L'Australie, jusque-là fer de lance de la stratégie dite «Zéro Covid» ou «Zéro cas», connaît actuellement une vague épidémique sans précédent et ce, malgré des confinements locaux. Début septembre, elle enregistrait entre 1.400 et 1.700 cas quotidiens –correspondant à 5 à 7 cas/jour pour 100.000 habitants, ce qui reste une incidence plus de trois fois inférieure à celle de la France actuellement, mais avec 900 personnes hospitalisées, dont 150 en soins intensifs et le seuil symbolique des 1.000 morts du Covid franchi, le pays se retrouve dans une situation inédite depuis le début de la pandémie.
Cela signifie-t-il pour autant que la stratégie «Zéro Covid» est inefficace? Voire qu'elle aurait été un pur échec? Loin s'en faut. Nous dirons plutôt que cette politique d'élimination est peut-être parvenue à ses limites mais qu'elle reste aujourd'hui la plus performante de toutes les options politiques de riposte contre cette pandémie dans le monde.
Pour parvenir à cette conclusion, nous avons comparé la France et le Royaume-Uni avec l'Australie, des pays de même niveau socio-économique et de culture politique démocratique, sur un critère peu discuté, la mortalité par Covid.
Au 2 septembre 2021, 1.020 personnes sont décédées du Covid en Australie depuis le début de la pandémie, ce qui correspond à quatre décès pour 100.000 habitants.
À titre de comparaison, pendant la même période, 125.839 personnes sont décédées du Covid en France, adepte du «vivre avec» ou stratégie de mitigation, ce qui représente 188 décès pour 100.000 habitants (le Royaume-Uni a enregistré sur la même période 133.066 décès, soit 200 décès pour 100.000 habitants), soit, en France, quarante-sept fois plus (au Royaume-Uni 50 fois plus) qu'en Australie à population égale.
Des confinements incessants, interminables
Il ne s'agit pas de chercher à s'accrocher au «Zéro Covid» que nous avons défendu depuis longtemps comme la meilleure option stratégique en matière de riposte contre la pandémie, mais force est de reconnaître que l'Australie n'a en rien perdu son pari: elle a, au contraire, sauvé un grand nombre de vies humaines. Si l'Australie avait connu la performance française, au lieu des 1.000 décès d'aujourd'hui, elle en aurait enregistré 47.000. Et si elle avait connu la performance britannique, 50.000.
Car, c'est bien là l'enjeu et la grande différence avec les stratégies européennes, alors que nos dirigeants avaient essentiellement pour but d'éviter la saturation hospitalière, l'Australie avait pour objectif de ne simplement pas enregistrer de cas, de ne pas voir circuler le virus sur son sol, c'est-à-dire d'éviter qu'il y ait des malades dans les hôpitaux et subséquemment des morts.
Mais, pour ce faire, les Australiens, qui, comme les Européens, pensaient que tout cela ne s'éterniserait pas, ont dû recourir à une mesure en particulier, aussi efficace que difficile à tenir sur la durée. Il s'agit de la fermeture des frontières aux voyageurs étrangers, c'est l'un des piliers majeurs de la stratégie «Zéro Covid», c'est aussi son talon d'Achille. On a souvent entendu dire que les confinements étaient incessants et interminables dans les zones sans Covid.
Mais si la réaction des autorités y est beaucoup plus précoce, puisqu'au moindre cas dont la contamination est inexpliquée, elles imposent alors des confinements stricts, mais locaux et ponctuels généralement de quelques jours, en réalité, la vie quotidienne a été plus libre, moins longtemps confinée, sans quasiment de gestes barrières la plus grande partie du temps.
De plus, leur stratégie s'accompagnait de campagnes de dépistage massives, d'un contact tracing extrêmement serré, d'un séquençage très systématique des virus identifiés, et de quarantaines rigoureuses quoique faillibles pour les ressortissants de retour au pays. Mais rien de tout cela n'était très impactant sur la vie sociale et économique du plus grand nombre.
La politique «de suppression»
S'il a été démontré que cette stratégie d'élimination était non seulement plus performante sur le plan sanitaire, elle le fut aussi sur le plan social et économique. Il n'en reste pas moins que la politique «Zéro Covid» a été extrêmement difficile à tenir sur le long terme, la population, de culture très ouverte, se sentant enfermée dans son propre pays. Ainsi, alors que les Australiens ont été globalement très conciliants au cours de ces dix-huit derniers mois, des manifestations parfois violentes ont éclaté à Melbourne et à Sydney durant le mois d'août.
Un autre intrus s'est également invité, jouant les prolongations dans cette pandémie: c'est le variant Delta, plus contagieux, avec une durée d'incubation plus courte, qui semble ne pas pouvoir être contenu avec des mesures qui s'étaient jusque-là montrées efficaces.
«Nous ne devons pas nous leurrer en croyant que nous pourrions vivre avec le Covid alors que seule 35% de la population est vaccinée.»
Le 1er septembre dernier, en expliquant que les mesures allaient être assouplies de manière progressive, Daniel Andrews, Premier ministre de l'État du Victoria, a tenu ces propos: «Il y a eu des nombreuses discussions sur l'impact psychologique et sur le bilan des confinements. Le fait est que cette pandémie a un coût considérable. [...] Mais nous ne devons pas nous leurrer en croyant que nous pourrions vivre avec le Covid alors que seule 35% de la population est vaccinée.»
Car aujourd'hui, un des problèmes australiens est là: faute d'avoir connu les drames humains liés à la pandémie, les Australiens rechignent à se faire vacciner. À ce jour, moins d'un Australien sur deux a reçu une dose et seule 29% de la population dispose d'un schéma vaccinal complet. Il faut reconnaître aussi qu'ils avaient entièrement misé sur le vaccin AstraZeneca qu'ils produisent sur leur sol sous licence, et que ce vaccin a connu des déboires dès son lancement, n'aidant pas à convaincre les nombreux hésitants.
Comment et quand l'Australie pourra-t-elle donc se sortir de cette situation? Elle va probablement être obligée d'abandonner un certain dogmatisme consubstantiel de la stratégie «Zéro Covid», mais elle conservera sans doute une profonde aversion à la circulation du virus. On peut parier qu'elle adoptera, avec un certain pragmatisme une politique que l'on appelle «de suppression».
Trous dans la raquette
D'une certaine manière, on peut presque parler d'une forme de convergence, sinon d'harmonisation, des politiques occidentales avec celles de ces États démocratiques du Pacifique et d'Asie qui ont opté initialement pour la politique «Zéro Covid» et qui cherchent aujourd'hui à l'ajuster. Le recours étendu au pass sanitaire en France, en Italie, en Espagne, ou au Danemark s'éloigne aussi de la stratégie de «Stop&go» allant de reconfinements en déconfinements qu'ils ont connus.
Ces passs sanitaires ont été instaurés en l'absence de risque imminent de saturation hospitalière, et sont ainsi un signe que l'Europe tolère de moins en moins de vivre avec un virus qui circulerait beaucoup sur le territoire. Cette nouvelle doctrine, qui tient compte d'une vaccination sûre et efficace, la souhaite la plus large possible auprès de la population éligible. Tant que la menace reste élevée, elle cherche à combiner cette vaccination avec d'autres mesures visant à diminuer les risques de transmission par aérosols, comme l'équipement des lieux clos en matériels de ventilation, de capteurs de CO2, de purificateurs d'air, mais aussi la poursuite du port du masque en lieux clos, la mise en place de stratégies de testing de masse mieux coordonnées, de contact tracing lorsque les niveaux d'incidence le permettent et d'isolement efficace.
La doctrine devra cependant encore s'affiner car il demeure un certain nombre de trous dans la raquette du modèle français par exemple, qui pourraient rendre difficile l'objectif d'une circulation minimale du virus de manière pérenne. Parmi les failles, le déficit de sécurisation des établissements scolaires demeurait à l'aube de la rentrée scolaire une des préoccupations majeures de nombre de scientifiques mais aussi d'associations de parents d'élèves, et de syndicats d'enseignants.
Parmi les autres points d'achoppement, nous citerons certaines imperfections du pass sanitaire. Comment concevoir son efficacité dès lors que les personnes vaccinées testées positives conservent leur QR code valide alors même qu'elles sont contagieuses? Ce pass, qui reste liberticide et contraignant, devrait au moins chercher à être le plus efficace possible.
Une période charnière dans la gestion de la crise
Le déremboursement des tests pose aussi de réels problèmes alors que la page de cette pandémie semble loin d'être tournée. D'aucuns jugeraient normal que les personnes vaccinées n'aient pas à payer pour les personnes non vaccinées qui souhaitent se faire tester pour pouvoir passer la soirée du samedi en boîte de nuit. Mais qu'advient-il de ces personnes? Ne risque-t-on pas une multiplication de faux pass et autres passe-droits? En outre, certaines personnes vaccinées asymptomatiques ou oligosymptomatiques avaient également pris l'habitude de se faire tester sans devoir aller chez le médecin avant une réunion ou si elles suspectent leur petit mal de tête ou leurs éternuements répétés d'être causés par le Covid…
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Elles ne le feront plus si elles doivent débourser 50 ou 100 euros ou se rendre chez leur médecin et prendront alors des risques pour elles et en feront courir à leurs proches. Il nous semble que le déremboursement des tests devrait s'accompagner d'une stratégie de déploiement d'auto-tests à très faible coût. La Suisse, par exemple, offre cinq autotests antigéniques gratuits par mois, disponibles en pharmacie pour tous les résidents. C'est une solution élégante pour permettre d'aider les citoyens à conserver une attitude responsable dans cette pandémie.
Incontestablement, nous arrivons à une période charnière dans la gestion de la crise, tant en Europe qu'en Asie et dans les États du Pacifique. Il est normal que les doctrines évoluent avec le temps –un temps autrement plus long qu'initialement prévu. Il serait bienvenu qu'elles convergent désormais, et qu'elles retiennent le meilleur de chacune, en capitalisant sur les leçons du passé récent.