«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par WhatsApp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Bonjour Lucile,
Je suis un homme de 31 ans, homosexuel cisgenre, Parisien exilé à Genève, célibataire pluriannuel, et je n'ai pas encore trouvé le chemin vers une vie amoureuse et sexuelle épanouie. J'ai été amoureux par le passé, je crois même que ce fut réciproque à quelques occasions. J'ai été satisfait sexuellement, à de très nombreuses occasions. Mais le doute m'assaille. L'âge avançant, je ne peux que constater que mes années d'orgies et de coups de foudre ne sont plus d'actualité. La plupart de mes amis sont en couple, certains depuis plus de dix ans. Les hétéros font des enfants, les gays s'achètent des résidences secondaires. Moi, comme Françoise Hardy, je vais seul, enfermé dans un cycle de porno, de fitness, de travail (un peu) et d'inscriptions et de désinscriptions à Grindr, Tinder et consort. Ce cycle a sûrement altéré ma vision de la réalité et augmenté mes attentes vis-à-vis de mes potentiels partenaires mais, tout de même, au-delà de mes propres défauts, je ne peux m'empêcher de croire que des obstacles de plus en plus infranchissables se dressent entre moi et le couple.
J'ai essayé d'appliquer à ma vie cet ancien précepte grec d'un corps sain dans un esprit sain. Or, je constate que beaucoup de garçons ne font pas de sport aujourd'hui: suis-je coupable de réclamer à mon partenaire qu'il soit bien foutu parce que je considère que je le suis aussi? Je constate que beaucoup de garçons ne sont pas capables d'intérêts multiples: suis-je coupable de réclamer qu'on puisse à la fois s'intéresser à Tolstoï et à Pikachu? Je constate que beaucoup de garçons gays sont passifs, comme moi, ou versatiles: suis-je coupable de réclamer une sexualité compatible avec la mienne? (et c'est sans parler du fait que la Prep a tué ma vie sexuelle vu que tout le monde la prend sauf moi et que tout le monde fout le camp dès que je demande le port du préservatif). En plus, j'habite à Genève, est-il besoin d'en dire plus sur la chaleur de cette ville? Je me suis inscrit à des tas d'actions bénévoles pour rencontrer des locaux, je me suis fait quelques nouveaux amis ici, mais ça ne fait pas le job. À force de rejets sexuels et amoureux, je veux bien croire que le seul point commun de ces échecs, c'est moi. Pourtant, personne n'a pris la peine de m'expliquer ce qui n'allait pas. Je ne voudrais pas que le petit-bourgeois que je suis devenu, et fier d'y être parvenu, finisse seul; car, déjà, aujourd'hui, je me sens plus esseulé que jamais.
Stanley
Cher Stanley,
Je pense qu'il y a aujourd'hui une dichotomie entre l'impression que nous avons tous et toutes d'avoir un grand choix dans nos rencontres potentielles (via des applications de rencontres, par exemple) et la capacité que nous aurions à créer un vrai lien, une relation solide et sincère avec quelqu'un. Dans notre société, nous avons aussi pris la mauvaise habitude de claquer des doigts pour qu'apparaissent devant nous en quelques minutes, quelle que soit l'heure, le moindre de nos désirs et besoins. Pourquoi l'amour serait-il plus difficile à trouver qu'un sorbet orange-carotte-gingembre à 1h du matin? Ou qu'un livre en import livré devant notre porte quelques heures à peine après avoir découvert son existence? C'est difficile d'imaginer que, puisqu'on arrive parfaitement à exprimer nos envies, rien ne puisse les combler simplement (comme tout le reste).
C'est quelque chose que j'entends beaucoup dans ma vie, de la part de proches ou de gens que je viens de rencontrer depuis deux minutes. On veut une histoire d'amour avec une personne qui a déjà des traits de caractère et des spécificités physiques très définies. On a déjà composé son image dans sa tête. Mais cette personne n'existe pas. Ou l'application qui permettrait de commander son perfect match en cochant des cases et où il ne suffirait ensuite que d'attendre la livraison n'existe pas. Mais, en fait, je ne suis pas convaincue qu'on sache parfaitement tous et toutes ce qu'on veut vraiment.
Il y a plusieurs choses que je peux vous conseiller d'essayer. Déjà, mettez vos habitudes de «petit-bourgeois» de côté. Vous ne pourrez pas commander un homme comme vous commandez des sushis. Il va donc falloir être patient et ouvert d'esprit, prêt à vous tromper et à tâtonner. Apprendre à connaître des gens, c'est aussi une partie de l'aventure.
Ensuite, les désirs se déconstruisent. Nos désirs viennent de constructions sociales comme le souligne le psychologue Claude Coquelle dans un article de la revue Cairn intitulé «Mes désirs ne viennent pas de moi».
Vous devez prendre conscience que votre vision de l'homme idéal n'est pas forcément la personne idéale pour vous dans la vie. Et commencer à chercher ailleurs, partout, à envisager d'avoir un rendez-vous avec quelqu'un avec qui vous avez partagé un bon échange, même si cette personne ne correspond pas à vos standards théoriques. Ces histoires de sport ou de culture générale ne sont que des détails. Ce qui compte aussi, c'est ce que vous allez vous apporter et partager dans le futur et pas ce que vous mettez sur la table dès les premières secondes des échanges. Si celui avec qui vous avez une complémentarité de caractère n'y connaît rien en Pokémon, apprenez lui. Ce sera probablement l'occasion de partager un bon moment et de créer des bons souvenirs. Pourquoi vouloir à tout prix que l'autre soit et sache? Qu'avez-vous à prouver? Ou à vous prouver? Un homme n'est pas une veste de créateur ou la parfaite résidence secondaire où inviter ses amis en week-end. C'est difficile, mais je suis convaincue qu'admettre que vos désirs sont accessibles à la déconstruction peut vous permettre de changer d'état d'esprit et augmenter vos possibilités de rencontres positives.
Vous dites que vous êtes le seul point commun de ces échecs et je ne peux que plussoyer. Cela veut donc dire qu'il y a quelque chose dans votre rapport à l'autre, à la séduction et à la relation qui ne va pas. Je pense que vous plaquez peut-être des codes de votre vie en général au domaine de l'amour et cela ne peut pas marcher. Je suis convaincue qu'on ne performe pas l'amour. Ou alors cela ne fonctionne que sur des petites périodes et des relations courtes. Si ce n'est vraiment pas ce que vous désirez, alors il va falloir vous laisser surprendre et vous rendre disponible pour cette surprise.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: