Le 18 juin prochain, les Iraniens sont appelés aux urnes. La décision du Conseil des gardiens de la Constitution de ne valider la candidature d'aucun des réformateurs proches du président sortant Hassan Rohani, ni même celle du pragmatique Ali Larijani, pourtant proche conseiller du Guide suprême Ali Khamenei, a créé la surprise et l'indignation au sein de la population.
L'élimination de tout potentiel rival au candidat ultra-conservateur Ebrahim Raïssi laisse penser à la victoire de l'aile dure du régime. Désillusionnée et asphyxiée par la crise économique et les sanctions internationales, une partie de la population iranienne appelle au boycott de cette élection présidentielle, et les sondages estiment que l'abstention atteindra des records.
Pour la communauté internationale, cette échéance électorale reste néanmoins un enjeu important, car elle déterminera le discours et la position de la République islamique vis-à-vis de l'étranger pour les quatre prochaines années. Les réformateurs sont en effet généralement plus enclins au dialogue avec l'Occident que les conservateurs. Ainsi, «si Ebrahim Raïssi est élu, cela pose problème, notamment sur la question des droits de l'homme», affirme Clément Therme, chargé de cours à Sciences Po Paris et spécialiste de l'Iran.
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En effet, le chef du système judiciaire iranien, directeur de la puissante fondation religieuse «Astan-e Qods-e Razavi» et candidat malheureux à l'élection présidentielle de 2017, est accusé de crime contre l'humanité en Occident pour avoir condamné à mort des milliers de prisonniers iraniens en 1988. Néanmoins, selon Clément Therme, quel que soit celui qui sera élu, cela «n'aura pas d'impact sur la prise de décision en République islamique» car, depuis les années 1990, les différents présidents iraniens ont de moins en moins de poids au sein du régime.
Les conservateurs s'opposent à l'accord sur le nucléaire
L'horizon de la présidentielle iranienne n'est pas sans influence sur les négociations indirectes qui ont lieu depuis plus d'un mois entre l'Iran et les États-Unis, dans le but de ressusciter l'accord sur le nucléaire (JCPoA). L'administration Biden le sait bien, les deux parties ont tout intérêt à trouver un compromis avant le changement de gouvernement. Un timing de plus en plus serré.
Promesse de campagne du président Hassan Rohani en 2013, l'accord de Vienne sur le nucléaire, signé en juillet 2015 par l'Iran, l'Union européenne et les pays du P5+1, avait pour objectif de contrôler le programme nucléaire iranien –limitation de l'enrichissement de l'uranium, de la production de plutonium et renforcement des contrôle de l'Agence internationale de l'énergie Atomique (AIEA)– en échange de la levée des sanctions économiques contre la République islamique d'Iran. L'accord a cependant été vidé de sa substance à la suite du retrait unilatéral des États-Unis en mai 2018 et du rétablissement des sanctions contre Téhéran.
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Le retrait américain a également affaibli les réformateurs actuellement au pouvoir, et renforcé l'aile dure du régime. «Vraisemblablement, on se dirige vers un prochain gouvernement iranien fondamentaliste ou conservateur. Or, ceux-ci s'opposent fortement au JCPoA depuis le début. Il n'y a donc pas de garantie que la nouvelle administration iranienne, si elle est conservatrice ou fondamentaliste, maintienne l'accord», explique Roozbeh Mirebrahimi, journaliste et chercheur iranien indépendant, installé à New York. Ce doute quant à l'avenir de l'accord nucléaire, et donc au programme nucléaire iranien, inquiète la communauté internationale. Pour faire pression sur elle, l'Iran a d'ailleurs déjà commencé à enrichir son uranium à 60%, un seuil proche des 90% nécessaires à une utilisation militaire du nucléaire.
Le Guide suprême Ali Khamenei dirige la négociation
Pour Roozbeh Mirebrahimi, «l'élection iranienne peut avoir un impact sur la négociation, qui peut avoir un impact sur la politique interne». La République islamique a en effet besoin de l'accord pour survivre. Ebrahim Raïssi l'a d'ailleurs affirmé lors du second débat présidentiel, diffusé mardi 8 juin à la télévision d'État. Pour Téhéran, la levée de toutes les sanctions est une condition sine qua non à la réactivation du JCPoA.
Clément Therme rappelle néanmoins qu'en coulisses, c'est le Guide suprême Ali Khamenei qui dirige la négociation: «Il est pour et contre l'accord en même temps. Il ne croyait pas à la levée des sanctions par la diplomatie, c'est pour ça que l'Iran enrichit [de l'uranium] à 60%. La République islamique est déjà dans la surenchère. Mais si l'Iran obtient la levée de toutes les sanctions, évidemment, le Guide suprême va signer», explique le spécialiste de l'Iran.
Ali Khamenei, le Guide suprême iranien, s'exprime à la télévision le 4 juin 2021. | Khamenei.IR / AFP
Roozbeh Mirebrahimi confirme: «Le Guide suprême garde toujours une certaine distance, il ne soutient pas complètement et attend de voir ce qui se passe. Si le résultat est négatif, il va critiquer en disant: “Je vous avais dit qu'il ne fallait pas faire confiance aux États-Unis.” Et au contraire, lorsque les résultats sont positifs, il s'en attribue les mérites.»
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L'enjeu premier: la succession du Guide
Pour le journaliste, c'est surtout le risque d'un discours idéologique qui pourrait avoir une incidence sur la politique étrangère iranienne: «Quand Mahmoud Ahmadinejad était au pouvoir, le discours idéologique a eu pour conséquence le rapprochement de l'Arabie saoudite et d'Israël contre l'Iran. Si la politique étrangère iranienne est basée sur l'idéologie de la République islamique, cela augmente les tensions dans la région», explique-t-il. Or, depuis plusieurs mois, poussés par la crise économique dont ils souffrent, par le retrait progressif des États-Unis de la région et en raison de l'enlisement de l'Arabie saoudite dans la guerre au Yemen, Riyad et Téhéran ont entamé des discussions en Irak. Les résultats de l'élection pourraient-ils compromettre ces pourparlers?
Selon Clément Therme, l'issue de la présidentielle iranienne aura peu d'impact sur la politique régionale de l'Iran car, quel que soit le pouvoir exécutif en place, finalement ce sont bien les Gardiens de la révolution (Pasdaran) qui décident dans la région. Néanmoins, pour l'auteur de L'Iran et ses rivaux, entre nation et révolution, le véritable enjeu de ces élections iraniennes se joue en coulisses: «L'élection présidentielle iranienne est un enjeu, pas tellement par rapport à qui va la gagner, mais plutôt par rapport à la guerre de succession pour la position du Guide, qui a 82 ans», affirme-t-il.
Ebrahim Raïssi semble être le candidat le plus à même d'unir l'aile droite du régime, y compris les membres du corps des Gardiens de la révolution, dont plusieurs ont d'ailleurs été candidats cette année. Un fait inédit qui marque une officialisation des velléités politiques des Pasdaran. Enfin, proche du Guide suprême, Raïssi semble également pressenti pour le remplacer. Clément Therme conclut: «Tout les candidats se pré-positionnent pour avoir une influence sur la succession du Guide. Et ça, ça intéresse la région: qui sera le prochain Guide?»