Il est enfin chez vous, après un premier contact sur un site ou chez une connaissance, puis des semaines voire des mois d'attente avant de l'accueillir. Vous avez beaucoup réfléchi avant de prendre cette décision, parfois épaulé par votre entourage, souvent après des heures de lectures et de visionnage de vidéos sur YouTube, des achats et un réaménagement de votre intérieur pour installer ses affaires. Tout devait être parfait une fois que vous seriez réunis, mais pourtant c'est la frustration, la déception, le stress et la déprime. Vous regrettez même votre choix d'avoir adopté cet animal.
Ce parcours compliqué est celui de personnes confrontées au «puppy blues». Ce terme, qui n'a pas d'équivalent en français, désigne la tristesse ou l'anxiété déclenchée par l'adoption d'un chiot, d'un chat ou d'un autre animal de compagnie. Pourquoi ressent-on ce coup de blues et comment gérer cette situation au mieux?
Sous pression
«Le premier jour avec un chaton, c'est l'émerveillement. Mais c'est aussi entendre les premiers pleurs de ce bébé déraciné de sa famille et ressentir les premières frayeurs en imaginant qu'il s'est coincé quelque part. Le premier soir, on s'est couché en laissant les miaulements aigus se poursuivre, et j'ai craqué.» Claire et son conjoint ont récemment adopté la petite Simone. Une arrivée soigneusement préparée, le temps d'avoir un appartement suffisamment spacieux, du temps disponible et un budget pour une alimentation de qualité supérieure. Mais Claire avait peur de ne pas se montrer à la hauteur face à sa petite compagne, qu'elle aimait déjà énormément. Elle en a même perdu l'appétit, trop accaparée par ses doutes.
Il a fallu à Claire plusieurs jours pour laisser derrière elle ces puissants coups de déprime, aidée par son compagnon, tout aussi impliqué qu'elle dans l'adoption de Simone. Ce n'était pourtant pas le premier chat de sa vie, mais auparavant elle n'avait «absolument pas les mêmes peurs». «Mon père laissait l'animal aller sur le balcon sans s'en inquiéter. Là, on a tout sécurisé et Simone n'y va pas pour le moment. Le précédent avait de la nourriture de supermarché et on ne s’inquiétait pas de la composition du tout, alors que pour elle on fait très attention.»
Toutes ces dispositions, aussi judicieuses soient-elles, sont susceptibles de générer une pression pouvant mener à un coup de blues. «Paradoxalement, mon “puppy blues” a sûrement été dû à une préparation trop minutieuse et à un processus d'idéalisation. C'est peu connu, ou peut-être tabou. Je n'ai trouvé que peu de documentation sur le sujet quand j'avais besoin de réponses», témoigne Claire.
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Remise en question
Laura a fait la liste des nombreuses étapes franchies avant d'accueillir Mayko, un petit chien border collie, et de tous les sentiments qu'elle a éprouvés autour de cet événement. Est-ce le bon moment en matière d'emploi du temps, de logement, d'espace de sortie pour le chien? Quelle race et quel tempérament choisir parmi la portée de chiots? Quelle méthode éducative suivre? Elle a anticipé la relation qu'elle nouerait avec l'animal avant qu'elle ne se crée. Laura parle d'un gouffre immense entre la théorie et la pratique de l'adoption d'un chiot, des réveils usants toutes les trois heures pour le sortir faire ses besoins, la peur de rater la construction de sa personnalité, la difficulté d'habituer les deux chats au nouveau membre du foyer.
«Je remets tout en cause et en viens à me demander si on ne devrait pas le rendre.»
Laura est vite épuisée et n'arrive plus à manger à cause de nausées et du stress. «Je culpabilise et j'ai honte. Je laisse mon conjoint gérer le chien sans rien oser lui dire, clouée sur le canapé. Mes pensées s'assombrissent. Je comprends ce qu'implique le fait de s'occuper d'un petit être totalement dépendant qui ne parle pas notre langue. Je remets tout en cause et en viens à me demander si on ne devrait pas le rendre.» Elle s'appuie sur son conjoint, «aussi fatigué mais plus optimiste», qui la rassure quand elle ose lui parler de son état après une semaine épouvantable.
Laura a repris confiance en elle et a décidé de gérer les choses jour après jour, sans chercher à tout prévoir. «Récemment, je suis partie en vacances avec mon conjoint et Mayko. Nous avons randonné ensemble et cette sensation a été l'une des meilleures que j'ai pu connaitre. C'était comme l'accomplissement d'un rêve. J'ai toujours des phases de doute quand le chien fait ses crises d'adolescent ou que je suis trop fatiguée après une journée de travail, mais je sais dorénavant comment m'y prendre dans ces cas-là.»
La règle de trois
Des solutions existent pour faire face au «puppy blues». Dans un article du National Geographic, la journaliste Liz Krieger expose la règle de trois sur laquelle certains comportementalistes animaliers s'accordent: trois jours, trois semaines, trois mois. Trois jours pour stabiliser le stress de l'animal, particulièrement présent chez les chats et chiens adoptés en refuge (syndrome du chenil); trois semaines pour qu'il s'habitue à son nouveau lieu de vie –et qu'il intègre les limites qu'on lui fixe; trois mois pour qu'il se sente bien chez lui et continue d'évoluer quand il s'agit d'un animal adopté jeune. La santé mentale des animaux de compagnie est de plus en plus prise en considération, comme l'explique le psychiatre pour chiens Claude Béata dans un article de L'Obs.
La santé mentale des êtres humains est tout aussi importante. «On oublie parfois l'humain dans l'adoption», constate Marie Thiry, éducatrice canin à Rennes. Régulièrement, elle se forme pour améliorer ses prestations et inclure la psychologie humaine dans son cursus afin de mieux prendre en charge les personnes anxieuses ou désemparées face à une nouvelle adoption. Elle souligne la pression imposée par l'entourage. Celle, aussi, qui émane des réseaux sociaux comme YouTube ou TikTok, où des contenus abordent l'éducation canine, la relation avec son animal, ou encore le choix de la race selon l'effet de mode du moment (voilà pourquoi vous croisez beaucoup de shiba inu et de berger australien ces dernières années).
Le «puppy blues» est le résultat d'une somme d'injonctions intenables faites aux humains et aux animaux.
«Je conseille aux gens d'arrêter les réseaux sociaux et de se tourner vers les conseils personnalisés. Il faut qu'ils déculpabilisent si, par exemple, leur chiot ne répond pas assez vite aux normes de propreté.» Même constat auprès de Clara Varin-Tual, éducatrice canin à Cintré: «J'aide les gens à avoir confiance en eux pour établir une bonne relation avec leur chien. Je leur apprends aussi à comprendre ce qu'exprime l'animal, s'il veut jouer ou si, au contraire, il est fatigué. Je les accompagne dans la détection des besoins de base de leur animal.» Clara Varin-Tual organise aussi des promenades en groupe pour que les personnes qui adoptent se rencontrent, afin de constater qu'elles ne sont pas les seules à éprouver des difficultés. Les adoptants de chat en manque d'information peuvent également bénéficier de conseils professionnels.
Le «puppy blues» est le résultat d'une somme d'injonctions intenables reposant sur les êtres humains et les animaux. Une pression assez semblable à celle qu'exerce l'éducation dite «positive» sur les enfants et qu'a étudiée la journaliste et autrice Béatrice Kammerer. «Rares sont ceux qui osent dépasser cette vision manichéenne selon laquelle on éduque son enfant comme on débouche un évier: grâce à un tutoriel!» Pour une relation épanouie avec le chien ou le chat qui rejoint un foyer, il faut accepter de ne pas tout savoir à l'avance, que chaque animal est unique et qu'il n'est pas nécessaire d'atteindre une absolue perfection instagrammable pour mener à bien son éducation.