Médias / Culture

Pourquoi la presse a été tenue à l'écart des 60 ans de Diana

Temps de lecture : 6 min

Aucune image en direct, pas d'interview de ses fils: pour l'anniversaire de Lady Di, la «Royal Rota» s'est pris une douche froide.

La statue de la princesse Diana au Sunken Garden de Kensington Palace (Londres), le 2 juillet 2021 après son inauguration par ses fils William et Harry. | Jonathan Brady / POOL / AFP
La statue de la princesse Diana au Sunken Garden de Kensington Palace (Londres), le 2 juillet 2021 après son inauguration par ses fils William et Harry. | Jonathan Brady / POOL / AFP

Les 60 ans de Diana, ça fait des mois qu'on en entend parler. D'abord, il y a eu la saison 4 de The Crown, qui fin 2020 déjà avait ravivé dans l'inconscient collectif le souvenir de la princesse. Puis au fil des semaines se sont multipliés les hors-séries, documentaires et autres cahiers spéciaux consacrés à ce milestone, cet anniversaire marquant qu'elle ne connaîtrait jamais. Enfin, les récentes tensions entre ses fils Harry et William ont fait couler beaucoup d'encre, et participé à réactiver sa mémoire: «Que penserait Lady Di de la situation si elle était encore là?» «Qu'aurait-elle fait pour les réconcilier?» Bref, la princesse de Galles a connu cette année un extraordinaire retour de hype.

Alors forcément, ce 1er juillet 2021, jour de son soixantième anniversaire, était très attendu. Quand les équipes de communication du palais ont confirmé la semaine précédente que pour marquer l'événement, les princes William et Harry allaient se retrouver dans le Sunken Garden de Kensington Palace, où ils ont grandi, pour inaugurer une statue en sa mémoire, aussitôt médias, fans et curieux ont pris leurs dispositions. Ils voulaient être là, présents, témoins de ce moment historique. Pour honorer la mémoire de Diana, certes, mais aussi et surtout pour voir comment allaient se dérouler les retrouvailles des frangins, en froid depuis le départ de Harry en Californie.

Mais ça, c'était sans compter la volonté des ducs de Cambridge et Sussex de laisser la presse relativement sur le carreau. Ainsi, à l'heure dite le jour de la cérémonie, il n'y avait rien à voir. Aucune image à se mettre sous la dent en direct. Pas d'interview possible. Les fans ont eu beau tendre le cou depuis les jardins du palais pour tenter d'apercevoir un (rare) cheveu des princes, ils sont restés sur leur faim. Les chaînes d'info SkyNews, CNN et ITV avaient bien sûr dépêché sur place leurs royal correspondents, mais au moment précis où William et Harry tiraient sur la ficelle pour dévoiler la statue de bronze représentant leur mère accompagnée de deux enfants (des enfants imaginaires, censés représenter «l'universalité et l'impact générationnel du travail de la princesse»), les reporters eux non plus ne voyaient strictement rien de ce qui se passait.

Et pour cause: ils avaient été méticuleusement parqués par les services du palais en contrebas du jardin où se déroulait la cérémonie, derrière des barrières de sécurité. Depuis ce poste, la seule statue qu'ils pouvaient alors cadrer dans le champ de leurs caméras était celle de cette bonne vieille reine Victoria.

La cérémonie ayant lieu à 14h, en France, LCI avait concocté une émission spéciale de 15 à 16h (décalage horaire avec Londres oblige), et fait venir des spécialistes du sujet en plateau pour commenter l'événement. Mais pendant de longues minutes, eux non plus n'ont rien eu à donner à voir, si ce n'est un attroupement de fans et de curieux qui erraient dans les jardins du palais, smartphone à la main. En réalité, il aura fallu attendre presque une heure, que la cérémonie soit achevée et que William et Harry aient quitté les lieux, avant de pouvoir en découvrir les premières images. Cela s'explique par le choix des princes d'avoir recours à un dispositif médiatique particulièrement restreint, dans l'espoir de le contrôler au mieux.

Un événement davantage familial que royal

Traditionnellement au Royaume-Uni, les événements concernant la famille royale sont suivis par un aréopage de journalistes accrédités, appelé la Royal Rota. Chaque grand média anglais a son correspondant préposé à toute chose royale, et ce petit groupe de spécialistes suit religieusement le calendrier des déplacements pour couvrir ensemble inaugurations, cérémonies et voyages officiels des membres actifs de la Couronne.

Mais hier, c'était différent. Pour limiter la présence de journalistes (le Covid servant encore d'excuse recevable), William et Harry avaient décidé de n'accréditer qu'un seul photographe, un seul reporter et une seule caméra de l'agence AP pour capter l'inauguration de la statue de leur mère. C'est ce qu'on appelle dans le jargon un pool: AP serait ensuite chargée, avec un embargo d'une heure, de redistribuer les images et informations aux différents médias, au Royaume-Uni et à l'international. Il s'agit d'un dispositif semblable à celui qui avait été mis en place au château de Windsor pour la présentation d'Archie, le fils de Harry et Meghan, après sa naissance.

Ce choix d'évincer la Royal Rota de l'événement en direct marque d'abord une volonté de ne pas présenter cette inauguration comme un événement royal, mais plutôt familial –et donc légitimement plus intime. Rappelons qu'au moment de sa mort, Lady Di était divorcée, et non plus un membre actif de l'institution. Ainsi le communiqué officiel du 25 juin annonçait une «petite cérémonie» en présence de quelques membres de la famille de Diana, de l'artiste créateur de la statue, et du paysagiste en charge du jardin qui l'accueille. Pas de présence de son ex-époux le prince Charles, alors en Écosse, ni de la reine Elizabeth, qui a préféré cet après-midi-là se rendre à une compétition équestre à Windsor.

Le choix de limiter l'accès des médias à l'événement reflète aussi sûrement une concession faite par William à son frère Harry. Ce dernier a en effet largement critiqué la presse britannique ces derniers mois, l'accusant de harcèlement et la tenant en partie pour responsable de son exil en Californie avec sa femme Meghan Markle. En quittant le Royaume-Uni, Harry s'est juré de ne plus jamais se confronter à cette Royal Rota qu'il exècre. Et au fond, l'une des rares choses que partagent encore Harry et son frère, c'est leur méfiance vis-à-vis de la presse. Presque vingt-quatre ans après la mort de leur mère sous le pont de l'Alma à Paris, ses fils considèrent encore les photographes et la pression médiatique comme responsables de ce tragique accident.

Il est temps de régler les choses en privé

En tant que roi en puissance, William sait qu'il n'a pas le choix: il devra composer toute sa vie avec la presse, et même en faire une alliée s'il souhaite maintenir sa popularité auprès de ses futurs sujets. Mais Harry, lui, estime désormais qu'il ne lui doit plus rien. En renonçant à son statut de membre actif de la couronne en 2020, il a aussi envoyé valser toute obligation envers les médias.

Ce schisme au sein de la fratrie a déjà beaucoup fait parler et terni l'image de l'institution royale. Aujourd'hui, Harry et William ont bien compris qu'ils n'ont aucun intérêt à exposer encore davantage leurs divergences; alors après une période de grand déballage (à la suite de l'interview confession du couple Sussex à Oprah Winfrey, dans laquelle ils accusaient la famille royale de racisme et de ne pas avoir su épauler Meghan lorsqu'elle était en proie à des troubles psychologiques), les frangins semblent s'accorder sur le fait qu'il est temps de régler certaines choses en privé.

Pour apaiser les tensions et afficher l'unité tant espérée par le public, après la cérémonie, les deux frères ont cosigné un communiqué commun dans lequel ils louent la mémoire de leur mère. Pas de discours séparés à comparer, pas de guerre de communication à alimenter. La photo relayée par le compte officiel de Kensington Palace sur Twitter montre d'ailleurs William et Harry de dos, regardant ensemble dans la même direction, vers la statue de leur mère.

En tenant la Royal Rota à distance et en choisissant de limiter les images diffusées à la presse, William et Harry ont donc tenté d'apaiser leur communication. Ils espéraient aussi échapper aux hordes d'experts habituellement convoqués pour lire sur leurs lèvres ou décrypter en direct leur langage corporel, scrutant le moindre signe de tension. Évidemment, ce genre d'articles a quand même fleuri quelques heures plus tard sur la toile, mais les frères avaient eu le temps de contrôler (et valider?) les images de leurs retrouvailles.

Ces images, même réduites au strict minimum, se devaient d'exister. Les princes sont parfaitement conscients qu'il est important pour eux de continuer à être associés à l'image de leur mère et à l'extraordinaire popularité dont elle bénéficie. Au lendemain de l'inauguration de cette statue, au matin de l'ouverture du jardin au public, les «superfans», ces ultras de Diana souvent drapés dans leur total look Union Jack, étaient d'ailleurs les premiers à franchir les grilles.

L'amour persistant du public pour la «princesse des cœurs» se doit d'être alimenté avec parcimonie mais efficacité par ses fils. Car ce sont les fans qui garantissent la survie de la monarchie, viennent visiter les palais et dépenser leur argent dans les boutiques souvenirs.

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