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La France manque d'humour

Temps de lecture : 5 min

Cartons d'audience aux Etats-Unis, les séries comiques américaines sont maltraitées chez nous, ignorées ou diffusées à des heures où personne ne les regarde. Différence culturelle ou manque d'humour flagrant?

Outre-Atlantique, elles font de la concurrence à NCIS, House ou Les Experts, dépassant régulièrement la barre des 15 millions de téléspectateurs. Plus régulières dans leurs performances, plus rentables économiquement -elles attirent énormément de pubs mais sont tournées avec des budgets largement inférieurs à ceux des séries dramatiques- et de plus en plus demandées en ces périodes de morosité généralisée, les comédies font un carton. Les «sitcoms» (situation comedies) de CBS Mon Oncle Charlie, How I Met Your Mother ou The Big Bang Theory dominent les audiences, 30 Rock, sur NBC, collectionne les Emmys et Modern Family, sur ABC, est tout simplement considérée par la critique américaine comme la meilleure série de l'année.

Au-delà des considérations techniques qui séparent la sitcom pure et dure, tournée en décor artificiel avec plusieurs caméras, de leurs cousines en décor naturel filmée avec une seule caméra, les comédies, d'une durée de 26 minutes (sans compter les pubs), sont en pleine forme -y compris sur les chaînes du câble, HBO ou Showtime. Pourtant, chez nous, ces séries n'ont pas droit aux honneurs du prime time, et finissent en pleine journée, tard le soir ou au fin fond du câble et de la TNT. Comment expliquer ce mauvais traitement des séries comiques américaines -et l'absence même de formats équivalents dans la production hexagonale- au moment où les comédies font salles combles sur grand écran?

Un problème de format

C'est bête à mourir, mais c'est ainsi: en France, les sitcoms et les comédies en tous genres de 26 minutes ne rentrent pas dans les cases de prime time. Après les infos, on met du drame, du 42 minutes, au pire du 60 minutes sur Canal+ ou Arte, mais certainement pas du 26 minutes. A priori, ça ne poserait pas de problèmes majeurs côté pub, puisque que TF1 et M6 coupent leurs drames en deux, ce qui revient, en gros, à en faire deux formats comédies. Une page de pub entre chaque épisode suffirait -ou, à la manière de Friends sur NRJ12, une page de pub au milieu de chaque épisode.

Là où les choses se compliquent, c'est qu'on préfère chez nous enchaîner les blocs d'une même série. Exemple: trois épisodes d'Esprits Criminels sur TF1, trois d'NCIS sur M6, etc. En fonction des pubs et des autopromos, on peut couvrir un prime de 20h40 à 23h avec ça. Pour avoir l'équivalent en sitcoms, il faudrait quatre ou cinq épisodes! Autant dire qu'une saison entière s'envolerait en l'espace d'un mois. Il faudrait, pour tenir la distance, faire comme aux Etats-Unis: des soirées de sitcoms, avec quatre œuvres différentes -un peu à la manière de feu la Trilogie du Samedi d'M6.

Faute d'une solution, les séries comiques américaines squattent pour l'instant des cases mal définies. Au mieux, elles atterrissent en «access», vers 20h, mais plus généralement en fin d'après-midi ou le soir (Scrubs est la championne des insomniaques, diffusée le samedi à minuit passée sur M6, et par paquets de plusieurs épisodes). A moins d'inventer une nouvelle case -France 2 a un temps réfléchi à diffuser des 26 minutes entre la fin du JT et le début du prime time, avant de préférer avancer l'heure de ses soirées- les comédies devront ronger leur frein.

Un problème d'humour

Le genre comique est le plus compliqué à faire voyager. D'abord parce qu'il repose sur un sens de l'humour généralement propre au pays de production. Si le grand public a pu rire avec Friends ou Les Simpson (les deux meilleurs exemples de comédies internationalement acclamées), il peine en revanche à suivre Curb your enthusiasm ou Arrested Development. Pire, l'humour britannique, sans doute le plus incisif au monde, est totalement ignoré chez nous, où seuls Benny Hill et Mr Bean ont eu leur heure de gloire -deux séries muettes, ce qui n'est pas du tout un hasard, on en reparlera plus bas.

Pour rire avec les héros du Big Bang Theory ou ceux d'How I Met Your Mother (plus encore avec ceux du câble, plus pointus), il faut partager leurs valeurs et leur culture, leurs références. Ainsi, le téléspectateur non éduqué aux finesses de Star Wars et autres merveilles du monde geek ne comprendra pas une blague sur deux du Big Bang Theory -même si ses auteurs se défendent d'une telle ségrégation. Plus généralement, il faut au moins avoir une notion des codes de la société américaine pour saisir leur détournement et leur critique dans ces séries. D'où un paradoxe fatal: la comédie, genre par essence accessible et léger, finit par s'adresser en priorité aux téléspectateurs armés d'un solide bagage culturel -en civilisation américaine tout du moins.

Dernier détail, et pas des moindres, la langue. Si défendre une VO systématique pour les séries peut entraîner la colère des démocrates cathodiques, dire qu'une comédie perd une moitié de son charme dans le processus de doublage tient presque de l'évidence. En passant à la VF, les comédies abandonnent non seulement la voix de leurs acteurs d'origine, souvent très travaillée dans la VO, modulée au maximum quand il s'agit de sitcoms, souvent plus ou moins surjouées, mais elles abandonnent aussi jeux de mots, rythme, références culturelles complexes, interjections, exclamations et un paquet d'autres finesses du genre. En gros, elles perdent leur âme -quand elles ne sont pas, au passage, lissées, comme Friends, bien plus osée dans sa VO.

Un problème aussi dans la production maison

Au-delà de ce mauvais traitement des séries comiques américaines, les sitcoms ont la vie dure chez nous. La comédie semble se limiter à la grande fierté nationale, les shortcoms, autrement dit Un gars, une fille, Caméra Café, Kaamelott et leurs descendants. Même par paquets de 30 minutes, ça ne fait pas une sitcom. Et on a beau se plier de rire devant certaines intrigues incroyables de Plus belle la vie, ça n'en fait pas une comédie. Là encore, les raisons du fiasco tiennent pour beaucoup à des histoires de cases. S'il n'y a pas de place pour les cousines américaines, il n'y en a pas non plus pour la production hexagonale. Ou alors seulement dans des cases mal adaptées.

Excellent exemple de ce refus de mettre des séries comiques de 30 minutes en prime time, Fais pas ci, fais pas ça. A son lancement, la série de France 2 était diffusée le samedi après-midi, en épisode d'une quarantaine de minutes (déjà, plus long que le format sitcom classique). Ça n'a pas pris. Reformaté en 52 minutes de soirée, la série a décollée. Elle reste d'ailleurs une des rares comédies françaises à fonctionner en prime time, les autres se partageant les deuxièmes parties de soirées (Les Invincibles sur Arte notamment) et les «access prime time».

Reste un espoir, qui viendrait, une fois encore, de Canal+. Sans doute inspirée par les succès phénoménaux des comédies hexagonales au cinéma, la chaîne cryptée travaille sur des projets de séries humoristiques, qui pourraient bien occuper un prime. Platane, concoctée par Eric Judor, du duo Eric et Ramzi (déjà à l'origine de H, une des rares vraies sitcoms à succès de l'histoire du paf), est déjà dans les tuyaux. Eric y incarnera un acteur (lui-même) qui, après avoir survécu à un grave accident de la route, décide d'arrêter la comédie. Autre projet en discussion, Kaboul Kitchen, sur un restaurant d'expatriés en Afghanistan. Un bémol tout de même: si Platane devrait être du 26 minutes, Kaboul Kitchen serait calibré en 52 minutes. [MISE À JOUR 28 MAI] Les séries devraient toutes deux adopter le fameux format de 26 minutes. Un mieux, donc, mais on est encore loin de voir des soirées de comédies (américaines, anglaises ou françaises) sur nos grandes chaînes nationales...

Pierre Langlais

Photo: Tina Frey et Alec Baldwin (Liz Lemon et Jack) dans 30 Rock. ©NBC Universal

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