«La meilleure chose à faire pour les autres joueurs et mon bien-être est que je déclare forfait, afin que tout le monde puisse de nouveau se concentrer sur le tennis à Paris.» Ces quelques mots ont fait l'effet d'une bombe dans l'univers du sport, mais pas que. Ce lundi 31 mai, Naomi Osaka, la numéro 2 mondiale, a annoncé qu'elle quittait le tournoi de Roland-Garros et se retirait «un certain temps des courts», pour préserver sa santé mentale.
Quelques jours avant le début des Internationaux de France de tennis, elle avait déjà surpris tout le monde en déclarant qu'elle ne participerait pas aux mythiques conférences de presse d'après matchs, pourtant obligatoires. Une décision qui n'a pas plu aux organisateurs du tournoi: la Japonaise a été sanctionnée d'une amende de 15.000 dollars (12.300 euros) pour n'être effectivement pas passée par la case médias après sa rencontre du premier tour. Elle a également reçu un communiqué commun des quatre tournois du Grand Chelem la menaçant de «nouvelles sanctions, y compris l'exclusion du tournoi».
— NaomiOsaka (@naomiosaka) May 31, 2021
Naomi Osaka a finalement pris les devants. «Je ne minimiserai jamais la question de la santé mentale, ni ne l'évoquerai à la légère», écrit la tenniswoman dans un communiqué de presse publié sur ses réseaux sociaux. Elle évoque également «l'énorme angoisse» que les conférences de presse engendrent chez elle et confie avoir traversé de «longs épisodes de dépression» depuis l'US Open en 2018, le premier tournoi du Grand Chelem qu'elle a remporté.
Des croyances à déconstruire
Depuis sa prise de parole, Naomi Osaka a reçu de nombreux messages de soutien, dont celui de l'ancienne joueuse de tennis Martina Navratilova. «En tant qu'athlètes, on nous apprend à prendre soin de notre corps, et peut-être que les aspects mentaux et émotionnels sont négligés. Cela ne se résume pas seulement à donner ou non une conférence de presse», a-t-elle tweeté. La deuxième tenniswoman la plus titrée de l'histoire soulève ici un point important: la santé mentale des sportifs. Si les déclarations de Naomi Osaka surprennent autant, c'est peut-être qu'il y a un problème derrière. Un silence.
La pression sociale et les médias peuvent générer un stress très différent de celui des compétitions.
«La joueuse met sur la table des problématiques qui jusque-là étaient taboues», analyse Hugo Cailhol, psychologue du sport et préparateur mental. «Dire qu'une conférence de presse lui génère du stress, que ça la met en difficulté, et même qu'elle souffre d'anxiété sociale, c'est quelque chose d'inédit.» Et pour cause, dans l'imaginaire du grand public, les sportifs de haut niveau sont des personnes solides, équilibrées sur le plan psychologique, capables de résister au stress et d'affronter n'importe quelle difficulté. Impossible qu'elles aient des problèmes de santé mentale.
«À l'inverse, d'autres peuvent penser que comme les athlètes ont une vie de rêve, qu'ils vivent de leur passion et qu'ils gagnent beaucoup d'argent, tout va bien», ajoute le psychologue. Les sportifs peuvent également voir les choses de la même façon et se dire qu'ils n'ont pas le droit de se plaindre ou d'évoquer leurs difficultés. Ils ne s'autorisent donc pas à alerter et à demander de l'aide. Mais pour Hugo Cailhol, le problème est encore ailleurs: la pression sociale, le regard du public et des médias peuvent générer un stress très différent de celui des compétitions, car ils font appel à des compétences bien distinctes. «Aujourd'hui, il y a encore beaucoup de croyances autour des sportifs qu'il faut déconstruire et dépasser», précise-t-il.
Bilan psychologique annuel
Alexis Ruffault, chercheur en psychologie appliquée au sport de haut niveau à l'INSEP (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance), a un avis plus nuancé sur la question. «Oui, c'est un sujet encore un peu tabou, mais on voit quand même de plus en plus de sportifs qui sont suivis par un psychologue et/ou un préparateur mental, c'est assez normalisé et beaucoup plus accepté qu'avant», insiste le psychologue. Selon lui, la communauté scientifique et sportive s'intéressent au sujet depuis plusieurs années maintenant et de nombreuses recherches ont été menées.
L'INSEP est d'ailleurs en train de mettre en place un outil recommandé par le Comité international olympique pour détecter de potentiels troubles de la santé mentale et prévenir les risques de détresse psychologique ou d'isolement des athlètes. Un formulaire d'une dizaine de questions sera ainsi bientôt intégré aux applications de monitoring déjà utilisées par les sportifs pour leurs entraînements ou pour leurs données physiques. «La France est également le premier pays à avoir mis en place un bilan psychologique annuel obligatoire pour tous les sportifs de haut niveau, dans le cadre du suivi médical réglementaire», poursuit Alexis Ruffault.
Problème: cet entretien n'est pas toujours réalisé par un psychologue. C'est recommandé mais pas obligatoire. «Cela montre qu'on commence à prendre en compte la santé mentale des sportifs, mais qu'on ne va pas forcément au bout du sujet. On n'est pas encore dans une prise en charge totale et suffisante», estime Hugo Cailhol, qui pense que le cas de Naomi Osaka a engendré une prise de conscience des institutions, mais aussi du public.
À LIRE AUSSI Faire trop de sport peut gravement nuire à la santé
Des dizaines de sportifs concernés
La tenniswoman n'est pourtant pas la première athlète à évoquer le sujet de la santé mentale. La dépression, l'angoisse voire le burn-out sont plus fréquents dans le milieu sportif que l'on pourrait croire, et ce toutes disciplines confondues. En 2020, le joueur de tennis australien Nick Kyrgios a lui aussi révélé avoir connu des périodes dépressives, notamment à cause de la solitude due à la succession de tournois à travers le monde, rapporte un article de Paris-Match. Le biathlète Martin Fourcade et le tennisman Lucas Pouille ont, eux, vécus un burn-out sportif.
«Tant que nous avions des performances, je crois que rien d'autre ne comptait.»
D'autres ont aussi évoqué la difficulté de parler de ce sujet comme Pierre Vaultier, champion olympique de snowboard cross, ou encore le manque de soutien psychologique lors de leur carrière. C'est notamment le cas de Michael Phelps dans le documentaire The Weight of Gold (Le poids de l'or) diffusé sur HBO. «Il y a tellement de gens qui se soucient de notre bien-être physique, mais je n'ai jamais vu personne se soucier de notre bien-être mental», raconte la légende de la natation. «Tant que nous avions des performances, je crois que rien d'autre ne comptait.»
Alors comment faire évoluer les choses? Pour Hugo Cailhol, tout repose sur la sensibilisation, qui doit se faire à tous les niveaux: les encadrants, les dirigeants, les organisateurs de tournoi, les joueurs et les médias. «Il faut que les sportifs soient préparés à cette pression, mais ils doivent aussi être conscients qu'ils ont le droit de dire quand c'est trop», conclut-il.