Ça faisait un an que les rumeurs étaient persistantes. On savait le joueur désireux d'aller voir ailleurs et son club, le FC Barcelone, éprouvait les plus grandes difficultés du monde à trouver un terrain d'entente et obtenir une prolongation de contrat. Eh bien voilà, c'est fait, Messi quitte le navire. Après avoir tout connu avec le Barça, du centre de formation jusqu'au statut de capitaine, avec plus d'une dizaine de titres, allant de la Liga espagnole à la Ligue des champions, Lionel Messi s'envole vers d'autres cieux.
Alors qu'il touchait un salaire de 100 millions d'euros brut par an de l'autre côté des Pyrénées, c'est un contrat de 25 millions d'euros net hors prime jusqu'en 2023 qui l'attend, avec une année supplémentaire en option. Avec les primes, si celles-ci ont été bien négociées et seront atteintes, on peut parfaitement imaginer des émoluments à hauteur de ce que touche déjà la star brésilienne à Paris, Neymar, avec ses 36 millions d'euros par an.
C'est effectivement moins que ce qu'il gagnait au Barça mais de toute manière, vu la conjoncture et le contexte, personne ne pouvait se permettre de le payer autant. Surtout pour un joueur de 34 ans, à quelques saisons de la retraite. À Barcelone, il avait même réussi à trouver un accord pour sa prolongation, acceptant de réduire de 50% ses prétentions salariales. Mais c'est la Liga qui a refusé d'homologuer son contrat, jugeant que le club ne respectait pas le salary-cap mis en place depuis 2008, après la crise des subprimes. Ce n'est donc pas pour une question d'argent que la Pulga quitte la Catalogne pour l'Île-de-France: même à zéro euro de salaire, le Barça aurait toujours eu un ratio masse salariale sur budget de 95%, alors que les autorités ibériques imposent un seuil max de 75%.
Ainsi, voilà arrivé en grandes pompes Lionel Messi à Paris: il a été présenté à tous les fans et tous les supporters. Le club de la capitale, dirigé depuis 2011 par un fonds souverain qatari, a de grandes ambitions avec lui. D'abord financières, car il faut rentabiliser sa venue; mais aussi sportives: avec une équipe regroupant sur le front de l'attaque trois des quatre meilleurs joueurs du monde (Neymar, Mbappé et Messi), ne pas remporter a minima la Ligue des champions sera considéré comme un échec. La pression est donc de ce côté et les bleus et rouges devront réussir à imposer leur force de frappe, trouver un style capable de faire jouer en bonne intelligence le trio magnifique et éviter tout déséquilibre avec la défense.
Une attaque parfaite, une défense perfectible
C'est peut être ici que le bât blesse. Le PSG de Messi ressemble de plus en plus au Real Madrid galactique des années 2000 de Zidane, Beckham, Ronaldo, Owen, Figo, etc. Sauf que cette équipe n'a jamais remporté de Ligue des champions et a davantage déçu que fait rêver. À l'époque, tout le monde s'accordait à dire que cela était dû à son déséquilibre entre la défense et l'attaque. D'ailleurs, le proverbe du Real était «la meilleure défense, c'est l'attaque». Tous les moyens étaient concentrés devant et les joueurs espéraient simplement mettre plus de buts que l'adversaire, quand bien même ce dernier ait réussi à marquer face à une défense fragile et perfectible.
C'est un peu la même chose avec Paris qui, malgré l'arrivée du Madrilène Ramos et du Milanais Hakimi, pèche encore sur le plan défensif. Il y a notamment un lourd déficit à l'aile gauche, avec le retour de blessure de l'Espagnol Juan Bernat, qui n'a pas joué depuis un an, et Kurzawa, qui a des envies de départ et n'a pas vraiment assuré au PSG. Peu d'investissements ont été faits à ce poste. Cela n'est pas sans rappeler la théorie du O-Ring développée par les économistes Chris Anderson et David Sally, dans leur livre The Numbers Game.
Dedans, ils avancent l'idée qu'un tout petit défaut peut provoquer de lourds dégâts et qu'il faut toujours faire attention aux détails et aux variables annexes, non-significatives et dérisoires. La théorie du O-Ring a pour référence l'accident de la navette spatiale américaine Challenger qui, à la fin des années 1980, avait explosé en plein vol, malgré des milliards de dollars dépensés par la NASA et le gouvernement américain. Après enquête, les scientifiques s'étaient rendu compte que le vaisseau, bijou de technologie, avait explosé à cause d'un joint anodin, malheureusement défaillant, acheté à peu de frais à un prestataire, sans vérification ni considération.
On était parti du principe que comme tout avait été fait sur le gros de l'appareil, les détails suivraient. Il n'était pas possible qu'un si petit joint puisse provoquer autant de dégâts sur un appareil ultramoderne et performant. C'est la théorie du O-Ring: l'importance donnée aux détails.
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L'économie appliquée au foot
Dans leur livre, Anderson et Sally l'appliquent au football et cherchent à savoir si les équipes les plus performantes sont celles qui alignent les meilleurs joueurs garantissant le meilleur niveau sur le papier, ou au contraire, les meilleurs équipes par le niveau individuel des joueurs et par l'écart compétitif le plus faible possible. Autrement dit, la plus grande homogénéité couplée à la meilleure moyenne.
Pour cela, ils ont simplement considéré les notes des joueurs et des équipes dans les quatre grandes championnats européens (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne) et en coupe d'Europe. Ils ont étudié dans un premier temps la moyenne seule, puis, dans un second temps, la moyenne associée à l'écart-type, un indicateur statistique mesurant les écarts au sein d'un panel (ici au sein d'une équipe de foot). Plus l'écart-type est élevé, plus le niveau est hétérogène entre les joueurs (il y en a beaucoup de bons et beaucoup de moins bons) et inversement.
«Je n'ai jamais vu un sac de billets marquer des buts.»
Conclusion? Alors que sans l'écart-type, mécaniquement, les équipes à la meilleure moyenne sont largement devant sportivement, une fois l'écart-type ajouté, ce n'est plus le niveau qui compte mais l'homogénéité, la stabilité et la ressemblance sportive. Les meilleures équipes ne sont pas celles qui alignent le ou les meilleurs joueurs aux postes offensifs, les meilleures équipes sont celles capables d'assurer autant au niveau de l'attaque qu'au niveau de la défense, celles où les écarts entre les joueurs, sur le terrain, sont les plus faibles, et où une certaine osmose est perceptible. Anderson et Sally constatent notamment une très forte corrélation entre le couple (moyenne et écart-type) et le classement en championnat. Ce ne sont plus les stars qui comptent, c'est l'osmose.
Par exemple, sur leur base de données, comprise entre 2005 et 2013, c'est le Barça de Messi en pointe et de Maxwell à gauche qui sort du lot, avec la moyenne la plus élevée pondérée par l'écart-type le plus faible. Aujourd'hui, bien qu'ancien joueur du PSG, Maxwell a pris sa retraite. C'est une autre histoire qui commence.
La question est donc de savoir si Paris, avec Messi, se place dans ce cas de figure, ou, à l'inverse, eu égard à la théorie du O-Ring, va se compliquer la tâche en imposant un écart bien trop important entre son attaque de rêve et ses ailes perfectibles. Kehrer et Kurzawa sur les côtés relançant Mbappé, Neymar et Messi, ça peut faire tâche et, selon la théorie, ça n'apporte pas forcément des effets positifs. Ce serait dommage, pour Paris, de se faire éliminer de la Ligue des champions, malgré Messi dans son effectif, à cause d'un simple joint, anodin et lambda, positionné à l'aile gauche de son équipe.
En football, il faut revenir à ce que disait Johan Cruyff, associer les joueurs les plus chers du monde n'apporte pas forcément les meilleurs résultats: «Je n'ai jamais vu un sac de billets marquer des buts.» On verra pour Paris, si ses millions d'euros dépensés et investis apporteront des résultats, marqueront des buts, ou n'auront servi qu'à faire rêver les supporters.