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Pour le moment, les marchés ont été apaisés. Les émeutes à Athènes ont faibli. Ce week-end, seules «quelques centaines» de manifestants sont descendus dans les rues. Quand le violent incendie d'une banque, la semaine dernière, a fait trois morts, ils étaient au nombre de 50.000. Mais cette trêve temporaire se paye au prix fort. Et pas seulement d'un point de vue financier.
J'ai, posée devant moi, une version préliminaire de la dernière «décision» en date du Conseil de l'Union européenne au sujet de la Grèce. Il ne s'agit pas d'un document secret. Les journaux en ont publié des extraits; le Parlement grec a déjà décidé d'adopter certaines de ses dispositions. Par ailleurs, une décision similaire — quoique moins complète — avait été publiée en février. Mais bien que ces décisions soient publiques, personne n'évoque encore vraiment leurs implications politiques.
En effet, nous n'avons pas affaire à un document ordinaire émanant de la bureaucratie de l'UE: il s'apparente plutôt au genre de papiers qu'un maréchal qui se rend signe dans un wagon en pleine forêt au terme d'une guerre sanglante.
Les sacrifices grecs
L'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI) vont débloquer plus de cent milliards d'euros pour sauver la Grèce. En échange, ce pays acceptera de non seulement réduire son énorme déficit public, mais d'adopter, d'ici juin 2010, pas moins de 17 mesures juridiques et budgétaires! Entre autres choses, le Conseil de l'UE déclare que la Grèce devra réduire les «bonus de Pâques et des vacances d'été et de Noël» des fonctionnaires et retraités; augmenter les taxes sur l'essence, le tabac et l'alcool; réduire les frais de fonctionnement des administrations locales et adopter une loi pour simplifier la création d'entreprises.
Une fois que tout ça sera fait, la Grèce «devra», d'ici septembre 2010, satisfaire neuf exigences supplémentaires, parmi lesquelles une réforme des retraites qui élève l'âge de la retraite à 65 ans (contre en moyenne 61 ans actuellement). D'ici décembre 2010, la Grèce «devra» prendre encore 12 mesures, dont l'une implique l'utilisation des médicaments génériques dans le système de santé national. D'autres délais sont fixés à mars 2011, juin 2011 et septembre 2011. Si le gouvernement grec veut continuer de recevoir les liquidités qui lui sont indispensables pour fonctionner, il va devoir faire passer toutes ces lois. Une à une.
Il est évident que ces mesures sont nécessaires. Je dirais même plus, elles auraient dû être appliquées depuis longtemps déjà. Mais peut-être fallait-il en arriver là pour convaincre le Parlement grec de les adopter.
Hélas, en Grèce, les émeutes violentes sont devenues un moyen acceptable d'exprimer son opinion politique. Par ailleurs, le cruel esprit partisan qui caractérise la politique nationale pousse chaque gouvernement à défaire l'œuvre de son prédécesseur. Dans ce contexte politique, comment un gouvernement peut-il aisément repousser l'âge de la retraite de quatre ans ou éliminer les bonus de Noël des fonctionnaires?
364 ou 16.974 piscines à Athènes?
Dans cette décision, il y a pourtant quelque chose de nouveau. L'Union européenne a toujours exigé de ses Etats membres qu'ils lui cèdent une part de leur souveraineté. Aujourd'hui, la Grèce n'en a plus beaucoup. Il est vrai que les accords du FMI imposent également certaines conditions, mais le langage utilisé n'est pas tout à fait le même: le pays endetté sollicite de l'aide, le FMI répond à cet appel. Tandis que l'UE, elle, décide de ce que «devra» faire la Grèce. Qui eût cru que l'UE avait tant de pouvoir sur ses Etats membres? Certainement pas les Grecs.
Quelles que soient les promesses faites par Athènes, le respect de ce calendrier juridique plus que chargé ne sera guère chose aisée. Dans l'histoire moderne, la Grèce a été occupée par des forces étrangères : l'Empire ottoman, l'Allemagne nazie. Certains Grecs appellent déjà leurs compatriotes à résister aux nouvelles forces d'occupation de l'UE et du FMI. Il se peut que cette résistance prenne des formes plus subtiles que les émeutes qu'a connu le pays. Après tout, à Athènes, 364 personnes ont déclaré au fisc la possession d'une piscine (les photos satellite indiquent pourtant qu'il en existe 16.974). Si une taxe ou une réforme juridique est perçue comme étant imposée par une autorité étrangère, il se peut que les Grecs ne la respectent pas.
Enfin, bien que personne ne le dise en ces termes, l'exercice visible du pouvoir de l'Union sur la Grèce servira aussi de mise en garde pour les Etats qui voudront à l'avenir entrer dans la zone Euro.
Si vous respectez les règles, être membre de l'Union européenne reviendra à faire partie de la plus grande et la plus prospère des économies du monde. Mais si vous ne les respectez pas, vous risquez de tomber sous une occupation financière étrangère.
Nous n'avons pas encore nommé ce phénomène presque passé inaperçu (pourquoi pas le néo-euro-colonialisme?). Mais il est bien réel.
Anne Applebaum
A lire sur la crise grecque et le plan de sauvetage:
L'Europe rase gratis, par Jacques Attali
Il faut renforcer l'intégration européenne, par Jean-Marie Colombani
Aide et austérité ne sont pas suffisants, par Eric Le Boucher
Photo: Manifestation contre les mesures d'austérité, à Athènes, le 5 mai 2010. Pascal Rossignol/REUTERS