Comme beaucoup d'autres pays qualifiés, la France connaît depuis mardi 11 mai le nom des 30 joueurs susceptibles de partir en Afrique du Sud la représenter à la Coupe du monde. Comme les sélectionneurs de l'Allemagne, du Brésil, de l'Angleterre ou de l'Argentine, Raymond Domenech a fait des choix difficiles, et laissé sur le bord de la route des stars.
Mais ce n'est pas la liste qui a fait parler du sélectionneur mardi soir. D'autres ont pris des décisions au moins aussi étonnantes. Vieira et Benzema ne seront pas du voyage? Ronaldinho et Pato (Brésil), Francesco Totti et Lucas Toni (Italie), Ruud Van Nistelrooy (Pays-Bas) et Esteban Cambiasso (Argentine) non plus. Comme Domenech l'a résumé: «Choisir, c'est éliminer.» La surprise n'est donc pas dans la liste. Non, encore une fois, c'est une pirouette médiatique de Domenech qui a pris des millions de téléspectateurs de court: il devait annoncer les 23 qui iront au Mondial, il en a appelé 30 dans l'antichambre.
Beaucoup de Français ont eu l'impression qu'on se moquait d'eux. On peut s'en prendre au «grand cirque» orchestré par TF1, qui, après avoir fait monter la sauce pendant plusieurs jours autour de l'«événement», a fait saliver ses téléspectateurs jusqu'à la fin du journal. Mais plus que le cirque de la première chaîne, c'est celui de Raymond Domenech qui a marqué, et une phrase revient beaucoup au lendemain de l'annonce: «Il nous a pris pour des cons.»
Tout a été dit sur la communication désastreuse du sélectionneur français, sa demande en mariage tragico-comique d'après-élimination en 2008 (pour laquelle il s'est excusé maintes fois), son attitude envers les journalistes. On se souvient de sa tirade en conférence de presse avant un France-Serbie crucial pour son avenir et celui des Bleus, en septembre 2008:
Il y a du monde aujourd'hui. Ah oui, c'est vrai. L'odeur du sang vous intéresse. [...] Je suis content d'une seule chose: les lois d'exception et la guillotine n'existent plus. Sinon, certains se feraient un malin plaisir de me mettre sur l'échafaud. Je n'ai tué personne. Si j'avais tué quelqu'un, je serais peut-être mieux servi. J'aurais eu des circonstances atténuantes.
Il avait promis qu'il avait retenu les erreurs des couacs précédents, qu'il allait faire des efforts pour être mieux compris du public. Le président de la FFF, Jean-Pierre Escalettes, lui avait même remonté les bretelles en septembre dernier, au moment de sa confirmation à son poste, en lui demandant de mieux communiquer: «Il faut aller plus loin dans la communication, que je veux factuelle et centrée sur le terrain.» Mais Raymond est retombé dans ses travers.
Il ne s'agit pas de s'acharner sur le sélectionneur, dont le bilan purement sportif, «sur le terrain», est certes mitigé, mais pas exécrable: une Coupe du monde réussie en 2006, un Euro raté en 2008. Il y a pire. Sa sélection de joueurs pour l'Afrique du Sud est tout sauf illogique et, mis à part quelques petites surprises qui risquent de ne pas résister à la deuxième phase d'écrémage, il a pris les meilleurs.
Mais c'est à nouveau la manière qui pose problème, ce revirement intempestif que rien ne justifiait. Cette manière d'avoir l'air de prendre son travail à la légère qui frise le manque de professionnalisme. Le foot est un jeu, certes, mais sélectionneur est un métier. Interrogé sur la grande surprise du jour, Domenech a répondu:
On est obligé par la Fifa de donner une liste de 30 noms. Il y avait une possibilité d'avoir une liste d'au moins 23 noms, mais selon les dernières informations de la Fifa que nous avons eues, il fallait donner les 30. J'ai jusqu'au 1er juin pour choisir parmi ces 30 noms la liste définitive. Mais c'était devenu une forme d'obligation qui avait des avantages et que j'ai utilisée. Il y a un mois d'ici au premier match, et on ne sait jamais ce qui peut arriver.
Que celui qui a compris quelque chose lève la main. Ce qui est sûr, c'est que rien n'obligeait Domenech à donner trente noms: le sélectionneur du Portugal en a donné 24 le même jour, celui du Brésil 23. Alors certes, tout le monde a le droit de changer d'avis, et il y a aussi une logique à prendre une liste élargie. Mais pourquoi ne pas avoir annoncé plus tôt ce changement de stratégie? On imagine mal Fabio Capello faire une telle blague au peuple anglais, ou encore Marcello Lippi faire une petite surprise de dernière minute aux Italiens. De là à dire que les grands entraîneurs n'ont pas besoin de jouer des tours pour être écoutés, il n'y a qu'un pas.
Il y a bien José Mourinho et sa grande gueule légendaire. Le Portugais est actuellement en conflit ouvert avec la presse transalpine, déclarant récemment:
Je suis très heureux à l'Inter, mais pas dans le football italien. Je ne l'aime pas, et il ne m'aime pas non plus.
Mais il a laissé un très bon souvenir chez les journalistes et même chez beaucoup de fans de football en Angleterre, déclenchant régulièrement l'hilarité générale en conférence de presse. Arrogant, il aime prendre à contre-pied, mais sans manquer de respect à ses interlocuteurs ou sans jamais prendre son travail à la légère. Son but est clair, attirer toute la pression sur lui pour l'enlever de ses joueurs. Encore faut-il être capable de la supporter, chose plus facile quand on trimballe un palmarès prestigieux.
Le problème de Domenech vient-il de son côté «sensible»? Pas sûr que Patrick Vieira témoigne en sa faveur... Pourtant, le sélectionneur évoque sans cesse cette dimension «affective» du boulot de sélectionneur. Mardi soir encore, il disait vouloir éviter d'avoir à revivre la déchirure de Tignes 2008 quand il a dû se séparer de sept joueurs au dernier moment. Mickael Landreau, un des malchanceux de l'époque qui se retrouve à nouveau en ballotage dans la liste des 30, se souvient d'«un moment franchement très difficile à vivre humainement, ce n'est pas quelque chose qu'on souhaite à qui que ce soit. Ce serait terrible de revivre ça, c'est des moments qu'on n'oublie pas.» Cette fois c'est sûr, avec ses talents de communicant et sa grande sensibilité, le sélectionneur ne fera pas revivre le même calvaire au gardien de Lille. Une première réponse devrait arriver dimanche soir, donc avant Tignes 2010, et la liste définitive le 1er juin. On devrait ainsi échapper à la scène surréaliste de l'hélicoptère.
Il faut peut-être se rendre à l'évidence: la France n'a pas un grand sélectionneur. En supposant que le salaire des entraîneurs soit le reflet de leur valeur, nous avons même «seulement» le 18e meilleur entraîneur de la Coupe du monde avec ses 560.000 euros annuels. Ce qui le place derrière Paul Le Guen du Cameroun (650.000) ou encore Ricki Herbert de la Nouvelle-Zélande (800.000 euros).
Grégoire Fleurot
Photo: Durant la conférence de presse, le 11 mai 2010.
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