Culture

Lena Horne, trop noire, trop blanche, trop rouge

Temps de lecture : 2 min

L'actrice et chanteuse afro-américaine est décédée le 9 mai.

La chanteuse et comédienne Lena Horne est décédée à New York le 9 mai, à l’âge de 92 ans. Elle restera pour toujours l’interprète de «Stormy Weather», dans le film du même nom d’Andrew L. Stone réalisé en 1943, où figurait également Cab Calloway et, pour sa dernière apparition publique, Fats Waller.

Lena était issue d’une famille de la upper-middle class de Pittsburgh, dont l’origine constituait un mélange africain, européen et «Native American». Ses grands-parents jouèrent un rôle important dans son éducation, qu’elle reçut en partie dans un lycée d’Atlanta, et sa grand-mère l’encouragera à rejoindre le mouvement de lutte pour l’émancipation des Africains-Américains, la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP).

Après des débuts de chanteuse à Harlem, dans l’équipe du Cotton Club, elle descendit sur Broadway puis partit pour Hollywood, où elle commença une carrière cinématographique en étant sous contrat avec la Metro-Goldwyn-Mayer. Ce qui était exceptionnel.

A l’époque, la MGM était réputée pour ses comédies musicales et avait fait venir dès 1939 le jeune directeur artistique du Radio City Music Hall de New York, Vincente Minnelli. La même année, Lena fut à l’affiche de Cabin in the Sky, le premier film de Minnelli, célèbre aujourd’hui pour la Moonwalk que danse Bill Bailey et dont allait s’inspirer plus tard Michel Jackson, et de Stormy Weather. Dans ces deux productions, le casting était africain-américain, ce qui était à la fois courageux de la part de la MGM et allait rapidement s’avérer une impasse pour Lena. Si l’on regarde la bande-annonce de Cabin in the Sky , ce sont surtout ses qualités d’interprète qui sont mises en évidence. Il ne fallait pas choquer les Etats racistes du sud, ni heurter le code Hays qu’Hollywood s’était imposée. Quand Lena jouera de son charme, la censure coupera certains plans trop suggestifs de sa beauté.

Le fait d’avoir été si rapidement hissée en haut de l’affiche agaça les autres comédiens noirs qui devaient souvent se contenter de jouer des rôles stéréotypés. Malgré tout, Lena fut adoubée par la grande Hattie McDaniel, qui avait reçu l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour Autant en emporte le vent, après s’être vu refuser l’entrée dans le ségrégationniste Fox Theater d’Atlanta pour la première mondiale du film. Pour ne pas perdre le public du sud, la MGM ne proposa plus que des rôles mineurs à Lena.

En 1947, pour échapper aux lois californiennes interdisant les mariages interraciaux, elle épousa secrètement à Paris le compositeur de musique Lennie Hayton, un juif américain. En raison de leurs engagements politiques progressistes, tous deux furent pourchassés et blacklistés dans les années 1950. Le 28 août 1963, Lena participe à la Marche sur Washington et assiste au fameux discours délivré par Martin Luther King, Jr., «I Have A Dream».

Dans les années 1990, elle consacrera en partie un album au compositeur et collaborateur de Duke Ellington, Billy Straihorn, à qui elle rendra hommage à Carnegie Hall.

Trop «noire» pour asseoir sur la durée une carrière d’actrice (elle revient très vite au chant et aux clubs de jazz), trop «blanche» aux yeux des amateurs de Billy Holliday qui la trouvaient plus proche de Judy Garland, trop «rouge» pour l’Amérique des années noires du McCarthysme, Lena Horne s’est elle-même décrite comme quelqu’un qui «ne peut jamais oublier qu’elle est une Noire. On vous le rappelle tout le temps.».

Christian Delage

Photo: Lena Horne dans «Till The Cloud Roll by». CC by Wikimedia

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