Cet article est le cinquième et dernier d'une série écrite par Eric Le Boucher pour décrire le nouveau monde issu de la crise financière et économique des années 2007, 2008 et 2009.
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» Une reprise en trompe-l'œil (1/5)
» La déconstruction européenne (3/5)
» La nouvelle question allemande (4/5)
La France échappera-t-elle à la tourmente financière? Est-elle à l'abri du côté de l'Allemagne ou est-elle fragile et susceptible d'être à son tour victime d'attaques spéculatives après l'Espagne puis l'Italie? La réforme des retraites sera-t-elle assez «forte» pour préserver la signature AAA du pays? Faut-il, dès à présent, instaurer la rigueur, l'austérité générale?
L'économie française, se félicite le gouvernement, a moins souffert de la crise que les autres. C'est vrai: la récession n'y a été que de -2,2% en 2009 contre -4% dans l'ensemble de la zone euro et -5% en Allemagne. Les dépenses publiques (allocations, salaires des fonctionnaires, investissements) qui ne dépendent pas des hauts et bas de la conjoncture ont servi de «stabilisateurs automatiques». Le plan de relance du gouvernement (aides de trésoreries, travaux publics) a été bien calibré. Conclusion: un choc inférieur, une politique raisonnable ensuite, la France, peut-on penser, va s'en sortir mieux que les autres et rebondir plus haut. Hélas, on peut craindre le contraire. Pour deux raisons.
D'abord, la compétitivité
Au cours de la crise, la France n'a, sans doute, pas perdu plus d'usines ou d'entreprises, bref de «potentiel de croissance», que ses partenaires. L'OCDE estime à 0,5 point de PIB cette perte moyenne due à la crise. La croissance française qui a été de 2,2% de 1998 à 2007 en tendance, devrait donc retomber autour de 1,5% (à 0,8% selon Patrick Artus de Natixis qui est nettement plus pessimiste). C'est une chute qui va compter, la baisse du chômage en sera plus longue, mais c'est une chute collective, tous les pays européens subissent le même sort.
Mais avant la crise, et depuis dix ans, la France perdait des parts de marchés à l'exportation. Elle est, selon ce critère, beaucoup plus proche de l'Italie et l'Espagne que de l'Allemagne, dont les exportations sont redevenues ronflantes. Déficitaire chronique, le commerce extérieur français s'était rétabli dans les années 1985-2000 grâce à la stratégie de «désinflation compétitive» menée par la gauche puis la droite. Mais il a replongé gravement ensuite. La hausse des prix du pétrole (importé) ne l'explique pas.
Le problème économique posé au pays est que sa croissance d'avant crise était tirée par la consommation. Le déficit extérieur venait, lui, en négatif. Après la crise, avec un chômage à 10%, des revenus en hausse ralentie voire en baisse si les impôts augmentent et avec un Etat qui va devoir réduire son déficit, la demande interne va fléchir. Pour retrouver le point de croissance qui fait défaut, il faut absolument que les exportations prennent le relais.
Comment faire? La cause du manque de compétitivité est complexe et elle ne fait pas l'objet d'un diagnostic partagé. Pour certains économistes, la compétitivité-coût s'est affaiblie lentement mais sûrement depuis quinze ans. Les charges pèsent en France trop sur le travail et elles n'ont cessé de s'alourdir. Conséquence: les bénéfices d'exploitation de l'industrie ont chuté de 25% de 2000 à 2008, soit -3,7% par an en moyenne, selon l'institut Rexecode, tandis qu'ils gagnaient 2,7% par an dans l'ensemble de la zone euro et 5,6% par an en Allemagne. A l'exportation, les entreprises françaises ont tiré sur leur marge pour maintenir leurs réseaux commerciaux, mais beaucoup doivent abandonner: la France compte de moins en moins d'exportateurs!
L'existence de grandes entreprises «championnes» dans leurs catégories est évidemment un point positif pour l'économie française, pour ses retombées en embauches de haut niveau, en avocats, en conseils en tous genres, etc. Le CAC 40 fait vivre Paris, ses grandes écoles, ses boutiques, ses restaurants, ses opéras. Mais ces géants ont fait le vide autour d'eux. Ne reste que des PME de trop petite taille, incapables d'investir, d'innover et d'exporter. Incapables surtout de créer des emplois en nombre. C'est là LE problème français.
L'analyse sectorielle ne rassure pas: tandis que l'Allemagne investit dans la recherche pour monter en gamme, les industriels français, faute de marge et d'investissement, souffrent d'une perte de spécialisation. L'industrie automobile, hier un point fort, est devenue nettement importatrice. Nos ventes de voitures hors des frontières ont chuté de 25% depuis 2005. Même l'aéronautique et l'agriculture, deux autres anciens «point forts» régressent dangereusement.
On a observé une très légère augmentation de nos positions sur les marchés internationaux l'an dernier, mais la tendance reste à la dégradation. Faute au temps de mise en place, faute aussi de n'avoir souvent pas été conduites à leur terme, les nombreuses «réformes» engagées par Nicolas Sarkozy depuis 2007 n'ont pas eu d'effet «structurel» suffisant pour accélérer la croissance et redonner le «point» qui manque au PIB. Il faudrait faire beaucoup plus pour regagner en compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne et des autres partenaires européens.
Le déficit public
L'autre raison qui fait craindre pour l'économie française est le déficit public. Autant on peut admettre que, contrairement à ses prédécesseurs, le gouvernement actuel a essayé de faire des réformes pour la compétitivité (développement des PME, concurrence, universités, recherche, suppression de la taxe professionnelle...), autant son bilan vis-à-vis des finances publiques est désastreux. Dès le départ, le pari fait d'une baisse des impôts (loi Tepa) aggrave la situation: le déficit passe de 2,3% du PIB en 2006 à 2,7% du PIB en 2007 malgré la croissance (2,3%). Quand la crise intervient, l'Etat n'a aucune réserve et les comptes partent vers l'abîme: -7,5% en 2009. La dette atteint 1.500 milliards d'euros. Les Français ont désormais compris que ces niveaux étaient insoutenables: ils épargnent pour se prémunir d'un avenir douteux et malgré un revenu en hausse, ils commencent à hésiter à consommer.
La France entre dans une phase d'ajustement budgétaire douloureux. La crise en a accéléré le besoin, les marchés financiers le disent désormais avec force. Sans attendre et dès le budget 2011, le gouvernement, mis sous surveillance, va devoir imposer une sévère et longue austérité pour réduire ses dépenses. Le système social très déficitaire sera forcément lui aussi touché. Les retraites en seront le test.
Jusqu'ici, les mesures prises (dépenses d'Etat bloquées, non remplacement d'un fonctionnaire sur deux...) sont «homéopathiques», «d'une ampleur trop faible par rapport au problème», souligne justement Patrick Artus. Il annonce des mesures «allopathiques», beaucoup plus rudes. Surtout, il est temps de repenser le service public pour qu'avec des moyens comptés, il s'adresse aux nouvelles inégalités et nouvelles misères et garantisse à tous de pouvoir disposer de chances plus égales. L'école comme des administrations, trop longtemps obnubilées par une défense de leurs moyens financiers et leurs effectifs, ne peuvent plus différer leur révolution.
Faiblement compétitive et endettée, la France n'est pas la Grèce. Loin de là. Pour elle aussi, le futur est fait de sang et de larmes. Mais le défi politique ne se résume pas là: en même temps que l'austérité, la France doit relever sa compétitivité, reconstruire ses spécialisations, redynamiser ses entrepreneurs, faire grossir ses PME et reconstruire entièrement son Etat-providence. Seule une politique aussi ambitieuse permettra de redonner croissance et confiance.
Eric Le Boucher
Photo: REUTERS/Bazuki Muhammad
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