Le 30 juin, TF1 a diffusé Quiz: un téléfilm de Stephen Frears qui raconte comment Charles Ingram, ex-militaire et père de famille propre sur lui, devient le premier et unique gagnant tricheur de «Qui veut gagner des millions» version britannique. Une anecdote qui serait un peu plus connue si l'émission n'avait pas été tournée le 9 septembre 2001.
Quiz éclaire le rapport que la société entretient avec les jeux télévisés.| Who Wants To Be A Millionaire? via YouTube
Cette fiction, toujours disponible en VOD, pose trois questions. Qu'est-ce qui constitue un bon contenu de jeu télévisé, et son corollaire: qu'est-ce qui a fait percer «Qui veut gagner des millions» (QVGDM, ndlr) à l'international? Qu'est-ce que la culture du quiz, nodale au Royaume-Uni? Pourquoi les rédacteurs britanniques sont-ils obsédés par Craig David?
Aujourd'hui, c'est le premier point qui nous intéresse. Après tout, nos deux pays partagent de nombreux concepts. «Qui veut gagner des millions», «Personne n'y avait pensé!», «Une famille en or», «Money Drop» –plus quelques émissions vraiment susceptibles de finir chez nous, telles que le tout récent «The Answer Trap» ou «Tipping Point», dont le dispositif principal est un pousse-pièces géant. Alors, comment bien écrire un jeu télé de quiz, et pourquoi «Burger Quiz» demeure-t-il le meilleur format jamais créé dans le PAF?
Les candidats sont aussi importants que les questions
Pour mieux comprendre ces mécaniques, j'ai fait appel à un spécialiste. Alex McMillan est irlandais, game designer, fan de drag, de l'«Eurovision» et d'improvisation. Depuis cinq ans, il rédige à titre professionnel des questions pour «Mastermind», «Only Connect» (qui démarre sa dix-septième saison) et d'autres jeux produits sur YouTube.
C'est un excellent ambassadeur de ce qui existe moins concrètement en France –l'amour des soirées quiz dans les pubs, une discipline nationale en Angleterre. À la fac, où il aidait ses camarades à se retrouver sur les véritables plateaux télé, Alex a créé un club de trivia –littéralement traduit par anecdotes et aussi un autre moyen d'appeler la discipline, on dira «un jeu vidéo» ou un «jeu télé de trivia». Il maîtrise l'écriture des jeux les plus appréciés dans l'Hexagone, où l'on ne demande plus directement un savoir donné, mais où le dispositif, les candidats et l'animation font partie intégrante du dispositif.
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Nous avons demandé à ce spécialiste ce qui, à ses yeux, constitue une bonne question dans un jeu télé. Avant toute chose, elle doit s'adapter au médium pour laquelle elle est utilisée, et l'on revient vite à ce qui nous accroche à QVGDM. «Les jeux de quiz, c'est avant tout suivre le voyage d'un candidat, et le jeu télé se doit d'envoyer des questions qui nous disent quelque chose sur ces candidats», analyse Alex. «Pour un format de question-réponse rapide, les épreuves doivent fuser pour nous montrer la capacité des concurrents à se remémorer quelque chose. Mais pour des concepts comme “Only Connect”, “Personne n'y avait pensé!” ou “Une famille en or”, les puzzles doivent être complexes à décoder, et les candidats doivent démontrer leur aptitude à faire preuve de pensée latérale.»
Il part du principe qu'un jeu télé réussi est, avant tout, celui où un candidat a réponse à tout et où l'ensemble embrasse un aspect performatif. C'est sans doute ce qui nous accroche depuis presque quinze ans à «Tout le monde veut prendre sa place», où l'on ajoute une dimension sérielle pour suivre les champions de l'émission, concept très français.
Après «Fort Boyard», «Tout le monde veut prendre sa place» est l'un des formats français les plus dragués à l'international . | The Greg Scott Channel Of Random Loveliness via YouTube
Quiz aux multiples facettes
Nos jeux télé à succès misent beaucoup sur l'humour de l'écriture («Burger Quiz») ou sur la présentation (tout la Nagui attitude). À l'inverse, l'absence totale de comique peut aussi être une caractéristique, comme l'était l'étrangement aride «100% question».
L'humour est-elle une composante nécessaire? «Je pense que le trivia et le stand-up ont un ADN commun, juge Alex McMillan. Les deux ont le même but: dépasser l'horizon d'attente des auditeurs, et les surprendre. Une bonne question de quiz doit un peu faire fonctionner le cerveau avant d'arriver à la bonne conclusion; de la même manière qu'un comique travaille à ce qu'on puisse intégrer et comprendre une blague juste avant d'arriver à sa punchline. Mais toutes les questions ne peuvent pas faire cet effet, et il est essentiel de rythmer ces petits clous du spectacle pour les apprécier encore plus quand ils tombent.»
Niveau difficulté des questions, Alex explique: «Une question parfaite est une question où chaque spectateur pense que c'est ardu, mais en fait, tous connaissent la réponse!».
Nos jeux télé à succès misent beaucoup sur l'humour de l'écriture. | Burger Quiz via YouTube
Le spécialiste vante une autre forme de jeux, où le quiz est détourné de son usage initial. Il cite le jeu américain «The Hustler»: «Cinq candidats jouent, l'un d'entre eux est “l'arnaqueur” qui a déjà toutes les réponses, les questions sont inspirées par leurs vies et il doit répondre au maximum de choses possibles sans se faire remarquer. Le trivia est une composante du jeu, mais ce n'est pas la raison qui nous fait regarder!». Un rouage proche de Qui est la taupe? mais, hélas, son unique saison sur M6.
Tout comme dans «Burger Quiz»: l'écriture excelle, mais la comédie, le rythme, les idées subliment l'ensemble. Qui d'autre prend autant à cœur de respecter son identité visuelle jusqu'à employer des figurants qui font semblant de cuisiner derrière Chabat? Quasiment personne dans le monde. C'est, selon Alex, «le meilleur export de notre nation».
Bonnes sources, bonnes pratiques
En tant que rédacteur, l'une des difficultés demeure dans la nécessité de se renouveler, de chiner de nouveaux concepts, de ne pas tomber dans une routine. Quelles sont les bonnes sources à consulter régulièrement? Ma recommandation personnelle serait le site TvTropes, qui collecte avec exhaustivité et érudition les lieux communs dans l'intégralité de la fiction.
Et où Alex trouve-t-il l'inspiration? «Dans ce travail, on commence à voir du trivia partout! Le plus banal peut être réécrit pour devenir notable. On peut puiser du matériel dans l'actualité, au moins, celle qui donne envie de se lever le matin. Les sujets plus légers, même le people, peuvent mener à des chemins intéressants. Si Wikipédia ne devrait jamais être utilisé en tant que source, un lien externe peut aussi être un bon premier pas. J'adore découvrir des trucs comme le bouc de Gävle et me demander comment je vais l'insérer dans mon travail.» Alex préconise la curiosité, de ne pas hésiter à aller sur Reddit et à réfléchir sur la façon d'interroger des gens sur des choses qu'ils ne savaient pas, cela en partant de connaissances qu'ils détiennent bel et bien.
«Les sujets plus légers, même le people, peuvent mener à des chemins intéressants.»
Ce qu'il ne dit pas, c'est que les jeux qui travaillent le moins leur écriture dans leur dispositif (pour ne pas dire les plus feignants) peuvent être redondants. Ils versent dans une culture du trivia, un peu académique, que l'on retrouve dans des dictionnaires. Tant et si bien que tous ces ouvrages y glissent parfois des anecdotes inventées pour piéger les copieurs et plagiaires.
Le téléfilm Quiz montre aussi ce qu'était composer un quiz avant qu'internet ne devienne une source, alors qu'aujourd'hui nous en sommes totalement dépendants. C'est sans doute une étrange qualité d'écriture des jeux français: nous sommes relativement détachés de ce qu'il se passe sur internet. Comme le dit Alex: «Les rédacteurs de quiz doivent avoir un sens aigu de ce qui a “percé” dans la mentalité du public, et de comment les questions peuvent être posées à ce sujet.»
C'est, sans doute, ce qui nous manque le plus: l'incapacité à se détacher d'une culture générale nationale un peu plate et aride. En France, nous n'avons pas d'idées, mais nous avons au moins de bons présentateurs et présentatrices.