Culture

«Petite Maman», miracle de cinéma

Temps de lecture : 3 min

D'une admirable simplicité, le nouveau film de Céline Sciamma est un conte réaliste et enchanté autour du deuil et des forces de vie par-delà le temps.

Entre Nelly et Marion, le mystère d'un jeu très sérieux. | Pyramide Films
Entre Nelly et Marion, le mystère d'un jeu très sérieux. | Pyramide Films

Oui, c'est sans doute le mieux, pour Nelly. Aider son père à vider la maison de sa grand-mère qui vient de mourir, c'est une façon à la fois d'être avec la disparue et de s'habituer à son absence.

La maison est en bordure de forêt, une forêt où Nelly va jouer, aussi. Et, dans la forêt, elle rencontre une petite fille de son âge, 8 ans, qui devient une copine de jeu. Elle s'appelle Marion, comme la mère de Nelly qui vient de partir.

Sur les chemins à travers bois, entre la maison de Nelly et celle de Marion, ou dans leur cabane, il y a des jeux, des rires, des peurs, des chagrins. Pas vraiment une énigme, ou pas longtemps, mais un mystère.

Le mystère n'est pas que la petite Marion puisse être la mère de Nelly, et que les deux maisons se trouvent donc non en deux lieux mais en deux temps différents. Le mystère, le beau et juste mystère de cinéma, est que cela soit parfaitement envisageable, légitime, émouvant.

En effet, de cette construction naît la possibilité de faire exister les sentiments, les interrogations, les espoirs et désespoirs non seulement d'une petite fille qui vient de perdre sa grand-mère, et peut-être aussi sa mère, mais de tout un chacun et de toute une chacune.

Le film comme machine à voyager dans le temps

Les lieux, les choses, les paroles se chargent en douceur d'une vibration instable, qui peut dire ceci et cela, avec un aplomb qui est celui des jeux d'enfants, surtout lorsqu'ils ont affaire à ce qu'il y a de plus grave, de plus sombre, de plus effrayant.

Nelly face à un vide qui s'ouvre dans sa vie. | Pyramide Films

Et dès lors, l'impossible ou l'invraisemblable peut s'énoncer, non comme une absurdité ou une provocation, mais comme l'entrebâillement d'un possible, d'un «pour voir», sérieux comme tout jeu digne de ce nom.

Tous les repères temporels (habits, objets, manières de parler et de se comporter) deviennent des signes fluidifiés par ce qui relie les deux jeunes protagonistes entre elles, et, à l'évidence, la réalisatrice à ses deux héroïnes.

S'il y a ici une machine à voyager dans le temps, c'est, sans appareillage pseudo-technique ni effets spéciaux, le film lui-même –ce qui au fond va de soi pour tout film, mais est rarement aussi explicitement et délicatement mis en jeu dans le récit lui-même.

L'enfance sied à Céline Sciamma, comme en témoignaient déjà Naissance des pieuvres et Tomboy, quand les réalisations centrées sur des personnages plus âgés, adolescents (Bande de filles) ou jeunes adultes (Portrait de la jeune fille en feu), sont davantage enserrées dans la volonté d'un discours, voire d'une démonstration.

Au fond du bois, un lieu à soi pour se retrouver. | Pyramide Films

C'est la très belle liberté de narration et de filmage qui impressionnent et séduisent dans Petite Maman. Le film vibre de multiples situations touchantes, drôles, étranges.

Il éveille en échos jamais trop insistants d'insondables et insurmontables questions, qui portent sur l'enfance et la mort, ce qui nous relie à celles et ceux qui nous sont chers par-delà le temps et la matérialité des faits.

Fille et mère, sœurs, copines

Et puis aussi, en ces temps de propagande familialiste envahissante, notamment au cinéma, temps où un moralisme de plomb et des injonctions sans fin saturent les discours et les écrans, la réversibilité joueuse et grave des relations entre les deux fillettes, fille et mère, sœurs, copines tout à la fois, a des allures de libération.

Grâce à la justesse vive des deux jeunes interprètes (les sœurs Joséphine et Gabrielle Sanz), grâce à une fluidité de composition qui vaut aussi bien pour le jeu des acteurs et actrices que pour les mouvements de caméra, grâce aussi à la finesse dans la composition du rôle, extrêmement délicat, du père de Nelly (Stéphane Varupenne), la mise en scène réussit un petit miracle.

Un miracle cinématographique par excellence qui est d'être toujours dans le mouvement des êtres et des sentiments, sans que se pose la question de la vraisemblance ou de la logique, puisque la vérité et la logique sont intérieures au film, pas à pas élégamment et imparablement construites par lui.

Petite Maman

de Céline Sciamma, avec Joséphine Sanz, Gabrielle Sanz, Nina Meurisse, Stéphane Varupenne

Séances

Durée: 1h12
Sortie le 2 juin 2021

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