Cette semaine, j'ai décidé de vivre une expérience extrême. J'ai décidé de lire les rapports sur le climat.
Je suis désormais en mesure de vous dire que tout va bien aller, ne vous inquiétez pas.
Je plaisante.
C'est la catastrophe.
Le rapport du GIEC n'est pas encore sorti, on a seulement les fuites publiées par l'AFP. Vous en avez peut-être déjà lu les meilleures citations. Perso, j'aime beaucoup celle-ci: «Le pire est à venir, avec des implications sur la vie de nos enfants et nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre.» Mais j'ai également un faible pour celle-là: «Si la vie sur Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes, l'humanité ne le peut pas.»
Et bonnes vacances hein!
Pour vous situer où nous en sommes (concrètement, dans un seau de caca): en 2015, on signe l'accord de Paris pour dire qu'on va faire plein d'efforts pour limiter la hausse du réchauffement à 2 degrés. Le GIEC nous dit qu'avec 1,5 degré de hausse, on aura déjà 350 millions d'habitants supplémentaires exposés aux pénuries d'eau et 420 millions de personnes de plus menacées par des canicules extrêmes. Je vous passe les divers cyclones, sécheresses, incendies, inondations, maladies transportées par les moustiques.
Mais on sent que quelqu'un s'est dit que ça serait bien de mettre une touche d'optimisme, donc on peut aussi lire que «nous avons besoin d'une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux: individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernements» ou que «nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation».
Bons élèves? Non, tricheurs
Sur ma lancée, j'ai donc décidé de me faire également les 184 pages du rapport annuel 2021 du Haut Conseil pour le climat. Au début, il dresse un bilan de la situation de la France. Petit rappel: le changement climatique est déjà là, et d'ailleurs l'hiver 2020 a été le plus doux depuis 1900 selon Météo France. «Les transports restent la première source d'émissions de gaz à effet de serre en France, le seul secteur en hausse entre 1990 et 2019. C'est le cas aussi dans l'ensemble de l'Europe. La croissance de la demande de transport et l'absence de report au bénéfice du rail sont les deux principaux facteurs entravant la réduction des émissions.» Le train donc, mais enfin, on le sait depuis longtemps, il faut privilégier le train.
On a un autre problème de taille. On importe trop. Notre empreinte carbone depuis 1995 a baissé (serions-nous de bons élèves?), mais si on prend en compte nos importations, elle a augmenté (eh bah non, on a juste triché en faisant venir de plus loin): «Les émissions associées aux importations, qui ont fortement augmenté depuis 1995, sont devenues dominantes dans l'empreinte carbone de la France. [...] En 2016, elles représentent un peu plus de la moitié (51%) de l'empreinte carbone de la France. Les émissions associées à la production intérieure (hors exportations) représentent quant à elles 31% de l'empreinte carbone de la France, et les émissions directes des ménages (chauffage et mobilités) en représentent 18%.» On pollue moins sur notre territoire, mais on pollue plus en faisant venir d'ailleurs. Astuce...
«Un climat qui change agira sur les maladies transmises par les vecteurs, les allergies, les maladies infectieuses, la santé mentale.»
Ce que j'aime bien avec le Haut Conseil au climat, c'est quand il tente d'être concret. Il suggère ainsi: «La date d'arrêt de vente des véhicules thermiques pourrait être avancée à 2030 comme au Royaume-Uni. Les malus sur le poids des véhicules devraient s'appliquer plus rapidement à des catégories de véhicules significatives. La sortie des énergies fossiles pour le chauffage des bâtiments devrait être annoncée, ou les exemptions de taxes sur le fioul, notamment à usage agricole, levées.»
Et j'ai découvert l'existence du concept d'«indépendance protéinique» ainsi que d'un «plan protéines végétales»: «Développer un plan protéines végétales ambitieux pour l'alimentation animale et humaine. Cette proposition vise deux objectifs. D'une part, les cultures de légumineuses permettent de diminuer les apports en azote tout en augmentant le stockage du carbone dans les sols. D'autre part, le développement d'une filière française peut substituer par une production nationale les importations de soja et ainsi contribuer à la lutte contre la déforestation importée.»
Des solutions qui aggravent la situation
En le lisant, il est clair que ses rédacteurs et ses rédactrices ne sont pas des alarmistes. Dans le rapport, toutes les précautions possibles sont prises. Par exemple, sur la situation météorologique future de la France (parce que franchement hein, là, on n'y comprend plus rien à la météo): «Sur l'Europe de l'Ouest, les projections montrent bien un contraste entre le Nord où les précipitations augmentent et le Sud qui s'assèche. La localisation de la limite entre ces deux zones varie cependant d'un modèle à l'autre, induisant de larges incertitudes dans la bande de latitudes où se situe la France.» Donc il y aura des conséquences, mais on ne sait pas trop lesquelles.
Malgré toutes leurs précautions, ils écrivent ensuite: «La détérioration de la qualité de l'eau ou de la valeur nutritionnelle d'un certain nombre de productions agricoles auront potentiellement des impacts sur la santé. Plus largement, un climat qui change agira sur les voies de contaminations microbiennes, les maladies transmises par les vecteurs ou les rongeurs, les allergies, les maladies infectieuses, la santé mentale.»
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«Le patrimoine culturel et historique ne sera pas non plus épargné. En plus des chocs brutaux (inondations, cyclones, grêle, canicules, feux de forêt, etc.) à l'origine de nombreux dommages matériels et d'importantes pertes d'exploitation, le stress thermique a des conséquences sur les infrastructures de transports (détérioration du revêtement des routes asphaltées, des caténaires, des pistes aéroportuaires) et les bâtiments. Le phénomène de sécheresse géotechnique –retrait-gonflement des argiles (RGA)– concerne environ 4,3 millions de maisons individuelles, construites dans des zones moyennement ou fortement exposées (soit 23% de l'habitat individuel). Les infrastructures portuaires sont fortement menacées par la hausse du niveau de la mer et des températures, et les inondations.»
Voilà voilà.
Ils mettent également en garde contre des solutions qui, à long terme, aggravent la situation. Exemple concret pour qu'on comprenne mieux: contre les inondations et la montée des eaux, on pourrait imaginer de construire plus de digues. Mauvaise idée. «Construire des digues contribue à l'émission des gaz à effet de serre (via la fabrique très émissive de ciment), tout en créant potentiellement de nouveaux risques relatifs à l'écoulement des eaux fluviales et en retardant d'autres actions d'adaptation plus soutenables: restauration des zones humides et relocalisation d'activités, par exemple.»
C'est pour cela que le rapport insiste sans arrêt sur deux points.
Des questions inexistantes dans les débats politiques
Le premier, c'est l'évaluation permanente des situations, et pour l'instant, visiblement, on est à la traîne: «Les études d'impact restent insuffisantes et ne prennent que marginalement en compte les conséquences environnementales et climatiques des dispositions proposées. Les grandes lois d'orientation du quinquennat n'ont toujours pas bénéficié de l'évaluation prévue un an après leur entrée en vigueur.»
Le deuxième, c'est de choisir des solutions flexibles, adaptables pour ne pas se retrouver prisonniers d'une fausse bonne idée. Le rapport prône l'adaptation et en développe trois types possibles: incrémental qui ne modifie rien en profondeur, systémique qui modifie la forme du système sans en changer la nature profonde, et transformatif. «Ainsi, dans l'agriculture, il est possible de changer les dates de semis (incrémental). On peut aussi modifier les variétés et pratiques, en introduisant par exemple de l'agroécologie et de l'agroforesterie (systémique). Enfin, concevoir de nouveau les systèmes agricoles, en modifiant et relocalisant les productions est une adaptation transformationnelle.»[1]
Et: «Si toute la population sera confrontée aux changements climatiques, certaines catégories (personnes âgées, malades, précaires, habitants du littoral, agriculteurs, etc.) seront particulièrement exposés ou vulnérables. Les politiques publiques doivent prendre en compte ces disparités.»
Le rapport pose également la question qui va devenir incontournable, celle de la responsabilité individuelle et de la solidarité –attention, roulement de tambour, nouveau sujet à polémique. «Quels sont les dommages qui doivent ou non relever de la solidarité nationale dans un contexte de climat qui change? Jusqu'où la connaissance des risques et/ou l'absence de mise en œuvre de mesures de prévention (voire l'exposition volontaire) justifient-elles la non-prise en charge collective, privée ou publique des dommages? Peut-on moduler les primes d'assurance en fonction des efforts d'adaptation consentis par les assurés, dans l'agriculture notamment?» C'est déjà un peu la question qui se pose avec les personnes qui refusent le vaccin contre le Covid.
Le rapport regrette que ces questions ne soient pas posées par les politiques dans les débats locaux et nationaux, et appelle à des prises de décision impliquant toute la communauté.
Je me demande combien de politiques vont lire ce rapport...
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Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.