Boire & manger / Santé

L'anosmie et l'agueusie liées au Covid-19, des fléaux pour les professionnels du vin

Temps de lecture : 6 min

Les œnologues et sommeliers revendiquent la reconnaissance des troubles du goût et l'odorat comme maladie à part entière.

Sur les 2,7% de professionnels atteints par le Covid-19 depuis mars 2020, 68% ont perdu l'odorat (anosmie) et 56% le goût (agueusie). | Bastian Riccardi via Pexels
Sur les 2,7% de professionnels atteints par le Covid-19 depuis mars 2020, 68% ont perdu l'odorat (anosmie) et 56% le goût (agueusie). | Bastian Riccardi via Pexels

Lorsque Mathilde Ollivier émerge de sa nuit en cette fin février 2021, elle est saisie de panique. Produits de douche, viennoiseries, café, jus d'orange… Autant d'odeurs quotidiennes connues qu'elle ne peut dorénavant plus sentir. Le goût ne tarde pas à s'effacer lui aussi. Pour cette consultante en œnologie indépendante officiant en Val de Loire et en Provence, le coup est rude et les questions ne tardent pas à affluer, abondantes mais insolubles. «Je me demandais si j'allais un jour recouvrer ces sens indispensables à l'exercice de ma profession, se souvient-elle. Et si ça ne revenait jamais, qu'allais-je faire? Arrêter? Songer à une reconversion?» Dans un premier temps, elle s'astreint à stimuler son odorat, notamment grâce à des senteurs fortes, telles que des alcools prononcés, du vinaigre blanc, de l'eau de Javel ou encore des épices. «J'étais uniquement en capacité de distinguer le sucré du salé, ainsi que l'amertume d'un café ou l'acidité d'un citron. Point!»

Elle se rapproche alors de l'Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) de Bordeaux, qui vient de mettre en place un protocole de rééducation à destination de ses étudiants. Ce protocole repose sur la senteur d'un échantillon d'huiles essentielles deux fois par jour, «pour stimuler la mémoire et les terminaisons nerveuses». Quinze jours après avoir été testée positive, Mathilde Ollivier commence à percevoir de nouveau les arômes basiques des vins, même si un arrière-goût de noisette continue de perturber ses dégustations et l'analyse sensorielle qui en découle. Aujourd'hui, elle dit avoir recouvré l'intégralité de ses capacités olfactives.

Comme un miroir grossissant

Le cas personnel de Mathilde Ollivier, comme celui de nombre de ses consœurs et confrères œnologues et autres professionnels du vin, pose une question centrale: comment accompagner celles et ceux pour qui le goût et l'odorat sont des éléments indispensables à leur métier, si jamais ils venaient à les perdre? «Ce virus a agi comme un miroir grossissant, et il a fait prendre conscience à la population de l'importance que revêtent les sensations olfactives et gustatives», constate Didier Fages, président de l'Union des œnologues de France.

Une étude réalisée par le syndicat, en liaison avec des médecins et des oto-rhino-laryngologistes (ORL), auprès de 2.650 professionnels du vin, a livré des conclusions riches d'enseignements. Sur les 2,7% de professionnels atteints par le Covid-19 depuis mars 2020, 68% ont perdu l'odorat (anosmie) et 56% le goût (agueusie).

Plus éloquent, 39% des sondés présentent, plusieurs mois après avoir été contaminés, des troubles de récupération, dont 7% pour qui le pourcentage de recouvrement de leurs sens est de 0%. Ces chiffres prouvent que les symptômes dits du «Covid long» ne sont pas une légende. Une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) montre que sur 1.137 patients atteints et hospitalisés, 60% présentaient encore des troubles six mois plus tard.

«Ce qui nous a également frappé, c'est de constater que 13% avaient connu des troubles de l'odorat et du goût avant l'apparition du virus, dont 68% à plusieurs reprises», poursuit Pierre-Louis Teissedre, vice-président du syndicat.

Mémoire confuse

L'apparition du virus est venue rappeler aux professionnels de l'œnologie la fragilité de leur condition. Et ce y compris pour les plus jeunes, ces aspirants œnologues et sommeliers pour lesquels la problématique de perte de goût et d'odorat relevait jusqu'à l'année dernière du conte pour enfants.

Après avoir contracté le Covid en octobre 2020, Clémence Monsant, 25 ans, étudiante en œnologie à l'École nationale supérieure agronomique de Toulouse (ENSAT), a été hospitalisée et a dû patienter jusqu'à la mi-décembre pour retrouver ses sensations.

«Je détecte difficilement les retours en bouche, les longueurs, les subtilités. En un mot, la finesse d'un vin!»
Sophie Pallas, directrice générale de l'Union des œnologues de France

Une traversée du désert qui s'est accompagnée d'une sérieuse remise en question professionnelle. «J'ai eu peur que ça ne revienne jamais comme avant, que mon outil de travail devienne médiocre et inadapté, confie-t-elle aujourd'hui. Même lorsque mon odorat a commencé à réapparaître, je ne parvenais plus à mettre des mots sur ce que je sentais, tout était confus. C'était comme si ma mémoire avait effacé de son disque dur toutes les senteurs enregistrées…»

Ce trouble, appelé la panosmie, se caractérise par «une perversion de l'odorat caractérisée par une perception sensorielle ne correspondant pas à la stimulation», d'après la définition du Larousse. L'odorat est donc présent, mais faussé. Ou alors très imparfait. «Je n'ai pas encore retrouvé mon acuité passée, je reconnais certes les arômes dominants des vins que je déguste, mais je détecte plus difficilement les retours en bouche, les longueurs, les subtilités. En un mot, la finesse d'un vin!», appuie Sophie Pallas, directrice générale de l'Union des œnologues de France, qui a été contaminée au moins de janvier dernier.

Halte au déni

Dans ce contexte, une inquiétante crise des vocations couve, menaçant l'avenir immédiat du métier d'œnologue. Un sondage effectué auprès de 248 étudiants du secteur vient d'ailleurs le prouver: sur 40 contaminés, 28 (soit près des trois quarts) ont perdu le goût, l'odorat ou les deux. Au 1er mars 2021, 53,6% d'entre eux déclaraient n'avoir pas encore entièrement récupéré leurs capacités olfactives. Conséquence? 48% connaissent une perte de motivation, et 12% ont même songé à stopper leur formation.

Face à cette triste réalité, l'Union des œnologues est partie à la rescousse de quatre étudiants parmi les plus désœuvrés. «Grâce à un fonds de dotation agréé par le ministère des Finances, l'argent versé par des donateurs a permis d'octroyer un chèque de 500 euros à chacun d'eux», explique Didier Fages. Une initiative louable, mais court-termiste. Le syndicat en a bien conscience, lui qui mène bataille depuis plusieurs années sur un autre terrain escarpé: celui de la reconnaissance de la perte de l'odorat et du goût comme maladie invalidante. «Il faut arrêter de traiter par le déni cette problématique, poursuit Didier Fages. Une invalidité de travail désigne une incapacité des deux tiers à effectuer son travail. Un œnologue sans nez fonctionnant correctement se trouve bien au-dessus de cette barre des deux tiers!»

Diagnostiquer et rééduquer

Il faut avoir à l'esprit que le Covid-19 n'est pas la seule et unique pathologie amenuisant les capacités olfactives. Tel que cité plus haut, 13% des œnologues sondés ont expérimenté des troubles du goût et de l'odorat avant mars 2020. D'autres maux, comme la grippe, la rhinite allergique, ou encore la polypose nasale peuvent en être à l'origine. Ce qui a conduit le patron de l'Union des œnologues de France à se rapprocher du Syndicat national des ORL et de son nouveau président, Laurent Seidermann, élu à sa tête en janvier dernier.

Désormais, les deux hommes réclament conjointement la présence massive de tests olfactométriques dans les cabinets d'ORL. Or, l'acquisition de ces tests n'étant pas remboursée par la Sécurité sociale, la grande majorité en est dépourvue. «Quelques centres, comme celui du professeur Pierre Bonfils à Paris, en possèdent, mais c'est très minoritaire, déplore Laurent Seidermann. Du coup, la mesure précise et objective de l'odorat est très peu pratiquée en France.»

«L'intense travail de lobbying des syndicats d'œnologues va finir par payer.»
Me Johan Zenou, avocat spécialisé en droit de la Sécurité sociale

La crise du Covid-19 aura au moins eu comme vertu d'alerter l'opinion publique sur cette faille et, du même coup, d'intensifier la pression sur les autorités sanitaires. «Il me paraît évident que la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) finira par céder, même si elle est par nature peu encline à rembourser quoi que ce soit, surtout lorsqu'elle est déficitaire comme c'est le cas depuis plusieurs années, affirme Me Johan Zenou, avocat spécialisé en droit de la Sécurité sociale. Mais l'intense travail de lobbying des syndicats d'œnologues va finir par payer.»

Un lobbying assumé par Didier Fages, dont les courriers envoyés aux pouvoir publics, et même au président de la République, sont pour l'instant restés sans réponse. «Nous ne baissons pas les bras, conclut-il. Nous voulons pouvoir diagnostiquer ces troubles et rééduquer ceux qui en sont atteints. Nous demandons simplement une vraie reconnaissance.»

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