Santé / Société

Pour en finir avec les fantasmes autour du HPI

Temps de lecture : 7 min

Les idées reçues autour du haut potentiel intellectuel n'aident ni les personnes dites douées, ni celles qui pensent l'être.

Audrey Fleurot dans la série HPI (2021). | Capture d'écran Bandes Annonces Cinéma via YouTube
Audrey Fleurot dans la série HPI (2021). | Capture d'écran Bandes Annonces Cinéma via YouTube

Ces individus fascinent et interrogent. On leur attribue des caractéristiques singulières listées dans des articles de presse féminine ou des livres de développement personnel. On dit qu'ils sont trop intelligents pour être heureux, qu'ils sont trop différents pour entretenir des relations sociales ou amoureuses harmonieuses.

Qu'on les appelle «surdouées», «précoces, «génies», «zèbres», «virtuoses» ou «prodiges», les personnes à haut potentiel intellectuel font l'objet de nombreux fantasmes –c'est la raison pour laquelle elles font de parfaits personnages de fiction. En outre, le haut potentiel intellectuel attire et constitue une explication rationnelle à des difficultés psychologiques ou relationnelles.

Mais la somme de stéréotypes qui entoure le haut potentiel intellectuel n'aide ni les personnes dites douées, ni celles qui pensent l'être. Faisons le point avec un chercheur en psychologie cognitive et une psychologue clinicienne.

C'est quoi, être HPI?

Commençons par la base: pourquoi parler de «haut potentiel»? «En France, on utilise plutôt l'expression “haut potentiel intellectuel” (HPI)», expose Corentin Gonthier, maître de conférences en psychologie cognitive à Rennes 2 et spécialiste de l'intelligence. «Cela permet de dire qu'il s'agit d'un potentiel, qui peut se traduire par un talent particulier mais pas nécessairement. On a tendance à éviter le terme “surdoué”, trop connoté sinon stigmatisant. Quant au terme “précoce”, s'il est pertinent pour les enfants, il ne l'est pas pour les adultes.»

Nathalie Clobert, philosophe, psychologue clinicienne, formatrice et coautrice de Psychologie du haut potentiel, ajoute: «Le terme le plus exact est “haut potentiel intellectuel": il porte en lui la notion de capacité, de possibilité de réalisation, ce que la personne est capable de faire.» Ainsi, une personne HPI pourra-t-elle réaliser des choses absolument géniales tout autant qu'elle pourra ne rien laisser paraître de ses capacités.

Si l'on veut définir plus avant de quoi on parle, il ne faut pas aller chercher très loin, comme l'énonce Corentin Gonthier: «Il existe des différences de scores aux tests d'intelligence parmi les gens. Les personnes HPI sont celles qui obtiennent un score élevé avec un QI supérieur ou égal à 130. Elles représentent les 2,5% de la population les plus élevées au-dessus de la norme.»

Et... et c'est tout. Les tests d'intelligence réalisés par des psychologues spécialisés –ce sont les seuls qui ont une quelconque valeur diagnostique– sont des tests composites qui évaluent le fonctionnement cognitif global et comportent une batterie d'épreuves qui permettent d'évaluer des capacités spécifiques. Ils ne disent strictement rien de la personnalité des individus à haut potentiel.

Ni hypersensibles, ni solitaires, ni mauvais élèves

«La supposée existence de caractéristiques spécifiques aux personnes HPI, que ce soit concernant les émotions ou la personnalité, est une idée très française, signale Nathalie Clobert. En France, l'identification des enfants à haut potentiel n'est pas systématique. Les personnes qui effectuent un test auprès d'un ou d'une psychologue le font parce qu'elles éprouvent des difficultés. Cela constitue un biais de recrutement.»

Corentin Gonthier abonde: «La plupart des caractéristiques supposées des personnes HPI, par exemple tout ce qui a trait à la personnalité, au sens de la justice, à l'hypersensibilité... ne sont pas du tout fondées. Leur liste se base essentiellement sur les témoignages subjectifs de psychologues. Une partie du problème est qu'il existe un biais de sélection: on consulte lorsqu'on éprouve des difficultés... d'où une surreprésentation des témoignages de personnes HPI qui rencontrent par exemple des difficultés sociales ou affectives ou souffrent d'isolement.» Voici le problème: les études cliniques oublient les personnes HPI qui vont bien! Ainsi, le chercheur note que «sur de grosses cohortes de personnes HPI, on ne retrouve pas en moyenne ces supposées spécificités».

«Certains traits s'avèrent plus présents, comme une grande créativité ainsi qu'une grande ouverture à la nouveauté, à l'expérience, aux idées et à l'imagination.»
Nathalie Clobert, philosophe, psychologue clinicienne, formatrice

L'étude des ces grosses cohortes nous permet de balayer différents mythes: les personnes HPI ne sont pas plus solitaires que la moyenne, ni plus dépressives. Elles ont des compétences sociales au moins aussi bonnes que la majorité des gens. Elles n'ont pas non plus un sens de l'humour plus développé ni un plus grand sens de la justice –comme on peut le lire sur Wikipédia. Et, contrairement à une idée reçue très installée, les enfants à haut potentiel ne sont pas forcément de mauvais élèves: «C'est aussi un problème de biais de sélection. Les enfants à haut potentiel intellectuel ne sont pas non plus systématiquement en échec scolaire quoique certains peuvent décrocher par ennui et manque d'intérêt. Ils ont au contraire, en moyenne, de bons résultats», assure Corentin Gonthier.

Une autre précision à apporter tant les amalgames sont légion: il n'y a pas de lien entre le haut potentiel intellectuel et les troubles du spectre autistique –même si une cooccurrence est possible. D'autres troubles développementaux comme le trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), la dyspraxie ou la dyslexie peuvent toucher des personnes à haut potentiel intellectuel mais rien à ce jour n'indique qu'ils soient plus ou moins fréquents chez les personnes HPI.

Les personnes HPI n'ont-elles pour autant aucune caractéristiques communes? Si. Et en toute logique, celles-ci ont essentiellement trait à la cognition, comme le développement précoce du langage et de la lecture. Nathalie Clobert détaille: «Certains traits s'avèrent plus présents en moyenne, comme une grande créativité ainsi qu'une plus grande ouverture à la nouveauté et à l'expérience –et plus particulièrement une plus grande ouverture aux idées et à l'imagination. De manière plus discrète, on retrouve également une sensibilité légèrement plus élevée.»

S'autodiagnostiquer, c'est s'étiqueter

Comment dès lors repérer le HPI chez un enfant ou un adulte? «Les signes d'appel du haut potentiel intellectuel sont des capacités intellectuelles remarquables, des facultés de réflexion et de compréhension importantes et une appétence pour les sujets complexes», énumère la psychologue, avant de nuancer: «Il existe cependant des personnes HPI qui sont de vrais caméléons et qui normalisent leurs performances. Cela peut être le cas notamment à l'adolescence.» Corentin Gonthier indique: «Chez l'adulte, l'un des principaux signes d'appel –qui doit ensuite amener éventuellement à faire un test– est d'avoir l'impression d'un décalage intellectuel avec les autres personnes. Un autre motif fréquent est la difficulté professionnelle, notamment l'ennui au travail.»

Ceci repéré, nos spécialistes invitent à la plus grande prudence concernant l'autodiagnostic ainsi que les tests en ligne. «L'autodiagnostic n'est pas fiable, puisque la plupart des caractéristiques que l'on cite en général (comme le sens de l'humour, de la justice, ou l'hypersensibilité) n'existent pas, et parce qu'on est assez mauvais pour évaluer soi-même ses compétences intellectuelles», signale Corentin Gonthier. Et d'ajouter: «Dans le cadre des demandes de consultation pour “suspicion de haut potentiel”, on identifie effectivement un HPI dans environ un cas sur trois à un cas sur cinq. On trouve souvent un niveau d'aptitude assez élevé sans atteindre le seuil du HPI.»

Nathalie Clobert évoque quant à elle les dangers de l'autodiagnostic: «Le risque de l'autodiagnostic est d'enfermer la personne dans une étiquette réductrice, surtout lorsque cette étiquette est perçue comme une explication tant attendue à un chemin de souffrance. Cela peut masquer des difficultés psychologiques dues par exemple à un trouble éventuel, et entraîner ensuite une résistance au changement en thérapie.» Elle évoque des personnes qui souffrent, par exemple, d'isolement ou de difficultés sociales, et se résignent en se disant «c'est parce que je suis HPI, c'est ainsi et je ne saurais changer».

L'intérêt de le savoir (ou non)

Tous deux préconisent d'effectuer des tests auprès d'un spécialiste. Cela coûtera entre 250 et 500 euros pour en avoir le cœur net. Nathalie Clobert précise ce que cette somme recouvre: «Dans un premier temps, le psychologue effectue un entretien d'anamnèse. Puis, il fait passer le test à la personne à l'occasion d'un second rendez-vous. Enfin, lors d'un troisième rendez-vous, il propose un compte-rendu. Cela représente près de dix heures de travail pour le psychologue.»

Une fois le diagnostic de haut potentiel posé, qu'en faire? L'intérêt est nettement différent selon qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un adulte. «Pour les enfants, passer un test d'intelligence auprès d'un psychologue peut être pertinent pour confirmer un HPI (dans le contexte d'un mal-être, de difficultés scolaires, etc.). Identifier un HPI peut conduire à des aménagements comme un saut de classe, une intégration au sein d'une classe d'enfants à haut potentiel intellectuel ou encore un enrichissement des apprentissages, des dispositifs qui peuvent tous avoir un effet bénéfique», suggère Corentin Gonthier.

«Je recommande aux personnes un peu fragiles sur le plan identitaire de ne pas se faire tester.»
Nathalie Clobert, philosophe, psychologue clinicienne, formatrice

La motivation n'est pas la même chez les adultes, continue le chercheur: «Pour les adultes, passer un test peut relever d'une volonté de mieux se connaître et éventuellement d'expliquer des difficultés, d'expliquer l'origine d'un mal-être. Mais l'identification d'un HPI n'apportera pas de solution miracle, chacun devra adapter son environnement en fonction de ses besoins.»

Nathalie Clobert met toutefois en garde: «Se faire tester quand on est adulte peut être positif lorsque le bilan permet de mieux se connaître et de se réapproprier une partie de soi. Mais lorsque le haut potentiel intellectuel n'est pas confirmé par les tests, il peut y avoir une grande déception. C'est pour cela que je recommande aux personnes un peu fragiles sur le plan identitaire de ne pas se faire tester, surtout lorsqu'il existe peu d'indices de performances intellectuelles élevées dans le parcours de vie.»

Dans tous les cas, ce n'est pas tant la suspicion d'un haut potentiel intellectuel qui doit pousser à consulter lorsque l'on est adulte que le fait d'éprouver une souffrance ou des difficultés dans sa vie. «Pour les adultes, je conseille de prendre garde à la qualité des informations sur le haut potentiel intellectuel. Le haut potentiel n'est pas un trouble: c'est une différence rare, souligne la psychologue. Mais lorsqu'il existe une souffrance, ils ne doivent pas hésiter à formuler une demande d'aide et à consulter un psychologue.»

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