Société

«J'ai beau y mettre tout mon cœur, mon anniversaire me fait souffrir»

Temps de lecture : 6 min

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Maëlle, qui se sent chaque année incomprise et triste lorsqu'elle fait part de ses souhaits de cadeaux.

«J'ai été contrainte de fêter mes 10 ans, puis mes 20 ans par ma famille. Je n'en retire rien.» | Roseanna Smith via Unsplash
«J'ai été contrainte de fêter mes 10 ans, puis mes 20 ans par ma famille. Je n'en retire rien.» | Roseanna Smith via Unsplash

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par WhatsApp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Chère Lucile,

Je vais fêter mes 29 ans, et depuis quelques jours, mon amoureux me dit: «Ce jour-là, tu pourras me demander la faveur que tu veux, tout ce que tu veux.»

Je sais bien ce qu'il essaie de faire: me rendre heureuse, me faire plaisir, peut-être me donner l'occasion d'être égoïste.

Mais cela ne fonctionne pas. Plutôt que de me réjouir, je me retrouve bête. Et cette sensation me ramène à quelque chose de plus gros, de plus lourd. Quelque chose d'impalpable que je ne comprends pas, mais qui chaque année me saisit.

Chaque année, j'ai beau y mettre tout mon cœur, le passage de mon anniversaire me fait souffrir.

Ce n'est pas le fait de grandir, ni de vieillir. Ce n'est pas un rappel de mes échecs, au contraire: je réussis tout et je mène la vie dont j'avais rêvé. Il m'arrive régulièrement d'en pleurer de gratitude.

Quand j'étais petite, je ressentais également cette sensation. Elle me vient de loin.

Mes parents, mes proches me demandaient ce qui pourrait bien me faire plaisir et je ne savais pas quoi répondre.

Cette incapacité à savoir ce que je voulais, ou plutôt à vouloir précisément quelque chose, m'angoissait et me décevait. De moi-même et des autres.

Je ne fête pas mon anniversaire car tout me dérange dans cette idée: appeler mes proches, les convier, exiger d'eux qu'ils soient là pour moi.

M'occuper moi-même de l'organisation, m'embêter à faire tout ça alors que la perspective d'une soirée dont je serai «la reine» me donne envie de me cacher dans un trou pour pleurer tout ce que mon cœur contient de larmes...

J'ai été contrainte de fêter mes 10 ans, puis mes 20 ans par ma famille. Je l'ai fait pour eux et je n'en retire rien, sinon le goût amer de ne me sentir ni à ma place, ni vue, ni entendue.

N'est-ce pas un comble, que pour mon anniversaire, je fasse encore ce que les autres attendent de moi?

Alors chaque année, leurs attentions me rendent triste. Elles font couler mes larmes car même si je sens de l'amour derrière chaque objet acheté selon une liste que je m'oblige à écrire en me creusant la tête, ce que j'entends surtout, c'est: «Tu es une énigme pour nous, nous ne savons pas comment te faire plaisir.»

Parfois, j'aimerais demander ce que je voudrais vraiment. Il m'arrive de le faire.

Je veux de l'écoute, une conversation intime, un câlin, une surprise. Mes parents qui se déplaceraient jusque chez moi pour m'enlacer plutôt que de m'envoyer un cadeau par la poste sans carte et arrivé trop tôt.

Une véritable attention. Mais pas quelque chose que j'ai demandé en amont. Par pitié.

Alors, j'ai demandé à mon amoureux qu'il me raconte une histoire. Parce que j'adore ces moments où il invente des personnages loufoques comme ça, juste pour moi. C'est tellement précieux.

Il était déçu. «Tu ne préférerais pas un massage, un bon repas, autre chose?» Sa déception m'attriste plus encore. Cela signifie-t-il que ce qu'il y a de plus important pour moi ne vaut rien?

Je crois que derrière tout ça se cache la sensation d'être si différente et tellement incomprise. Même par les personnes les plus chères à mon cœur.

Je vois bien qu'elles se débattent pour me comprendre. Qu'elles aimeraient vraiment réussir à me faire plaisir. Mais quand je leur dis ce que je veux vraiment, elles ne saisissent pas. «C'est tout?»

Mes anniversaires me ramènent à cette réalité violente: je ne me sens pas appartenir à une tribu, à un clan, à une famille. Je ne connais personne qui fonctionne «comme moi».

De tous les cadeaux que j'ai reçus, je me souviens avec émotion d'un poème inventé, et d'une photographie d'enfance.

L'année prochaine, j'ai 30 ans, et j'angoisse déjà à l'idée de décevoir tout le monde en ne les fêtant pas. Ni avec mes amis, ni avec ma famille.

Je ne m'en sens pas capable. Et quelque part, j'aimerais que s'ils m'aiment vraiment, ils me le prouvent cette fois, en ne me demandant rien et en me surprenant. Il suffirait d'un rien. Une simple vidéo où je les entendrais raconter un souvenir vaudrait tout l'or du monde.

Si je leur demande, je serai déçue. Mais si je ne prends pas les choses en main, je sens que ma déception sera la même.

Maëlle

Chère Maëlle,

Il me semble que la question de savoir ce qui pourrait vous faire plaisir vous attriste parce qu'elle implique un manque, un besoin ou même un geste que vous ne pourriez pas atteindre vous-même. Techniquement, vous le dites, il ne vous manque rien. Et vous êtes même heureuse. Ce que vous attendez des autres est immatériel. C'est une attention, c'est une surprise. Et, dans notre société capitaliste, cela vous honore. Mais votre besoin est incompris. Et puis, vous devez aussi comprendre que ce que vous attendez «coûte» parfois un peu plus cher qu'un simple objet ou qu'un bon d'achat pour un massage. C'est difficile d'offrir à quelqu'un une émotion ou un souvenir. C'est beaucoup de pression et ça fait peur. Ça oblige à vraiment bien connaître la personne. Et puis il est impossible d'avoir une prise sur les marques d'amour, elles nous sont destinées mais elles prennent surtout la forme de celles et ceux qui l'expriment. Ce qui compte, c'est l'amour. C'est de recevoir le message.

Nous ne sommes pas toutes et tous doués pour le fait-maison ou pour la créativité poétique. Nous ne pensons pas toujours assez nos cadeaux en amont, avec des petites notes qui permettent d'avoir une idée. Parfois l'idée est là mais elle prend trop de temps, trop d'énergie et puis on a peur d'en avoir trop fait ou d'avoir été trop intime. Les cadeaux que vous demandez sont probablement les plus difficiles à faire et c'est pour ça que vous vous heurtez à un mur d'incompréhension.

Je vais être très sincère avec vous: je suis toujours aussi très déprimée par mes anniversaires. Je voudrais une fête mais il faudrait que je l'organise. Les messages automatiques sur les réseaux sociaux me dépriment alors que je rêve d'une «simple» carte postale. J'aimerais ne pas être obligée de faire des listes de cadeaux dont j'ai envie (le même problème se pose à Noël en plus), ou pire, d'aller me les acheter moi-même après un impersonnel virement bancaire. Je suis comme vous. Pas déprimée par le temps qui passe mais par l'énergie que je vais devoir fournir pour mon propre anniversaire, par ce qui relève presque de l'auto-célébration de mon existence.

Il y a bien des cadeaux qui me feraient plaisir mais je n'ai plus aucune envie de passer mon temps à envoyer tous les renseignements pratiques aux personnes qui sont supposées me les faire. Mon anniversaire, c'est le moment de l'année où je me sens déçue de toutes les interactions et relations que je n'ai pas su créer avec les autres. C'est un rappel douloureux parce que je vois bien que d'autres y arrivent. J'essaye de toujours transmettre mes attentions aux autres quand j'en ai l'occasion ou l'idée. Mais je réalise le jour de mon anniversaire que je ne suis pas quelqu'un destiné à recevoir ce niveau d'attention. C'est comme ça.

D'une part, il est important de reconnaître que c'est une lourde responsabilité à faire porter aux autres. Celle de réussir à nous sentir comprises, respectées, aimées pour ce que nous sommes. Et de l'autre, il faut trouver un équilibre pour que ces moments de célébration théoriques ne deviennent pas des moments de souffrance. À défaut de recevoir les cadeaux et les gestes dont vous rêvez, ne vous obligez plus à jouer la comédie. Peut-être que c'est a minima le cadeau que vos proches peuvent vous faire: celui de ne pas vous forcer à faire des listes de cadeaux dont vous n'avez pas envie et qu'il faudra pourtant recevoir avec le sourire, celui de ne pas vous obliger à organiser ou coorganiser une soirée où vous n'avez pas envie d'aller. Je pense que c'est quelque chose d'entendable pour beaucoup de gens: je voudrais qu'on fasse les choses à ma manière.

Vous n'aurez aucune prise sur la capacité de vos proches à vous surprendre avec des petites attentions personnalisées, mais vous aurez toujours le choix d'exprimer votre opinion. Je crois même que c'est la seule manière de vous rapprocher d'eux, de leur permettre de vraiment vous connaître et donc de vous offrir des marques d'amour dont vous avez vraiment besoin.

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

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