent à la création d'une nouvelle identité.»
Pour Édouard Glissant, l'une des grandes forces de ce processus infini tient en un mot: son imprévisibilité.
Étymologiquement, le terme vient, évidemment, de l'expérience créole. La colonisation de l'Amérique, de ses îles caraïbes ou l'Océan Indien, ont fait se rencontrer des peuples d'origines diverses aux cultures tout aussi variées: Indigènes, Africains déportés et colonisateurs européens. «Ils ont dû apprendre à vivre ensemble et à trouver une sorte de culture commune, de mode de vie commun», souligne Françoise Simasotchi-Bronès. Une situation qui a débouché sur l'invention d'une langue commune, propre à chaque territoire: le créole. «L'esclavisé n'avait pas la même langue, donc une langue s'est créée à la rencontre de toutes les langues: africaine, amérindienne, européenne, poursuit la chercheuse. Une vraie langue, pas un jargon.»
L'idée de créolisation était déjà présente avant qu'Édouard Glissant ne la théorise. «C'est une notion qui s'est développée en Amérique du Sud avec certains anthropologues qui avaient posé la question de la créolisation, explique Françoise Simasotchi-Bronès. Mais Édouard Glissant a pris cette notion anthropologique pour la développer philosophiquement.» Il insiste sur le fait que ces échanges et ces apports, qui s'accompagnent, parfois, de violence, entraînent sans cesse l'émergence d'une nouvelle culture.
La créolisation serait donc un processus sans fin puisque tous les nouveaux apports vont être intégrés dans cette construction identitaire commune. Pour Édouard Glissant, qui s'appuie notamment sur l'exemple de l'émergence du jazz, l'une des grandes forces de ce processus infini tient en un mot: son imprévisibilité.
Une opportunité politique
Pour la gauche, la créolisation pourrait permettre de marquer des points dans la lutte très gramscienne de l'hégémonie culturelle, selon laquelle la conquête du pouvoir passe par celle de l'opinion publique. Jean-Luc Mélenchon répète à l'envi qu'il y voit même le chaînon manquant à l'universalisme qu'il défend. Face à Éric Zemmour, il en a même fait le cœur de sa pensée sur les questions identitaires et a opposé le processus de créolisation au communautarisme: «La Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, sont des terres profondément créolisées. Et, contrairement à ce que vous dites, ça n'a pas créé une addition de communautés, ça a créé une communauté commune sous l'empire de la loi.» Une réappropriation qui n'est pas sans risque.
«C'est toujours la même question de “qui comprend quoi?”, interroge Françoise Simasotchi-Bronès. Si on n'explique pas à quoi cela correspond, en utilisant le mot “créole”, on fait peut-être un clin d'œil à quelqu'un d'autre.»
Récupérée par le patron de La France insoumise, l'idée d'Édouard Glissant est une façon de lutter contre le «grand remplacement» et autres thèses avancées par une frange de la droite qui imprègnent de plus en plus les débats. En face, Younous Omarjee reconnaît qu'il y avait une faiblesse structurelle à gauche sur ce point: «La gauche est un peu orpheline sur ces positions. La droite a présenté un système, il vaut ce qu'il vaut, mais il a sa cohérence. On le voit bien avec Éric Zemmour. Mais je tiens à rappeler que la créolisation est un concept qui ne surgit pas comme ça, ce n'est pas un concept hors sol mais une explication, un constat, une analyse de la réalité.»
Le député européen y voit une lecture plus optimiste de l'évolution de nos sociétés, qu'il oppose à celle d'Éric Zemmour qu'il estime «inquiète par rapport au mouvement de l'histoire». La créolisation, rempart de la gauche contre le discours identitaire de droite? Françoise Simasotchi-Bronès sourit: «Je crois que ça plairait à Glissant que l'on dise ça.»