Célibataire, sans enfant, depuis peu de temps dans la boîte… bingo! Vous remplissez tous les critères ou presque pour ne pas être prioritaire au moment de poser vos vacances. Il existe effectivement un ordre dans les départs, qui ne correspond à aucun cadre légal strictement défini.
Le code du travail stipule simplement que cette question fait l'objet d'accords avec l'employeur. Il incombe aux responsables de services de régler les éventuels différends, si tant est qu'il y en ait. Dans les usages, la rengaine qui revient le plus souvent, c'est «parents et ancienneté, first!».
Pas de bambin, pas de 31
La direction de la communication du groupe La Poste précise: «Lorsque des tours de congés doivent s'organiser pour assurer le bon fonctionnement du service, les familles des enfants scolarisés sont prioritaires à commencer par celles qui ont des enfants handicapés. Une attention particulière est aussi portée sur les familles monoparentales.» Une ligne de conduite qui n'est pas réservée à cette société et qui génère forcément quelques grincements de dents. «Cela fait vingt ans que je travaille et dans tous les postes que j'ai pu occuper, le problème s'est posé», assure Louisa Amara, 41 ans, créatrice du podcast Single Jungle. «Je suis longtemps passée après les autres, particulièrement pour les fêtes de fin d'année et les ponts de mai. Quand j'ai demandé une fois mon 31 décembre, je me suis vue répondre que je n'en avais pas besoin puisque je n'avais pas d'enfant.»
Pas de bambin, pas de 31. Même chose pour Marine*, une Française de 42 ans, installée à Berlin. «Je n'ai pas la possibilité d'avoir des jours pour venir en France à Pâques ou le 14 juillet. C'est inenvisageable. C'est comme ça», regrette-t-elle.
«On part du principe que les gens qui n'ont pas d'enfant sont plus souples sur leurs dates de vacances.»
Elle détaille le fonctionnement de l'entreprise internationale en recherche clinique où elle travaille depuis trois ans: «On a un système de planning partagé. Le nom des personnes prioritaires, c'est-à-dire celles qui ont des enfants ou leur partenaire qui travaille dans l'Éducation nationale, apparaissent en gris.» Ceux dont le nom est en blanc peuvent en devenir verts de rage...
Comme l'analyse Denis Monneuse, sociologue et auteur d'Apprenez à jongler entre vie pro et vie perso, «on part du principe que les gens qui n'ont pas d'enfant sont plus souples sur leurs dates de vacances». Marine* déplore pourtant de ne pas pouvoir partir avec des amis qui ont des enfants et qui auront posé leurs congés en juillet-août. Même problème pour le sacro-saint mercredi. «J'ai demandé à passer à temps partiel en souhaitant ne pas travailler ce jour-là, histoire de “casser” la semaine», explique Corinne* employée depuis quarante-deux ans au service communication d'une grosse entreprise. «Les personnes prioritaires face à ce genre de demande, ce sont les mamans salariées! Prendre le mercredi lorsqu'on est célibataire, c'est presque une aberration», constate-t-elle. Réponse de son supérieur: «Prenez le vendredi ou le lundi.» Elle n'a pas bataillé. D'ailleurs, la plupart du temps, cela finit par une reddition.
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Juin et septembre privilégiés
Ce n'est pas demain la veille que l'on va sortir le ring et les gants de boxe pour gagner son 15 août. À quoi bon se battre pour se retrouver avec des centaines d'autres vacanciers sur une plage bondée, les tympans crevés par les cris des enfants surexcités, le tout payé par son plan épargne. Louisa Amara ne dira pas le contraire, elle qui n'a pas du tout aimé ses dernières vacances, contrainte de partir en juillet entre deux emplois. Une expérience qu'elle ne renouvellera pas. «Je ne compte plus les agréables moments passés sur une plage, gâchés par des hurlements de mômes. Éduquez vos enfants ou n'en faites pas si vous ne savez pas gérer. Il n'est pas normal de hurler constamment à 8 ou à 16 ans», twittait-elle depuis son lieu de villégiature, avant de se laisser à rêver «un jour [où] il existera peut-être en France des lieux de vacances interdits aux enfants».
«Cela m'est déjà arrivé de devoir arbitrer en me basant sur des critères tels que l'ancienneté ou le moment où a été déposée la demande de congés.»
Elle admet bien volontiers préférer partir en juin ou en septembre. Si 61% des Français optent pour juillet-août, 10% préfèrent le mois de juin et 24%, septembre. Sans parler des quelques économies réalisées. Les billets d'avion et les nuitées dans un hôtel peuvent être deux fois moins chers qu'en période estivale. Marine* y voit un autre avantage: «Il y a plus de personnes en septembre ou juin au bureau pour assurer la continuité de mes recherches.» Tout le monde y trouve son compte. Le sociologue Denis Monneuse le confirme: «Cette question des vacances et de la priorité donnée aux gens avec des enfants a effectivement pu ressortir au cours des différents entretiens que j'ai pu mener, mais cela ne représente en aucun cas un gros problème.»
Premiers arrivés, premiers servis
D'autant plus qu'il est toujours envisageable d'éviter les tensions par exemple en «[rétablissant] l'équilibre au moment des petites vacances», suggère le chercheur. Autrement dit, proposer aux personnes qui se seraient senties lésées en été d'être prioritaires à d'autres périodes de l'année. Autre solution: anticiper. C'est l'avis de Sabine Boukari, qui fut responsable d'un centre d'appels d'une trentaine de personnes: «Je leur demandais de poser leurs dates en amont. Les premiers qui les avaient posés étaient les premiers servis, enfants ou non.»
Une attitude partagée par Sophie Bournazel, directrice des ressources humaines dans le secteur bancaire. «Cela m'est déjà arrivé de devoir arbitrer en me basant sur des critères tels que l'ancienneté ou le moment où a été déposée la demande de congés.» Ici encore, pas d'enfant en guise de passe-droit. Les salariés vraiment lésés seraient-ils en définitive ceux qui n'arrivent tout simplement pas à prévoir à l'avance?
*Les prénoms ont été changés